Fight-Club, le conditionnement et... la crise
Je repense souvent à ce film. L’histoire d’un homme déboussolé, pris d’une aversion soudaine pour sa vie morose, matérialiste et dénuée de sens. Sa rencontre avec la souffrance humaine, au travers de thérapies de groupes censées lui rendre le sommeil, le pousse à une sorte de dédoublement de personnalité le conduisant petit à petit à la marge de la société, pour finir dans la violence et le chaos, par l’intermédiaire d’un mentor, qui n’est en réalité que la projection mentale de son double dés-inhibé.
Je me souviens à quel point la violence de certaines scènes était réaliste, et de quelle manière ce film fut considéré par la plupart comme une sorte d’apologie du combat, de la destruction, du chaos : le conditionnement dénoncé dans le film avait déjà rempli son oeuvre de sape, et le message éminemment politique de ce film fut largement négligé. La majorité n’en a retenu en effet que le physique de Brad Pitt, et la schizophrénie du héros.
Pourtant, ce film délivre une vision du monde extrêmement aboutie, et préfigure (en 1999 pour le film mais en 1996 pour le bouquin) la folie qui s’est peu à peu emparée de chacun de nous, jusqu’à ne plus être capables de nous regarder en face. Nous-mêmes victimes du conditionnement matérialiste, nous sommes tombés dans le même piège que le héros, à savoir le culte de la violence, le culte du chef, le culte de l’aveuglement et de la soumission volontaire.
En essayant de se libérer de ce monde capitaliste, le héros du film suit une évolution mentale (à travers son double) qui le conduit inévitablement à la violence, et au conditionnement des autres pour accomplir son oeuvre qu’il pense salvatrice. Au fur et à mesure qu’il se détache de la société qu’il critique (il vit dans un squatt, cesse de travailler, vole, ment, frappe), il finit par tomber dans tous les travers qu’il dénonce lui-même, ceux desquels il a essayé de se libérer. Il met en place une véritable armée de subalternes dévolus aux basses oeuvres de son projet, sans les instruire de celui-ci, sans les éveiller aux raisons qui le poussent à agir ainsi, sans les considérer autrement que des instruments à la solde de sa volonté. Ces exécutants, que peut-être il aurait voulu voir participer volontairement, sont tellement conditionnés par la société qu’ils ne ressentent même pas le besoin, ni le désir de connaître ce projet…en quelque sorte, le simple fait de participer à un mouvement qu’ils considèrent « alternatif », ou « révolutionnaire », leur suffit. S’ils peuvent obtenir un sourire du chef, c’est déjà une récompense.
Je ne sais si le héros utilise ces hommes comme des instruments par mépris (du fait que le but ne les intéresse même pas, ils veulent juste l’action), ou bien s’il décide volontairement de les conditionner à devenir des instruments pour parvenir à réaliser son objectif (car en définitive, si le Fight-Club se développe, c’est parce que personne ne respecte le silence pourtant imposé), mais toujours est-il qu’il ne les considère pas comme des êtres humains à part entière. Comment a-t-il pu en arriver là ? libérer les hommes de leur asservissement matérialiste en les asservissant d’une autre manière est-il meilleur que de libérer des hommes qu’on ne considère pas valoir cette liberté ?
Voilà bien toute la contradiction de la révolution, et la véritable question qui doit être posée lorsque l’on évoque la transformation du monde. Car c’est à une véritable transformation du monde que travaille le héros du film. Je ne sais pas si vous vous rappelez, mais son but ultime est tout simplement de faire sauter tous les grands centres financiers. Plus de banques, plus de compte, plus de dettes, plus de bonus, plus de capitalisme. C’est sur cette image que se termine ce film. Le héros a réalisé son oeuvre, appelé « projet Chaos ».
Et c’est ici que nous nous retrouvons avec la crise. Car si le film se termine ici, sans suite, sans projet derrière ce coup de force, nous sommes nous, dans le monde réel, confrontés à un bien plus vaste problème : que se passe-t-il après la fin des banques ? les pillages, la violence, la guerre, la misère, le chaos ?
Il est bien beau de vouloir se séparer d’un système, encore faut-il en avoir un autre à proposer derrière…
Pour éviter le chaos, et pour supprimer le capitalisme, la violence est la dernière des choses à faire. Eveiller les consciences aux hommes au lieu de les conditionner à accepter la révolution, voilà qui devrait suffire à faire tomber les banques sans avoir à les faire sauter. Les rendre obsolètes par notre volonté éclairée de ne plus nous soumettre, après avoir préparé ce qui suivra leur obsolescence, voilà la seule possibilité de changer ce monde.
Caleb Irri
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