Ces gens là, nous dit-on, ne connaissent pas le dialogue. Il est vrai qu'ils détiennent des moyens de persuasion sous formes de courbes et de regards qui dépassent l'inimaginable. Bref, la turque est fourbe... c'est bien connu !
Hier soir, j'ai donc vu le visage de l'Antéchrist, mes frères ! Diaboliquement beau, rayonnant, ensorceleur... Bref, le Mal incarné qui vous attend assis sournoisement sur son petit tabouret. A peine le malin est il entré en scène pour interpréter une sonate en Fa majeur que Domenico Scarlatti nous a envoûté. Puis de sonates en andante graziosos, et de menuettos en allegretos, Mozart a succédé à Scarlatti et déjà un frisson de velours courait dans l'air soyeux. Quand, peu à peu, telle une jeune mariée le soir de sa nuit de noces, les yeux fermés, le public a pénétré à l'intérieur de son Sérail...
Ce fut le deuxième entracte. Et de promenades en promenades avec Modeste Moussorgski, des Tuileries au marché, ces doigts de génie nous parcourant l'âme et le corps, arrachant littéralement un à un nos vêtements, nous nous retrouvâmes complètement nus dans les bleues catacombes. Imaginez un peu les centaines de pauvres ères que nous étions, à poil dans l'autant luxueux qu'illustre théâtre des Champs Elysées. Nus comme des vers au premier jour. A bout de souffle, nous crûmes néanmoins être arrivés à la porte de Kiev - qui était une porte d'or ! - en ayant, tant bien que mal, sauvé nos âmes et nos corps.
C'était sans compter sur la gerbe des cinq rappels que le Maître a impérialement fait jaillir de son glorieux instrument au visage du public... c'est là que le viol eu lieu ! A même sa terre noire (kara toprak), dans un lit de mélodies orgiaques. Une vraie partouze de couleurs résonnantes., ses doigts nous pénétrant. Insensé Fazil. Amant fougueux, puissant et ultra sensible. Je l'ai vu prendre une femme debout, pinçant à la corde, le grelot des soupirs divins, en pédicato. Faisant gémir les éthers comme avec un violon. Et ces mains ! Ces mains que tous regardaient en gros plan. Le piano sous ses centaines de regards voyeurs là prenait une dimension presque pornographique. Et quand Guershwing en a rougit, à notre tour, nous nous sommes immolés vivants sur nos sièges. Etreints que nous étions avec force et virtuosité, le Maître nous fit invoquer nos mères quand, extatiques, des frissons de lumières sortant de nos entrailles baveuses, au bout d'une marche turque jazzy effrénée et que nous ne connaissons qu'à lui seul, nous avons joui à l'unisson... avec les oreilles !
Du haut du deuxième balcon où je me situais, j'ai bien songé un instant il est vrai à balancer par la balustrade les quelques Gül (roses) qui se trouvaient à mes côtés, afin de remercier l'artiste comme il se doit, mais cela aurait été un homicide... est-ce de ma faute à moi si en turc, les prénoms commençant ou finissant par le mot rose courrent les champs et les salles de concert ?
Hélas donc, mes frères, je ne pourrais point crier au viol et le mariage forcé est en perdition. Ce fut bel et bien un mariage d'amour et le public en redemande encore. Aussi, s'il vous prenait d'aventure, de vivre un de ces moments magiques, je ne pourrais que vous recommander la plus grande prudence si vous désiriez aller écouter Fazil Say. Méfiez vous, néanmoins, ces gens là n'ont pas les mêmes sensibilités que nous, je vous aurais prévenu...
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Ecrit par Aurel d'Athétürk
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