François Pinault - Jeff Koons : un duo d’affaires qui surfe sur l’art ?
Mi-mai, Jeff Koons a de nouveau fait parler de lui dans le monde entier avec la vente aux enchères d’une de ses œuvres : « Rabbit ». Un lapin haut de 104 cm réalisé en acier inoxydable et qui a battu tous les records avec une transaction à 91,1 millions de dollars faite sous la houlette de la prestigieuse maison Christie’s. Avec cette vente, Koons est assuré d’être en haut de l’affiche pendant de longues années encore et c’est le propriétaire de Chrisitie’s, ami et collectionneur qui se frotte le plus les mains : un certain François Pinault.
L’engouement pour l’art moderne et les prix exorbitants qui en résultent serait-il une construction pas tout à fait naturelle ? La dernière vente d’une des œuvres les plus connues de l’Américain Jeff Koons semble constituer un début de réponse que l’avenir ne manquera pas de compléter. Car avec une transaction de 91,1 millions de dollars (tous frais inclus), le lapin (Rabbit) créé des mains de Koons en 1986 risque de conserver pendant longtemps un record assez inattendu. La vente aux enchères du 16 mai dernier a rapidement vu les prix s’envoler jusqu’à battre le record détenu jusque-là par le peintre David Hockney avec le tableau « Portrait of an Artist (Pool with Two Figures) » adjugé pour la somme de 90,3 millions de dollars.
La petite histoire retiendra que Koons a vengé Koons en reprenant un record qui lui appartenait puisque la peinture de Hockney avait elle-même détrôné le « Balloon Dog » (version orange) de Koons en 2013 avec une vente à 58,4 millions de dollars. Le record aura tenu cinq ans seulement et Koons peut revendiquer le titre d’artiste vivant le plus cher au monde. Mais comme pour tous les sacres, lorsqu'un homme seul reçoit la gloire, toute une machinerie est à l’œuvre derrière. Celle de Koons ne ressemble à aucune autre et mêle à bien des égards recherche artistique et goût débridé pour le business et les billets verts.
Le Rabbit va s’inscrire dans le Panthéon de l’art moderne à la surprise des observateurs qui avaient noté une baisse de la cote de Koons au cours de ces dernières années. Fin 2014, personne ne s’est porté acquéreur du Moon jaune. Les œuvres les plus imposantes ont surnagé, mais les petites pièces multiples n’intéressent que peu les collectionneurs. Autre problème de taille, Koons a licencié une bonne partie de la centaine de personnes travaillant dans ses ateliers. Designers, physiciens… Jeff Koons a appris à bien s’entourer pour créer des pièces uniques et surprenantes. Sauf qu’en mars 2017, il a été condamné par la justice pour contrefaçon en raison de sa sculpture intitulée « Naked », jugée trop proche du cliché de Jean-François Bauret.
Bref, le moment Koons semblait être passé, mais l’artiste a plus de ressources encore lorsqu’il s’agit de faire monter sa cote et de rendre ainsi ses œuvres "bankable" auprès des plus riches de la planète. Parmi eux, un certain François Pinault qui mise sur l’artiste américain depuis des années et auprès duquel il a investi dans des œuvres que l’on peut retrouver à Paris ou encore à Venise, pour celles qui sont données à voir au public. Le milliardaire français ne tarit pas d’éloges et fait généralement beaucoup pour que son protégé officieux garde une place de choix dans le monde de l’art moderne. Ainsi, Pinault n’a pas hésité à financer l’exposition Koons au château de Versailles en 2008 déjà.
Koons bénéficie d’un réseau unique au monde, où un ancien ministre de la Culture et directeur du château de Versailles en 2008, Jean-Jacques Aillagon, est aujourd’hui conseiller de François Pinault dans le domaine culturel. Le monde est parfois petit et au service exclusif de Jeff Koons. Mais pourquoi tant de sollicitude envers l’artiste américain ? Peut-être parce que l’art moderne est devenu une niche où il est possible de réaliser des bénéfices extraordinaires en actionnant les bons leviers. Le fameux Rabbit s’est vendu 40 000 dollars en 1986 avant d’être revendu 1 millions de dollars six ans plus tard. En 2019, son prix a été multiplié par 91 et le vendeur ou plutôt ses héritiers touchent le pactole ! Une situation parfaite pour Pinault qui a acheté des dizaines d’œuvres et qui en revend régulièrement avec des bénéfices faramineux à la clé.
On comprend mieux l’amour immodéré de certains pour Jeff Koons et ses sculptures parfois de très mauvais goût (il s’est fait connaître pour ses tableaux et sculptures le représentant en train de copuler avec son ex-femme et star italienne du cinéma la Cicciolina). Koons ne laisse jamais indifférent et ce sont les nouveaux ultra riches des pays émergents qui se prêtent aujourd’hui à son jeu grâce aux efforts des Pinault et autres faiseurs de cote aux intérêts bien compris. D’ailleurs, l’intérêt n’est pas que financier puisqu’il permet à des milliardaires de se faire connaître comme mécène. Une casquette bien plus reluisante que celle d’un capitaine d’industrie rattrapé par le fisc italien pour avoir caché des millions d’euros via sa filiale Gucci.
Malgré des fortunes écrasantes, il n’y a jamais de petits profits et s’il est possible de fabriquer une bonne image au passage, le bénéfice n’en est que plus important. La promesse de 100 millions de don pour la restauration de Notre-Dame-de-Paris s’inscrivait certainement dans cette perspective, mais face à la polémique d’un don défiscalisé à hauteur de 90 %, François Pinault a dû faire machine arrière et affirmer qu’il ne profiterait pas des malheurs de Notre-Dame pour réaliser un tour de passe-passe comptable. Une bonne nouvelle pour le contribuable français qui sait désormais que lorsqu’un milliardaire s’intéresse à quelque chose, ce n’est jamais gratuit.
9 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON