Glory to Takeshi Kitano !
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Etonnant qu’un film de Kitano ne fasse presque plus parler de lui quand il sort. Par exemple, son petit dernier, Glory to the filmaker !, est sorti en France le 16 juillet 2008 dans une indifférence quasi généralisée. Plus d’un an après sa sortie au Japon (Kantoku Banzai, jap., 2007, 1h48) et après sa diffusion sur le Web, c’est une sortie (de route ?) ô combien discrète pour ce nouveau Kitano (certes film-patchwork expérimental pas terrible), souvent ignoré par des critiques blasés et maltraité, me semble-t-il, par des distributeurs paresseux, manquant d’audace et de panache.
Pourtant, que ce soit chez lui ou ailleurs, le mélancomique Takeshi Kitano reste, selon moi, tout à fait passionnant, voire fascinant, quant à sa façon de se mettre ad libitum en scène. Ici, il s’agit d’une suite de saynètes délirantes et d’exercices de style farcesques, une succession d’haïkus visuels à la limite de la foirade totale, tel un pot – ouvertement ! – pourri. Le pitch est simple, il s’agit d’une mise en abyme, le coup du film dans le film : le célèbre cinéaste Takeshi Kitano a pour projet de réaliser le film ultime pour les amateurs de cinéma du monde entier, celui-ci imagine alors tous les genres possibles pour ce work in progress ratissant large : « un film de divertissement énorme », « un réalisateur tourne des tas de films inachevés », « Ozu + Ninja + Années 50 + Romance + Film d’horreur + S.F. », « un futur triomphe au box-office ! Au bord de la crise mondiale ! », « Takeshi Kitano présente un film multiple dédié à tous les fans de cinéma », nous dit sa bande-annonce à l’esprit potache. Kitano se balade tout au long du film avec un double de seconde main, à savoir un mannequin en papier mâché à son effigie, une sorte de grand Playmobil fait de bric et de broc semblant fabriqué par un plasticien-bricoleur à
En bref, c’est l’artiste et l’homme Kitano, à la gueule cassée, ravagée (son visage est à moitié paralysé suite à un accident de moto en 1994), qui me touche particulièrement. J’aime ses tiques et ses tocs, son côté poseur et son statut de star assumé mais heureusement contrebalancé par une autodérision manifeste. Et je ne suis pas loin de penser que le meilleur film de Kitano n’est pas, à proprement parler, DE lui mais simplement AVEC lui, c’est, pour moi, le documentaire Takeshi Kitano l’imprévisible (1999), issu de la collection Cinéma de notre temps. Ce film franco-japonais de Jean-Pierre Limosin (Tokyo Eyes, 1998), c’est une sorte de travail en cours : on y voit Kitano chez lui, très loin du fracas des Battle Royale, en train de dessiner dans le silence de son atelier et de ses feuilles blanches qu’il remplit patiemment - c’est très beau. Le less is more de son énigmatique mutisme et de sa présence-absence nous le montre tel qu’il est : un mélancolique se créant des sentiers d’infinies libertés au sein de plages de solitude et de temps suspendus, que ce soit au cinéma ou au sein des arts plastiques. Un ange passe. Le silence est d’or.
Dans ce « cinéma-vérité », ce « cinéma-stylo » signé Limosin, au fil d’une plume d’une grande délicatesse qui trace des lignes claires sinueuses, sa poésie de feux d’artifices apparaît, à l’image de ses très beaux dessins - entre kitsch, aplats saturés et zénitude - que j’avais eu la chance de découvrir il y a quelques années à
Si l’on reprend Rivette, « un film est aussi un documentaire sur son tournage », aussi, quand je regarde un film avec Kitano (de lui ou non, qu’importe), c’est lui que je regarde au scalpel, guettant dans l’abîme de son regard fixe, les tréfonds de son âme complexe, entre yin et yang, entre pudeur et provocation, entre intimité et extravagance, ô combien bouleversantes. On le sent hanté par l’angoisse de sa finitude et travaillé éternellement par la quête d’absolu de son art. C’est l’être-là, au sens heideggerien du terme (son Dasein rejoint aussi le fameux ça a été de la pose photographique selon Barthes), qui me fascine dans et chez Takeshi Kitano. Banzaï ! Glory to the filmaker !
Documents joints à cet article
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