Giono : une magnifique évocation des forces cosmiques de la nature...

Dans son roman intitulé Regain, Jean Giono évoque le monde des paysans, il raconte la mort et la renaissance d'un village, Aubignane.
C'est un couple qui est à l'origine de cette renaissance : Panturle et Arsule, grâce à leur amour, vont permettre ce renouveau.
Dans un extrait de ce roman, on voit les deux personnages revenir d'un grand marché d'été : ils retrouvent, après les bruits de la ville, un monde simple, harmonieux.
Voici l'extrait :
"Ils sont partis par la route de Saint-Martin ; ça fait raccourci.
Il y a eu d'abord un grand peuplier qui s'est mis à leur parler. Puis, ça a été le ruisseau des Sauneries qui les a accompagnés bien poliment en se frottant contre leur route, en sifflotant comme une couleuvre apprivoisée ; puis, il y a eu le vent du soir qui les a rejoints et qui a fait un bout de chemin avec eux, puis les a laissés pour de la lavande, puis il est revenu, puis il est reparti avec trois grosses abeilles. Comme ça. Et ça les a amusés.
Panturle porte le sac où sont tous les achats. Arsule, à côté de lui, fait le pas d'homme pour marcher à la cadence. Et elle rit.
Il est venu alors la nuit et c'était le moment où, sortis du bois, ils allaient glisser dans le vallon d'Aubignane ; il est venu alors la nuit, la vieille nuit qu'ils connaissent, celle qu'ils aiment, celle qui a des bras tout humides comme une laveuse, celle qui est toute brillante de poussière, celle qui porte la lune.
On entend respirer les herbes à des kilomètres loin. Ils sont chez eux.
Le silence les pétrit en une même boule de chair."
La nature apparaît, d'abord, comme une entité vivante et on perçoit, là, une conception paysanne et animiste du monde. Le procédé de personnification est abondamment utilisé : "un grand peuplier s'est mis à leur parler... un ruisseau sifflotant... on entend respirer les herbes... la nuit qui a des bras tout humides comme une laveuse..."
La nature est, aussi, associée à de nombreux verbes de mouvement : "le ruisseau des Sauneries les a accompagnés... le vent du soir les a rejoints... a fait un bout de chemin avec eux, puis il les a laissés... il est revenu, il est reparti avec trois grosses abeilles..."
En fait, au cours de cette promenade, les personnages semblent ne pas se déplacer eux-mêmes, mais c'est la nature qui est, sans cesse, en mouvement : les différents éléments du paysage défilent sous leurs yeux : "le peuplier" qui représente la terre, "le ruisseau", l'eau, le "vent du soir" ou l'air, "la nuit brillante qui porte la lune" ou le feu...
Les 4 éléments composent un tableau harmonieux et plein de vie.
Le mouvement est aussi suggéré par des propositions indépendantes juxtaposées et l'emploi récurrent de l'adverbe "puis".
Le rythme est léger, sautillant et correspond bien à celui d'une promenade. La nature humanisée apparaît comme une force vivante, mystérieuse, qui agit.
De plus, cette nature est complice des deux personnages ; amicale, elle semble connaître les deux héros de l'histoire, elle entre en contact avec eux, elle leur "parle", elle les côtoie familièrement : "le ruisseau les a accompagnés en se frottant contre leur route..."
De nombreux termes soulignent cette complicité : "accompagnés, apprivoisée, le vent les a rejoints, ils connaissent, ils aiment".
Le style très simple correspond bien aux personnages : Giono emploie le présent et le passé composé qui sont les temps du discours. Il utilise, à plusieurs reprises, le pronom familier "ça", ou encore l'expression "il y a", des mots simples : "puis, alors".
Le mot "ça" réitéré peut suggérer une sorte de force inconnue et mystérieuse présente dans la nature.
Le couple lui-même est complice : Arsule suit le rythme de Panturle, "elle fait le pas d'homme pour marcher à la cadence."
On assiste à une communion intense des personnages qui arrivent à ne faire plus qu'un seul être : "le silence les pétrit en une même boule de chair..."
Giono fait intervenir, dans cet extrait, un style poétique et lyrique.
Il a recours à des images : le ruisseau est comparé à "une couleuvre", la nuit à "une laveuse aux bras tout humides", elle "porte la lune", image d'une mère qui porte son enfant en elle.
On perçoit des répétitions, des anaphores : "Il est venu alors la nuit... il est venu alors la nuit", deux octosyllabes qui créent un rythme régulier.
Cette construction impersonnelle "il est venu" peut restituer le mystère d'une force inconnue qui régit le monde.
L'allitération de la sifflante "s" contribue à donner au texte une impression de douceur, d'harmonie, de poésie.
Dans cet extrait, la nature apparaît à l'image du dieu Pan comme une grande force cosmique, dotée de volonté et de vie. Bienveillante, elle permet une union harmonieuse de l'homme et de la femme, elle permet de retrouver les vraies valeurs : celles de l'amour, de la simplicité, de la complicité avec le monde...
Pour relire le texte :
"Ils sont partis par la route de Saint-Martin ; ça fait raccourci.
Il y a eu d'abord un grand peuplier qui s'est mis à leur parler. Puis, ça a été le ruisseau des Sauneries qui les a accompagnés bien poliment en se frottant contre leur route, en sifflotant comme une couleuvre apprivoisée ; puis, il y a eu le vent du soir qui les a rejoints et qui a fait un bout de chemin avec eux, puis les a laissés pour de la lavande, puis il est revenu, puis il est reparti avec trois grosses abeilles. Comme ça. Et ça les a amusés.
Panturle porte le sac où sont tous les achats. Arsule, à côté de lui, fait le pas d'homme pour marcher à la cadence. Et elle rit.
Il est venu alors la nuit et c'était le moment où, sortis du bois, ils allaient glisser dans le vallon d'Aubignane ; il est venu alors la nuit, la vieille nuit qu'ils connaissent, celle qu'ils aiment, celle qui a des bras tout humides comme une laveuse, celle qui est toute brillante de poussière, celle qui porte la lune.
On entend respirer les herbes à des kilomètres loin. Ils sont chez eux.
Le silence les pétrit en une même boule de chair."
Le blog :
Photos : rosemar
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