« Gladiator 2 », daube ou grand film ?
Mais où s’arrêtera ce Gladiator II (pourtant interdit aux moins de 12 ans, contrairement au premier) ? Parti en trombe, question box-office : visiblement, les spectateurs du monde entier veulent du pain et des jeux… et du sang ! Avec 1,26 million d’entrées dans les salles françaises en sept jours d’exploitation (sur 729 copies), ce blockbuster, au budget conséquent (310 millions de dollars tout de même ! ©Photos VD, pour la plupart), cartonne furieusement également au Royaume-Uni. Par contre, aux États-Unis, il est encore trop tôt pour le savoir puisqu’il n’y est sorti que depuis peu (le 22 novembre dernier). En tout cas, dans l’Hexagone, Gladiator II de Ridley Scott marche du feu de Dieu - ce sera assurément l’un des succès majeurs de 2024 -, s’avérant même être, dans nos salles obscures, le deuxième meilleur démarrage de l’année derrière une autre suite, un certain Vice-Versa 2.
Pour rappel, Gladiator 1 porté par Russell Crowe (présent dans le deuxième que sous la forme de rares flash-back, car son personnage Maximus Decimus Meridius est mort), sorti en juin 2000, au même moment que le lancement des cartes UGC Illimité en France, avait séduit, au terme de sa carrière française, 4,8 millions de spectateurs. Or, au vu de l’engouement qu’il suscite chez un panel de spectateurs large (ados, adultes ou familles au complet pour profiter collectivement et joyeusement, du spectacle en salle), il se pourrait fort bien que le Deux le dépasse en termes d’entrées (à suivre). Alors, dans un premier temps, tout en décortiquant ses qualités cinématographiques intrinsèques (pour moi, il ne s’agit aucunement d’une daube, mais au contraire d’un film à grand spectacle quasi intégralement réussi), je m’attarderai sur sa trame et sur son atout majeur (la présence de la star Denzel Washington), et dans un deuxième, je focusserai sur certaines de ses libertés (amusantes) prises avec la réalité historique, sur les curieuses accointances qu’il établit avec le dernier Coppola sorti en septembre dernier, un certain Megalopolis, qui n’était autre qu’une épopée moderne dans une Amérique moderne imaginaire en pleine décadence, ainsi que sur les possibilités d’un Gladiator 3 à naître, sans attendre encore, espérons-le, 24 ans !, au vu de la Lame de fond (1996, Ridley Scott) provoquée par le 2 en salles, en ce moment et c’est loin d’être fini !
Faut aller voir Gladiator 2, Paramount ou Paramour, c’est un grand Ridley Scott. Avec ce film, il n’est pas distrait, y allant à fond les ballons, loin de son poussif Napoléon (2023), les arènes antiques de gladiateurs et de surenchères, à tendance bourrine, lui convenant nettement mieux que les champs de batailles bonapartistes stratégiques ! C’est le Ridley qu’on aime, méchamment puissant, et retors, à son meilleur, que l'on pense aux grands Duellistes, Alien, Blade Runner et Thelma & Louise, ainsi qu'aux solides Black Rain, Gladiator, American Gangster et autres Seul sur Mars.
Alors, que raconte ce péplum postmoderne pachydermique (sachant que le premier, au vu de son triomphe, avait relancé le genre que l’on croyait pourtant des plus moribonds, cf. les Troie, Alexandre et autres 300) ? Des années après avoir assisté à la mort du héros vénéré Maximus aux mains de son oncle, Lucius, réduit en esclavage, se voit forcé d’entrer dans le Colisée lorsque son pays est conquis par empereurs tyranniques qui gouvernent désormais Rome d’une main de fer. Celui-ci, la rage au cœur et l’avenir de l’Empire en je(u), doit se tourner vers son passé pour trouver, en lui, la force et l’honneur de rendre la gloire de la Ville éternelle à son peuple.
- Jeune empereur dépravé dans « Game of Rome » !
Deux décennies après le premier opus, le canonnier Ridley Scott, qui s’y connaît en matière de grands spectacles en surrégime (de 1492 à Exodus : Gods and Kings en passant par La Chute du faucon noir, Kingdom of Heaven et Robin des Bois), replonge, avec ferveur et maestria, dans la Rome antique via Gladiator II. Envisagée dès 2001 [pour la petite histoire on a même échappé à un Gladiator 2 scénarisé, de manière peu convaincante, par le chanteur Nick Cave qui prévoyait carrément de nous montrer Maximus chargé par les dieux romains de revenir sur Terre et de tuer Jésus pour empêcher l’avènement du christianisme et leur déchéance – bonjour le chromo saint-sulpicien !], cette suite, tant attendue, sera finalement mise de côté durant plusieurs années avant d’être officiellement annoncée en 2018. Pour succéder à Russell Crowe, c’est finalement Paul Mescal, alors que d’autres acteurs s’étaient montrés fort intéressés (comme Timothée Chalamet et Austin Butler pour les plus connus), qui tient le premier rôle. Grosso modo, 24 ans après Gladiator, film au succès surprise couvert de lauriers et d'oscars (dont celui du meilleur film et du meilleur acteur pour R. Crowe), l’expérimenté Scott reprend du service en adoptant, tout en ne reprenant pas cependant les mêmes figures (les deux seuls rescapés du 1 étant Connie Nielsen et Derek Jacobi, jouant respectivement Lucilla, sœur de l’ancien empereur romain Commode, et Gracchus), une intrigue quasi identique : revenir, pour un homme déchu et déçu par la nature humaine, en étant socialement déclassé, afin de se venger mordicus d’atrocités passées, ce chemin de croix prenant la forme d’une résurrection : un nouvel homme naît de ce combat par étapes façon jeu vidéo, encore plus fort, encore plus admirable (en fait, attention spoiler, cet Hanno n'est autre que Lucius, le fils de Maximus/Russell Crowe). Et, pour ce faire, Lucius se voit « aider » par Macrinus (Denzel Washington), ancien esclave devenu marchand de gladiateurs, celui-ci, fomentant magistralement un marché de dupes consistant à utiliser la haine de Lucius, qui veut se venger d'Acacius (qui a tué sa femme, en Numidie, peuple insoumis d'Afrique du Nord) : ce Machiavel en sandales qu’est Maxi Macrinus, qui complote depuis un moment pour intégrer l'élite de la société romaine, veut, mine de rien, ravir le pouvoir à Greta et Caracella, deux empereurs frangins dégénérés, et despotes en constante fièvre de conquêtes coloniales, dont le look « bancal », oscillant entre force et faiblesse, peut faire penser - on est même pas loin d'une copie conforme ! - au tyran sociopathe et sadique Joffrey Baratheon (campé par Jack Gleeson) de Game of Thrones. « Cela m’ouvrira, précise le roué Macrinus, à son protégé Lucius, le chemin de Rome. Tu seras mon instrument. Pour rétablir l’ordre, il me faut le pouvoir », L’intéressé (ce Lucius se retrouvant fissa, au vu de sa force herculéenne, à se battre comme gladiateur pour Macrinus), premier degré et bravache au possible, lui rétorquant aussitôt : « Force et honneur ! Je ne me bats pas pour le pouvoir. Mais pour libérer Rome d’hommes comme eux. » Bien dit. Rendre à Rome sa grandeur ? Vaste projet, tout à fait louable, mais gare au champ de ruines, si l'on en croit La Chute de l'empire romain, 1964, basé d’après des faits réels !, signé du grand Anthony Mann.
- Lettrage minimal du début mythique du générique d’« Alien » (1979, Ridley Scott)
Dès le générique, le vétéran Ridley Scott est complètement dedans, et nous aussi, par la même occasion, nous plongeant directement dans le bain : le "I" du titre-logo « Gladiator » se dédouble pour devenir "II", géniale trouvaille graphique, digne du grand Saul Bass (1920-1996) : ça m’a rappelé la superbe typo minimale du tout premier Alien (1979), renversante, inoubliable, vertigineuse, lettrage fascinant, issu d'un gouffre (la nuit noire de l'espace intersidéral où personne ne vous entend crier), passant du seul "I", tout en étroitesse de « ALIEN », aux cinq les lettres du mot, en majuscules, s’étalant, en prenant leur temps, sur l’écran large (frontalité du grand spectacle), pour finir par disparaître d’un coup. Culte ! Tu sais d'office que tu es en de bonnes mains, le vieux maître britannique - 86 printemps ! - faisant, au passage, via ce retour de l'épiphanique "I", un clin d’œil typographique à ses nombreux fans à travers le monde. Et maintenant, SPECTACLE, semble-t-il nous dire ! Le "I" de GLADIATOR s'élargit pour venir se dédoubler, avec ça, Scott, en fin limier, signe son opus 2, il annonce la couleur d'emblée. Et c'est hautement programmatique : il y aura, croyez-moi, mes amis (complicité immédiate avec les spectateurs, film vu, pour ma part, dans une salle pleine de l’UCC Ciné Cité Les Halles, Paname), et certes au risque de la surenchère (cher Peuple du Cinéma, pouces levés !), doublement de l’action - trop fort !
Denzel Washington tire grave la toge à lui !
- Denzel Washington (Macrinus), impérial dans « Gladiator II » de Ridley Scott
Puis, le film a pour effet spécial tout particulier Denzel Washington. Tout un poème, avec sa façon de relever ses robes épaisses longues et ses bagouzes de partout, rappelant, au passage, la Rome décadente poisseuse de Megalopolis de Don Coppola, film-fleuve certes inégal mais contenant tout de même quelques fulgurances et autres beautés plastiques sidérantes, il est épatant : la « Maison-Black » Washington y est une pique, un cap, une péninsule, que dis-je, à lui tout seul, un film dans le film ! Bon sang, quelle classe, c'est ça une star de cinoche (amenant son background spirituel et théâtral avec elle). Denzel, au passage, devrait s'appeler… New York tant il est plein de sagesse (libertaire). Ambigu au possible, shakespearien en diable, vous pouvez n’y aller que pour lui, il y est prodigieux (pas loin du hold-up) : il crève l'écran, par Toutatis. Sa dague dantesque (sournoise), ou glaive vengeur, est de feu !
- Allez, on y va ! Gladiateurs avant l’entrée dans l’arène en surrégime, à feu et à sang, de « Gladiator II »
Denzel Washington y est vraiment un salopard qu'on aime détester, hyper séduisant et, grâce à son charme fou, doté d’un capital sympathie hénaurmissime. En le regardant, difficile de ne penser à la fameuse phrase d’Hitchcock : « Au cinéma, plus le méchant est méchant, plus le film est réussi. »
Concernant son choix, impérial, Scott s'en est expliqué, avec clairvoyance, dans le Première du mois de novembre 2024 (#556, in article "La nouvelle conquête de Rome", p. 39, paroles rapportées par Sylvestre Picard) : « Quand j’ai fait le premier Gladiator, je me suis demandé : Où sont les vieux salopards ? Richard Harris est vivant ? OK. Oliver Reed ? OK. David Hemmings ? Parfait. Reed était très excentrique, mais quelle personnalité ! Avec eux, vous avez quelque chose devant la caméra que vous ne pouvez pas programmer. Je pouvais me planter à tout moment, mais la valeur de ce qu’ils apportaient à l’écran était inestimable. Vingt ans plus tard, j’avais besoin pour Gladiator II d’un acteur tout aussi formidable, mais encore plus, j’avais besoin d’un vrai bad guy. J’ai pensé à Denzel. Je lui ai envoyé une peinture de Jean-Léon Gérôme : c’était l’illustration d’un Noir spectaculaire, avec des muscles épais, vêtu d’étoffes orange et bleues. Un seigneur, un riche marchand, de toute évidence. Je lui ai dit : "Voilà, c’est ton personnage." Et il m’a répondu : "OK, je le fais." »
Ainsi, au croisement des monstres sacrés british d’autrefois et d’une forte présence charismatique contemporaine à l’écran, mâtinant force de la nature, bagage afro-américain du lourd héritage esclavagiste (il a manifestement lui aussi, comme Lucius, mais pour d’autres raisons, une revanche à prendre) et « force tranquille », Denzel Washington, avec ses épaules larges, est l’arme de séduction massive de cet opus (mot latin) 2, et ce sans jamais en faire de trop : il est, de toute évidence, l’Imperator du film ! D’ailleurs, Washington, qui incarne ce Macrinus, un ancien… esclave d’Afrique du Nord, n’a pas opté pour l’accent britannique, comme d’autres comédiens de la saga, à l’instar de l’Australien Russell Crowe et de l’Américain Joaquin Phoenix (y jouant un Commode pas commode du tout) dans Gladiator 1, puis de l’Irlandais Paul Mescal dans le 2, l’acteur ayant en effet préféré garder, ce qui nous est précisé dans la rubrique Secrets de tournage d’Allociné, son accent natal de New York et, face à la polémique que cela a engendré, il a justifié son choix au magazine Empire : « Le problème, c'est qu'on est où ? De qui est-ce l'accent ? À quoi ça ressemble, au fait ? Vous allez finir par imiter quelqu'un et vous retrouver avec un mauvais accent africain. » Voilà qui est signé ! Certes, il s’agit d’un rôle de composition, mais sans pour autant se renier soi-même ou tomber dans la caricature exotique facile.
Avec ce vrai méchant tordu irrésistible à suivre, pour nous les spectateurs, il s’agit de retrouvailles heureuses avec Denzel Washington, sachant qu’on ne l’avait pas vu aussi marquant, lui qui cachetonne tout de même de temps à autre, depuis belle lurette - mazette, c’est le grand Washington qu’on retrouve ici ! Dans Gladiator 2, ce bon vieux Denzel (69 ans) tire littéralement, et savoureusement, la robe à lui ! In article "Vous seriez prêt à me suivre au bout du monde, hein ?" (in Aujourd'hui en France #8391, mer. 13 nov. 2024, p. 30, propos recueillis par Renaud Baronian), ce sacré acteur qu’est Denzel Washington, nous livrant, pour l’occasion, au cinoche (il est aussi comédie de théâtre), l’une de ses meilleures prestations, sans oublier, nonobstant, ses prestations mémorables dans Malcom X, Philadelphia, Training Day, Man on Fire, American Gangster, Inside Man : L'Homme de l'intérieur et autres Livre d’Eli), est revenu, non sans malice ni précisions, sur son personnage en or, parce que pleinement équivoque, dans Gladiator 2, cet ex-esclave assoiffé de pouvoir nommé Macrinus pourrait d'ailleurs lui valoir une nomination - méritée - aux prochains Oscars (mars 2025), ainsi que sur la façon de travailler du grand Ridley Scott, qu'il retrouvait pour la deuxième fois (cf. American Gangster, 2007), sachant qu'il a encore davantage tourné avec son petit frère feu Tony Scott (1944-2012) [USS Alabama, 1995, Man on Fire, 2004, Déjà vu, 2006, L'Attaque du métro 123, 2009, Unstoppable, 2010], avec qui Ridley a fondé la société Scott Free Productions en 1995 : « Je le redis : si vous ne faites pas confiance au pilote, ne montez pas dans l'avion ! Et, pour moi, Ridley est un immense et brillant pilote. Il a atteint un gros niveau de sophistication dans l'art de faire des films. Pour ce qui me concerne, il m'a plus ou moins laissé me débrouiller sur Gladiator II. Le film n'est pas centré sur mon personnage, mais sur celui du gladiateur Lucius. Alors, Ridley devait se focaliser sur lui : c'est Paul Mescal qui fait l'essentiel du boulot. [Il dirige les comédiens] de façon remarquable. Il a la même approche avec nous durant les scènes d’action ou de dialogues. Il utilise beaucoup de caméras, jusqu’à 14, pour chaque scène et au final on a bouclé le tournage en 51 jours. Il y a quelques années, il en aurait fallu 200. Mais les caméras ne suffisent pas : Ridley Scott a plus d'énergie et d'adrénaline que quiconque. Il vous pousse à foncer la plupart du temps. Il a 86 ans, et il prépare déjà ses deux prochains films ! Il a encore plus d'énergie que lorsque j'ai tourné American Gangster avec lui en 2007. Il est toujours aussi excité par l'idée de faire du cinéma. »
Puis, ajoutant, quant à son personnage méphistophélique, alternant voix sucrée et éclats de rire tonitruant insolent, tout en jonglant entre le Iago envieux du Othello de Shakespeare et un Machiavel tout en toge lyrique et en sandales à lanières en cuir : « Le diable enrobe toujours ses projets maléfiques sous de la douceur pour vous entraîner dans ses forfaits. (...) Il est facile d'imaginer que ce personnage, même si ça n'est pas expliqué dans le film, a été, quand il était esclave, battu, abusé sexuellement, considéré comme un bout de viande. Mais ça n'excuse pas son comportement : Macrinus est un pur produit de la Rome antique, et il a su trouver un chemin qui va le porter très haut. » Bref, je vous le garantis, Denzel Washington, ici en éternel inside man au centre de bastons homériques qui s'enchaînent et d’intrigues politiques diverses, vaut le déplacement, à lui tout seul, non pas sur Mars, mais dans Game of Rome !, pour aller voir en salle ce Gladiator II.
- Paul Mescal est Lucius Verus dans la mêlée de « Gladiator 2 », 2024, de Sir Ridley Scott
Alors, certes, dans ce blockbuster survitaminé (du 4,5 sur 5 pour moi), les requins et les singes numériques y ont des mouvements trop saccadés mais, diantre, quelle force dans le filmage ! J’ai kiffé de ouf : le Général Sir Ridley Scott, en main de maestro, a ramené toutes ses troupes, techniques et actorales, sur le tarmac explosif du bigger than life. On décolle avec lui. Son film monstre a littéralement bouffé du rhinocéros, il est brut, sanglant, sauvage, antiromantique, viriliste et violent (ça décapite à tour de (deux) bras !), épousant parfaitement, et sans vergogne, la rage motrice de son personnage principal (Lucius Verus - enchanté, les soldats romains, au cours d'un assaut, lui ont tué sa jolie nana combattante alors il a la grosse colère, j'vous dis pas, contre eux), puis subtil (Denzel), il arrive, parfois, qu'il se calme. Ainsi, contrairement à ce que j’ai lu à droite à gauche (dans Le Palmipède par exemple), il serait faux de dire qu’ici Paul Mescal, habitué en général au cinéma d’auteur tels Aftersun et Sans jamais nous connaître, n’y serait que tout en muscle et en mâchoire serrée, eh oui il arrive que sa tempête sous un crâne (« J’ai adoré jouer Lucius comme un animal qui se bat pour sa propre survie, dixit Mescal, ne voudrais vraiment pas me retrouver coincé avec lui dans une arène »), fasse place à un havre de paix, certes trop rarement, réservant alors, quelque peu, tendresse et candeur, douceur et abandon, comme lorsqu’il se rapproche de l’homme plus âgé, le médecin des gladiateurs (ancien gladiateur lui aussi) avec qui il noue une amitié, soignant patiemment ses blessures.
- « Pollice verso » [« Pouce vers le bas »], huile sur toile au style académique de 1872, par Jean-Léon Gérôme (1824-1904), tableau iconique de la gladiature à l’origine du mythe du pouce retourné
Ce long-métrage hollywoodien, franchement, est un régal, même dans le too much il est attachant ! Pur plaisir scopique qui en met plein la tronche et les mirettes ! Merci Ripley, oups pardon, Ridley. Ave Scott. Et chapeau, my man, tu m'as grave, et gaiement, embarqué dans ton panache historiciste, et post-moderne, tel un gamin (partageur), bourré d'imagination, et un brin zinzin (cf. les deux frères jumeaux déviants !), jouant, ad libitum, avec ses petits soldats dans sa chambre (d'échos). Par exemple, j’ai aimé l’eau dans le Colisée (quelle vision ! C’est cadeau, c’est totalement délirant, spectaculaire à donf), c’est un (grand) gamin qui joue, alors il ramène, dans ses plans panoramiques, tout ce qu’il aime, au p’tit bonheur la chance. C'est, ni plus ni moins, du néo-péplum gérômesque sous amphets et c'est d'enfer ! Il est d’ailleurs à signaler, au passage, que le peintre français pompier Jean-Léon Gérôme (1824-1904) – cocorico ! - est une grande source d’inspiration pour Ridley Scott car c’est en lui présentant son fameux Pollice Verso (1872, tableau iconique de la gladiature à l'origine du mythe du pouce retourné), par l'intermédiaire des producteurs de Dreamworks, qu’on avait réussi à le convaincre de tourner Gladiator en 2000.
Ce Gladiator II est-il historiquement crédible ?
- Mosaïque représentant deux bestiaires armés d’épieux de chasse, affrontant ensemble un tigre, IIe siècle, leur équipement pouvant rappeler celui des gladiateurs, Musée de la mosaïque du Grand Palais, Istanbul
Alors, question vraisemblance, quid de la présence de requins chez les Romains de l’Antiquité ? Et les gladiateurs affrontaient-ils vraiment des animaux sauvages dans l’arène ? Pour ce faire, j’ai consulté notamment le remarquable hors-série du Monde, La grande épopée des gladiateurs (en partenariat avec Glénat), paru dernièrement et chapeauté par Éric Teyssier, professeur en histoire romaine à l’université de Nîmes. Concernant les babouins mutants et requins-tigres mangeurs d’hommes, du Gladiator 2, c’est fort peu probable ; il est même fort à parier que les Romains ne connaissaient même pas le requin en tant qu’animal. Pour autant, certains combats de gladiateurs impliquaient des animaux dont des ours, des rhinocéros, des tigres, des éléphants et des girafes : le plus souvent, des animaux affamés combattaient d'autres animaux affamés mais, parfois, il est vrai, des animaux affamés se battaient contre des gladiateurs dans des combats qu'on appelait venationes (« chasses aux bêtes sauvages »).
Autre question que l’on se pose en voyant l’arène, dans le film, spectaculairement transformée en immense bassin (naumachie) sillonné par des requins (hélas aux mouvements de robots) : le Colisée pouvait-il se remplir d’eau ? Pour rappel, au niveau de l'Antiquité, la naumachie, c'est la représentation, dans un bassin, d'un combat naval : il s'agissait, la plupart du temps, de combats navals mis en spectacles afin de célébrer une victoire militaire. À l'origine, le spectacle offert pouvait, au choix, ou successivement, montrer joute nautique, une régate ou un simulacre de bataille en pleine mer, sur un lac ou un fleuve. Perso, en voyant cette scène-clou de bataille navale en vase clos, je me suis souvenu d'un documentaire passionnant diffusé il y a quelque temps sur Arte, qui abordait la gladiature en reposant notamment sur des fouilles archéologiques effectuées à même le Colisée, haut lieu de démonstration pour affirmer la puissance de l’Empire romain, qui avaient révélé de savants systèmes hydrauliques permettant ce type de grand spectacle aquatique dans l’arène « hollywoodienne et pompière » avant l’heure (sans les requins pour autant, lubie scottienne, ou licence poétique, manifestement !).
Autrement dit, il est possible que les ingénieurs romains aient « creusé » cette idée-là, c’est le cas de le dire !, mais, selon les spécialistes, après vérification, les galeries souterraines construites sous l’édifice, que l’on voit bien d’ailleurs dans Gladiator 2, permettant aux animaux de (les faire) passer avant qu’ils n’entrent dans l’arène, rendaient quasiment impossible de remplir celle-ci d’eau : bref, s’y logeait une contradiction empirique difficilement solutionnable (pour l’époque). Ainsi, inonder le Colisée (immense bâtisse) semble impossible. Pour autant, dans certains amphithéâtres romains antiques adaptés à la naumachie, des historiens notent, en s’appuyant notamment sur des récits d’auteurs anciens, qu’ils étaient remplis et vidés assez rapidement pour être utilisés lors de combats de gladiateurs et d'autres spectacles, la transition rapide, et « magique », entre les spectacles aquatiques et terrestres semblant vraiment avoir été l'une des grandes attractions de cette époque-là, afin d'épater la galerie.
Les grands esprits se rencontrent, de Scott à Coppola via Plutarque !
Autre fait notable, le rapprochement du film Gladiator 2 avec l’univers sanglant et désenchanté, tout de même teinté d’espérance, du grand Francis Ford Coppola (85 printemps). Lorsque Ridley Scott montre une Rome antique hautement corrompue par le pouvoir en place et les luttes acharnées, au sein d’un vrai panier de crabes pensant non pas à servir la Ville éternelle à bout de souffle mais à se servir, pour le conserver ou l’obtenir de force, en passant par les coups bas sans aucunement hésiter à utiliser la violence physique, difficile de ne pas penser, comme naturellement (comme si ça coulait de source), au péplum « philosophique » rétro-futuriste Megalopolis (au coût de 120 millions de dollars, pour ce tout dernier long follement ambitieux, le cinéaste d’Apocalypse Now a même été jusqu'à revendre une partie de son vignoble), qui on s’en souvient, tout en naviguant, souvent avec brio, au croisement du pamphlet politique, du blockbuster d’auteur (oxymore !), de la fresque catastrophe et de la fable philanthropique (l’on y voit notamment Wall Street redevenir un temple, la statue antique géante de la Déesse de la Justice se transformer en une sorte de colosse de Rhodes qui s'effondre et le Madison Square Garden offrir « panem et circenses », « du pain et des jeux »), montrait tout ce que la République américaine doit à la Rome antique, tant pour le meilleur (la loi) que pour le pire (le vice, la décadence), le tropisme principal de ce film-prototype (on peut le voir comme une immense installation faisant office d’« œuvre ouverte » où l’on y entre et sort comme on veut) visant à calquer la chute de l’empire américain sur celle de la Rome antique, vaste chantier, sous forme de work in progress.
Dedans, New Rome, la « Nouvelle Rome », y est une sorte de New York futuriste et son héros César Catilina (Adam Driver), un architecte visionnaire filiforme, voguant de temps à autre sur des poutrelles d’acier en plein ciel et aux faux-airs de Frank Lloyd Wright, de Charles Fourier et de Walter Gropius (fondateur du Bauhaus en Allemagne), lutte, par l'utopie urbanistique (il veut rénover la cité grâce à une technologie révolutionnaire, on pense alors au merveilleux film Tucker, 1988, by Coppola, avec Jeff Bridges), contre la corruption massive, menée par le maire archi-conservateur Franklin Cicero (Giancarlo Esposito) protecteur de la cupidité, des privilèges, de la corruption ainsi que des milices privées, s’échinant à maintenir, coûte que coûte, le statu quo d’un pouvoir à l’ancienne.
- La sulfureuse Wow Platinum (Audrey Plaza), journaliste corrompue (cul et chemise avec le pouvoir en place), dans « Megalopolis » (2024, la dernière cuvée de Coppola) : présentatrice TV vedette spécialisée dans la finance
Ainsi, s’affrontent ici deux magnats aux visions opposées réunis malgré eux par Julia Cicero (Nathalie Emmanuel), amoureuse du premier et fille du second, jet-setteuse tiraillée donc entre son amant et son géniteur. Et si Coppola n’est pas dupe d’un système corrompu, survendu par des médias mainstream complices à la botte du pouvoir, orfèvre en mains sales et en bains de sang épurateurs (ne pas oublier que Rome est le modèle par excellence de la République mais c’est également la ville de naissance du fascisme, il s’agira d’aller voir du côté de l’écrivain Gabriele d’Annunzio et de Mussolini), annonçant la chronique d’une mort annoncée de la civilisation occidentale, il croit tout de même en une espèce de cité radieuse, fouriériste et écolo, ouvert à pleins poumons sur la jeunesse : à la fin du film, un beau bébé, prénommé même Francis !, envahit même tout l’écran.
- « Don Coppola-Dracula ! », ©dessin par VD, feuille 24 x 32 cm, crayon à papier, pastel, paint marker blanc, acrylique, août 2024, d’après F.F Coppola, ©photo 1990 by Paramount Pictures Corp.
Dans Le Point #2720, 19 sept. 2024, in article "À 85 ans, je comprends enfin le sens de la vie", p. 84, propos recueillis par Philippe Guedj), le légendaire Francis Ford Coppola, très érudit (évoquant dans moult interviews pour accompagner son long-pensum, pêle-mêle, Plutarque, Marc Aurèle, Ibsen, La Conjuration de Catilina (un conjuré qui promet d’effacer toutes les dettes), Ayn Rand, l’autrice de La Source vive, qui inspira King Vidor pour Le Rebelle (1949), avec Gary Cooper, ou encore l’urbaniste controversé Robert Moses (1888-1981), surnommé le « maître de la construction »), est d’ailleurs revenu précisément sur cette analogie New York/Rome avant la chute (d’Icare) : « Toute l’histoire de l’Amérique mène à la Rome antique. Thomas Jefferson et Benjamin Franklin étaient par exemple des hommes instruits, latinistes et qui ont lu les récits de guerre de César. Ils connaissaient bien l’histoire romaine et ont décidé de fonder les États-Unis sur le modèle de la République romaine, parce qu’ils ne voulaient pas d’un roi comme en Angleterre. À New York, le style de nombreux gratte-ciel évoquent la Rome antique, notre code civil s’inspire des lois romaines. L’Amérique est devenue Rome. Et l’évolution de notre Congrès me fait penser au sort de Rome. La République était prospère mais les sénateurs étaient plus préoccupés par leur propre pouvoir et leur richesse que par le fait de bien gouverner. J'observe le même phénomène avec nos sénateurs américains. Les germes de ce qui a détruit la République romaine sont à l'œuvre dans l'Amérique d'aujourd'hui. À l'approche de l'élection présidentielle, le pays va soit consacrer un dictateur à vie [Trump, élu, depuis le 6 novembre dernier, 47ème président des États-Unis], soit se doter d'une vraie République. »
- « Combat de femmes [Gladiatrices] », 1636, Jusepe de Ribera (1591-1652), signé et daté en bas à droite, huile sur toile, Madrid, Museo Nacional del Prado
Dans Gladiator 2, la contemporanéité à l’œuvre, alors que Donald Trump le conservateur républicain boosté par le soutien du tout-puissant Elon Musk, patron d'X, vient de se faire réélire, via le vote massif de moult Ricains craignant un déclin de l'Empire yankee, à la Maison-Blanche, frappe aux yeux, comme s'invitant ici, subrepticement, à travers le cynisme de certains personnages (les jumeaux crétins, le riche marchand Macrinus) tirant l'intrigue, alors que de son côté le général Marcus Acacius (Pedro Pascal) s'interroge quant à sa loyauté à la Rome, vers les coulisses en eaux troubles d'une convention républicaine aux States.
- Connie Nielsen (Lucilla), dans « Gladiator II »
Puis, au vu du triomphe du 2, et d’un 3 donc fort envisageable, Ridley Scott [alors que moi, perso, j’aurais rêvé d’un opus 3 donnant la part belle aux femmes… gladiatrices (ça existait !), ici on n’y trouve qu’une jeune amoureuse sublime vite tuée (Arishat/Yuval Gonen, l’épouse de Lucius Verus), et Connie Nielsen toujours en mère protectrice, d’autant plus que ce cinéaste a pu par le passé donner de grands rôles – féministes – à des actrices (Sigourney Weaver/Ripley dans Alien, Geena Davis et Susan Sarandon dans Thelma & Louise, 1991, Jodie Comer/Marguerite de Carrouges dans Le Dernier Duel, 2021, et que, en guise de clin d’œil, on croise actuellement, dans l’expo Ribera, jusqu’au 23 février 2025, au Petit Palais, une composition absolument étourdissante, qui interpelle : Combat de femmes [Gladiatrices ?], 1636, huile sur toile par José de Ribera, en provenance du Prado à Madrid, montrant frontalement un combat entre femmes, certes la fameuse sororité, tant vantée de nos jours, y est absente, mais ne dit-on pas "qui aime bien châtie bien" ?, son cartel indiquant : « Deux femmes luttent dans un duel acharné à l'épée et au bouclier. L'une d'elles, ayant le dessus sur son adversaire, est sur le point de lui porter le coup de grâce, sous le regard d'une assistance masculine relativement impassible »], abordait cash la piste de Gladiator III en se référant explicitement à son confrère Mister Coppola, toujours dans le Première précédemment cité de nov. 2024 (#556, page 38) : « Je joue déjà avec l'idée d'un Gladiator 3 ! Non, vraiment ! J'ai allumé la mèche ! La fin de Gladiator II rappelle celle du Parrain, où Michael Corleone se retrouve à une place qu'il ne veut pas et qui se demande : 'Maintenant, Père, que dois-je faire ?' Le prochain sera sur un homme qui ne veut pas être là où il est dans sa vie... »
- Le guerrier épique Lucius (Paul Mescal), en sueur et en sang, dans « Gladiator II »
Puis Ridley, sans façon ni faux-semblants, poursuit, des plus lucides : « [Lucius] va se frotter à la corruption, vous allez voir. On croit que les Romains sont comme dans les beaux livres d’histoire. C’était une belle bande d’enfoirés maléfiques ! Il suffit de voir ce qui se passait dans le Colisée - bon, j’ai rendu ça divertissant en y plaçant un rhinocéros furieux ou une bande de babouins carnivores… Mais le Colisée, c’est vraiment le mal incarné, non ? La foule était vraiment crédule ! » Effectivement, on est en plein nid de guêpes ! Allez, un scotch pour ce cher Scott, car il a sacrément réussi cette suite excellemment bien rythmée ; pourtant, à dire vrai, ce n'était pas gagné au départ, d'autant plus qu'on le sait en petite forme depuis un moment, de l'alambiqué Dernier Duel au lourdingue Napoléon en passant par l'oubliable House of Gucci (2021). Mais Gladiator 2, de son côté, à la fois brut de de décoffrage et subtil, parle puissamment, sur fond de « civilisation romaine » antique faisant écho à la « civilisation occidentale » d’hier et d’aujourd’hui, de la question universelle de l’héritage, de la façon dont on s’en empare et de ce qu’on en fait, adhésion, voire amour à son égard, par-delà possiblement la morale établie, ou rejet ? Et, au vu de la qualité évidente de ce deuxième Gladiator (un conseil, courez-y, comme bon vous semble, en baskets dernier cri ou en sandales en cuir lacées !), on a vraiment hâte de voir la suite !
GLADIATOR II (2024 – 2h28), Royaume-Uni, États-Unis, De Ridley Scott. Scénario : David Scarpa. Musique : Harry Gregson-Williams. Avec Paul Mescal, Pedro Pascal, Denzel Washington, Connie Nielsen, Joseph Quinn, Fred Hechinger, Derek Jacobi, Russell Crowe (images d’archives du film Gladiator) et Yuval Gonen. Produit et distribué par Paramount Pictures. En salles depuis le 13 novembre 2024.
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