Hervé Di Rosa, un passe-mondes revigorant au Centre Pompidou
L’artiste français Hervé Di Rosa, 65 ans au compteur (né en 1959 à Sète et formé aux Arts décoratifs à Paris), se voit – enfin – exposé au Centre Pompidou à Paris, via une mini, et modeste, rétrospective de son parcours artistique atypique, jusqu’au 26 août prochain, regroupant une trentaine de ses pièces (peintures, dessins, tableaux-reliefs et sculptures, dont une douzaine, appartenant à une série, donnée généreusement par le plasticien à l’institution), permettant, avec pour point de départ sa toile Diropolis acquise par le musée en 1985, de mettre en avant les trois facettes qui caractérisent sa démarche, agrégeant à la fois le chef de file de la Figuration libre, le créateur globe-trotter (cf. son projet Autour du monde) et le collectionneur compulsif, passionné d’art modeste, fondateur du MIAM (Musée international des arts modestes) à Sète dans l’Hérault. Il faut savoir que les œuvres de Di Rosa n’avaient pas été exposées depuis 1987 dans un grand musée public de la capitale, même si ses aficionados peuvent se souvenir de son expo-somme remarquable Plus jamais seul en 2016 à feu La Maison rouge (ex-Fondation Antoine de Galbert) qui l’avait largement accueilli, Hervé Di Rosa, soudain en odeur de sainteté, pouvant aussi, par la même occasion, s’enorgueillir de sa prochaine intronisation, le 12 juin prochain dans le fauteuil de Jean Cortot (1925-2018), à l’Académie des Beaux-Arts.
- La vitrine impressionnante, à l’entrée de l’expo, de « Objets d’art modeste », collections d’Hervé Di Rosa et du Musée international des arts modestes (MIAM)
- « Diropolis », 1985, acrylique sur toile, Hervé Di Rosa, 226,7 x 193 cm, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris
Même si trop courte, cette expo à Beaubourg, consacrée à cette artiste du Sud à la faconde méridionale des plus séduisantes – difficile de l’arrêter de parler ! - témoignant joyeusement de sa rage de vivre, de son goût des autres et de son envie de prendre régulièrement le large pour cultiver son bonheur des voyages et renouveler sa pratique, s’avère enthousiasmante. Car malgré son étroitesse (on aimerait plus d’œuvres et voir tous les artistes de ladite Figuration libre, dont Di Rosa, connaître enfin une rétrospective on ne peut plus méritée au Centre Pompidou !), elle brasse large, séduisant tant les petits – il faut voir les gosses se ruer à l’entrée du circuit sur sa vitrine pop de figurines articulées attirant avec eux par la main leurs parents amusés ! Véritable coffre à jouets, pop et rigolo : de Freddy Krueger à Goldorak en passant par le Baron Vladimir Harkonnen de Dune et Superman, ils y sont tous, y compris l’artiste himself, en action figure attirante - que les grands, en faisant dialoguer arts occidentaux et extra-occidentaux, breloques et peintures ainsi que cultures populaire (BD, cinéma, télé, rock, pop art) et savante. Ce vaste territoire iconographique agencé, aux frontières incertaines bienvenues, se tenant à distance du système des beaux-arts, histoire de déplacer le regard vers des territoires esthétiques en marge du « Grand Art », même si exposé ici en son sein (l’institution muséale), mérite, selon moi, un coup de projecteur.
- Hervé Di Rosa devant ses bibelots collectionnés, à feu La Maison Rouge, Paris, le 22 octobre 2016, ©photo V. D.
Du punk au moine bénédictin en passant par la peinture figurative
- Figurine articulée du croquemitaine Freddy se trouvant dans l’installation « Objets d’art modeste », collections Hervé Di Rosa et MIAM
Qui est Hervé Di Rosa ? Grosso modo, un punk devenu académicien ! Plus précisément, cet artiste, issu d’un milieu sétois modeste (fils d’un père employé de la SNCF à la gare de triage et d’une mère femme de ménage), est membre, depuis le tout début des années 80, aux côtés de Rémi Blanchard (1958-1993, plastiquement le meilleur !), de François Boisrond et de Robert Combas, de la Figuration libre – il s’agit donc d’un quatuor -, définie par Ben, histrion bien connu de la mouvance Fluxus, notamment par le biais de son écriture d’écolier foutraque courant sur moult trousses d’élèves : « Figuration libre = 30% de provocation anticulturelle ; 30% de libre figuration, 30% d’art brut et 10% de folie. » En réaction au modernisme abstrait et aux figures imposées, minimale et conceptuelle, des musées de prestige et galeries puissamment établies, ces quatre mousquetaires hexagonaux de la Figuration libre, s’adjoignant à quelques autres (Jean-Charles Blais, Richard Di Rosa, etc.), s’adonnent pendant les années quatre-vingt, notamment sous la houlette du critique d’art Bernard Lamarche-Vadel les réunissant en juin 1981 dans l’exposition « Finir en Beauté », à une peinture figurative spontanée et très colorée, inspirée par la culture populaire (BD, cinéma, rock, etc.), peignant en général sur la toile libre, sans châssis, en utilisant parfois comme supports draps, cartons ou dos d’affiches ; les graffitistes américains sont le pendant de ce mouvement aux States, ayant pour noms (illustres) Jean-Michel Basquiat et Keith Haring. Du premier, Di Rosa précisait ceci dernièrement à Yves Jaeglé, dans Aujourd’hui en France #8141 (jeudi 7 mars 2024, p.27, papier Hervé Di Rosa, la dolce vita) : « J’étais parti aux États-Unis [New York] pour décrocher de l’héroïne et lui était complètement dedans. On n’a pas vraiment fait connaissance. J’ai été plus proche de Keith Haring, qui m’encourageait. »
- Goldorak & Cie sous verre dans le best of ludique « Objets d’art modeste », collections Hervé Di Rosa et Musée international des arts modestes
- La figurine articulée d’Hervé Di Rosa himself au sein de la devanture « Objets d’art modeste », collections d’Hervé Di Rosa et du MIAM
Hervé Di Rosa, dans le prolongement des pop artistes (Warhol, Lichtenstein) puisant ouvertement dans les vignettes de comics, évoque alors, dans ses peintures à l’acrylique (agencées, dans son style grotesque coutumier, à partir des années 80, mais il poursuit toujours volontiers, encore aujourd'hui, ce langage-là, croisé dans des musées et galeries, en France et ailleurs), les cases de la bande dessinée via une figuration cartoonesque à cheval entre Star Wars et les Pieds Nickelés, tout en s’inspirant du monde de l’enfance, nourri de BD, de héros de feuilletons télévisés, de magazines pulp et de disques vinyles. Son sens de la composition est sûr, ses toiles souvent de grand format, saturées d’éléments figuratifs et de couleurs, visuellement percutantes. Mais il le reconnaît aisément, toujours dans Aujourd’hui en France, « Je n’ai jamais été très doué, je n’avais pas beaucoup de talent. Moebius je l’a vu faire, il dessinait d’un trait le bonhomme parfait. J’étais très loin de cette virtuosité », allant même jusqu’à ajouter dernièrement ceci dans Le Monde # 24624 (lundi 3 mars 2024, p. 27, in entretien Je suis beaucoup redevable à la République avec Frédéric Potet) : « J’aurais adoré devenir auteur de bande dessinée. Mais ce métier exige une discipline de moine bénédictin. Je suis incapable de dessiner deux fois le même personnage. D’où mon admiration pour les Franquin, Will, Macherot, Tillieux, des vrais artisans qui ont raconté des histoires toute leur vie dans des toutes petites cases. Je ne suis finalement qu’un peintre qui se trouve être fan de BD. Je n’ai rien contre la peinture abstraite qu’on accroche au-dessus du canapé ou dans un cabinet de dentiste pour faire joli. Ma peinture, c’est un peu de l’anti-décoration. Je me suis toujours senti comme un "maverick" [un franc-tireur], à la marge. »
- « Evolution », 1998-1999, Hervé Di Rosa, « Autour du monde », 8e étape, Durban, Afrique du Sud, câbles téléphoniques tressés, d. : 79 cm
- Hervé Di Rosa (2024,photo LP/Arnaud Dumontier) au côté de son arbre de vie « Ecoute ton corps il est vivant », 2000-2002, « Autour du monde », 10e étape, Mexico, Mexique, terre cuite et peinture acrylique, 195 x 128 x 39 cm, Beaubourg
Et si on lui rétorque que sa peinture bariolée est un poil gadget, l’artiste (in Le Monde, id.) assume pleinement : « J’étais effaré de voir comment les artistes se prenaient au sérieux dans les années 1980 [on peut penser aux tenants de l’art conceptuel, du minimalisme et de Supports/Surfaces], j’assume ce côté gadget. Le côté feuilletoniste aussi. Mes références sont Balzac et Dumas : ils enchaînaient les épisodes comme moi j’enchaîne des séries de toiles, qui ne se vendent pas des millions d’euros. Je peins pour vivre matériellement. Pour une autre raison aussi : ne pas sombrer dans la dépression et dans certaines dépendances. »
- « Gold Show », 2019, Hervé Di Rosa, 210 x 128 cm, acrylique sur toile, collection particulière
En ce sens, dans l’expo de Beaubourg, deux toiles très réussies, accrochant le regard, calées dans cette imagerie-là (entre BD et peinture, Di Rosa y développe sa « Dyromythologie », à savoir sa mythologie personnelle, notamment constituée de ses personnages bédéesques de Renés créés dans les années 1980, petit peuple loufoque à la morphologie singulière, limitée à l’œil et aux lèvres), très emblématiques de sa démarche transversale mâtinant bande dessinée et Histoire de l'art, avec son marché : dans l’une (Gold Show, acrylique sur toile, 2019), on y observe ses fameux Renés, à tête de cyclope et au profil de boursicoteurs, jaugeant un monochrome or – difficile de ne pas penser aux Monogold d’Yves Klein atteignant aux enchères des prix astronomiques - comme s’ils confondaient résolument icône artistique et placement financier. Et, dans l’autre, intitulée Storage of Treasure (acrylique sur toile, de 2019 également), on voit à l’œuvre, façon accumulation à la Arman ou cloisonnage à la Erró, un immense cabinet de curiosités, oscillant entre inventaire à la Prévert et vertige de la liste selon Eco, boîte de Pandore et caverne d'Ali Baba, visité par deux Renés qui, par une ouverture, regardent un amoncellement baroque d’objets hétéroclites entreposés, sur des étagères et en rangs serrés, tels figurines, statuettes, masques et autres globes terrestres, ne répondant visiblement à aucune hiérarchie, ces derniers symbolisant assurément l’ouverture géographique. Ici, de manière évidente, et vertigineuse, Hervé Di Rosa fait malicieusement, à travers un tout composite d'objets, son autoportrait, cette réserve de musée, prenant des airs de boutique de souvenirs ou de magasin d’accessoires d’un théâtre, évoquant, en ce qui concerne sa personne, tant l’artiste boulimique de la Figuration libre que le collectionneur passionné de l’art modeste, fondateur du MIAM, sans oublier le voyageur inlassable du monde.
- « Storage of Treasure », 2019, Hervé Di Rosa, 221 x 121 cm, acrylique sur toile, collection particulière
Un artiste modeste majeur autour du monde
- « Trapèzes ou lignes ? (1200%) », 1987-2014, Vera Molnár, expo voisine de Di Rosa : « Parler à l’œil », au Centre Pompidou, Paris
Soit dit en passant, visuellement, Hervé Di Rosa, c’est le jour et la nuit avec sa voisine d'en face (Vera Molnár, 1924-2023) : pour autant, il y a, chez les deux, l’idée de se jouer des codes de l’art ainsi que la dimension du jeu, d'un art ludique, la Hongroise minimale, figure maîtresse de l’abstraction géométrique et de l’art algorithmique, passant par les mathématiques et le codage informatique alors que le Français post-moderne, lui, tout en se la jouant modeste (ouverture sur des pratiques populaires, voire vernaculaires), se sert astucieusement du langage de la bande dessinée et de la culture populaire aux accents parfois kitsch - mais sans ironie ou second degré à deux balles – ainsi que du tropisme de la collectionnite aigue, en lui, pour fabriquer, étape par étape, et par séries, son œuvre tentaculaire, explosive de couleurs pétantes. Pour Di Rosa, ce foisonnement d'apparat – « une boîte d’allumettes seule ne fait pas œuvre, mais quand il y en a 10 000, c’en devient une », dixit cet artiste collectionneur - aurait pu être sa limite : autrement dit, faire toujours la même chose, livrer sans fin des petits Mickeys en peinture ou des « moules à gâteaux », comme le disait si bien Picasso ; plein d’artistes font ça, hélas, ils trouvent leur style virant vite, à coups de recettes appliquées ad nauseam, à la caricature, enfermés qu’ils sont dans une identité stylistique sclérosante, restant trop paresseusement dans leur zone de confort.
- Dans l’expo Di Rosa à Beaubourg, Paname
« Découvrir et apprendre, précise Hervé Di Rosa, en toute humilité, de nouvelles techniques à travers la formidable richesse artistique et artisanale de tous ces pays dits "sous-développés" est pour moi la seule direction acceptable aujourd’hui, fatigué que je suis des ronds de jambe et des cerveaux de l’art contemporain occidental. » Ainsi, et fort heureusement (ce geste disruptif d’artiste baroudeur, iconomane et cartographe, pourrait même confiner au génie !), Di Rosa a renouvelé, au fil du temps, sa pratique, en accroissant son amplitude (car son style BD « gros nez et grosses lèvres » a un côté limité et répétitif à la longue d'autant plus qu'il lui manque, question jeu de massacre jouissif dans l'esprit d'un Joe Dante ou d'un Tim Burton, le côté trépidant du cartoon, Hervé étudia d'ailleurs plus jeune le cinéma d'animation), via non seulement son voyage autour du monde, entrepris à partir de 1993, pulvérisateur de frontières, d’idées reçues et de hiérarchies (dix-neuf étapes jusqu’à présent), décidant alors de confier ses images à différentes techniques, savoir-faire et modes d’expression d’autres cultures (de Sofia à Lisbonne, sa dernière étape d’Autour du monde à ce jour, en passant par Kumasi, Porto-Novo, Addis-Abeba, Bình Dương, Durban, La Havane, Mexico, Foumban, Miami, Tunis ou Séville, tel l’usage de la laque incrustée de nacre et de coquilles d'œuf du Viêt Nam par exemple), mais également à travers son très intéressant Musée international des arts modestes (MIAM, Sète) fondé, en 2000, avec l’aide de Bernard Belluc, qu’il a rencontré en 1990 (il s’agit d’un artiste et chineur d’objets du quotidien des années 1950 et 1960, tels bouteilles de lait, pots de yaourt et mobylettes).
Institution bord-cadre aimant prendre la tangente, à mille lieues du snobisme et de la morgue du sacro-saint white cube en faisant allègrement tomber les murs, sans pour autant les opposer, entre cultures savante (l'Histoire de l'art et les grands peintres) et populaire ; perso, j'y avais vu par exemple, il y a quelques années, une expo chorale dingue et déviante sur la BD nippone underground (Heta-Uma, 40 ans d'avant garde graphique japonaise, 2015) alimentée par plein de fantasmes, de frustrations et de peurs, tant primales que « nationales », dont le trauma du nucléaire. C'était en tous points épatant et fascinant. « Ne pas être exposé dans les centres d’art, dixit Di Rosa (in Le Monde, la Figuration libre a longtemps été victime d’ostracisme, d’ailleurs l’expo perso de cet artiste en 2024 au Centre Pompidou-Paris est, avouons-le, toute petite !), m’a poussé à ouvrir mon propre musée, un lieu où seraient montrés non seulement des œuvres qu’on ne voyait pas ailleurs, mais aussi des jouets, des figurines, des bibelots, créés ou manufacturés aux confins de l’art brut et de l’art populaire. »
- Détail de « Rich and Poor », 2005, Hervé Di Rosa, « Autour du monde », 12e étape, Miami Beach, Floride, États-Unis, bois et résine peints, 200 x 150 x 90 cm
- La carte et le territoire : la mappemonde « L’Archipel des arts modestes », 2023, courtesy Hervé Di Rosa
En fonction des expos temporaires organisées (la prochaine au MIAM sera consacrée cet été à l’art commercial ignoré des musées, s’apparentant à des espèces de peintures de paysage façon musique d’ascenseur pouvant nous conduire vers des contrées inconnues et euphorisantes), on y voit très souvent, pêle-mêle, à la croisée entre arts décoratifs, art religieux, art brut, art naïf, art commercial, art folklorique, bande dessinée, industrie du jouet, art des amateurs, artisanat vernaculaire et collectionnisme brindezingue (à Beaubourg, Hervé Di Rosa présente même une immense mappemonde symbolisant cet ensemble d'« îles de l’archipel des arts modestes »), une pléthore de jouets, accessoires, vêtements, disques vinyles de rock, bandes dessinées, maquettes en allumettes, boules à neige, flippers, « mobilier de dictateur », calendriers et autres chars de carnaval – liste non-exhaustive !, parlant de l’humaine condition et de sa propension iconoclaste, à travers les continents, à faire feu de tout bois, voire à tout conserver, ce musée gargantuesque improbable qu’est le MIAM montrant habituellement, avec ses chemins de traverse roboratifs proposés, ce que les musées des beaux-arts et d’art contemporain se sont longtemps refusés à montrer - aujourd’hui, c’est différent, les mentalités évoluent peu à peu, les institutions s'ouvrant de plus en plus à un art pluriel, dont l'art modeste, sans A majuscule s'il vous plaît.
- « Guns », 2005, Hervé Di Rosa, « Autour du monde », 14e étape, Little Haiti, Miami Floride, États-Unis, sequins et perles sur tissu, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne
Ainsi, Di Rosa, tour à tour encyclopédiste, ethnologue, historien, archiviste, sociologue et iconographe, n’a pas fini de nous surprendre. Certes, le peintre bédéiste et rock qu’il demeure encore aujourd’hui est séduisant et respectable - la preuve en est qu’il finit au musée en tant qu’acteur majeur de la Figuration libre, mouvement libertaire ayant pleinement sa place dans l’Histoire de l’art contemporain - mais c’est certainement, en lui, le plasticien itinérant aventureux, tissant avec son tour du monde artistique « des relations entre les cultures et les savoir-faire », qui est le plus remarquable parce que des plus inventifs : par exemple, s’initier, avec ses Miami Pieces bling-bling (2005), aux patchworks de textiles brodés de sequins et de perles, à la technique de l’icône bulgare et de l’enseigne africaine, au tissage (Bénin, 1995) où on lui apprend à fabriquer des drapeaux colorés, à la peinture sur peau (Éthiopie, 1996), à la vannerie en câbles de téléphone aux gaines multicolores (Afrique du Sud, 1998), à la peinture sur azulejos, carreaux de faïence, à Lisbonne (2016) ou encore à l’incrustation de la laque au Vietnam (1995-1997). Cela engendre une production plastique très diversifiée. Néanmoins, au sujet de ce métissage culturel s’exerçant tous azimuts, certains n’y voient, à mon avis à tort, qu’une regrettable attitude postcoloniale d’appropriation d’autres cultures. Or, c’est oublier que, si Di Rosa se nourrit en effet d’autres cultures pour alimenter son art, il conduit également les spécialistes mondiaux avec lesquels il collabore à se surpasser en affrontant des défis techniques inédits puisqu’il leur faut trouver des solutions nouvelles s'adaptant à des motifs « commandés » dont ils n’ont pas l’habitude.
- Le chef-d’ œuvre du parcours : « Le Tigre de nacre », 1997-1998, Hervé Di Rosa, « Autour du monde », 7e étape, Bình Dương, laque avec incrustation de nacre et coquille d’œuf sur bois, 93,8 x 61 cm, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris
Savoirs ancestraux qui, pour certains, auraient d’ailleurs hélas tendance à se perdre, comme pour la fabrication collégiale de son formidable Tigre de nacre (1997-1998), à mes yeux la plus belle pièce de cette rétrospective, donnant furieusement envie d’être touchée avec sa surface laquée étonnamment lisse, mer d’huile parfaite réalisée à l’aide d’incrustations de nacre et coquille d’œuf sur bois au sein d’un atelier près de Saigon désormais fermé : « Maintenant, c’est de l’art touristique, ils collent tout d’un coup ! Moi j’ai travaillé quatre ans, précise l’artiste volubile à Yves Jaeglé dans Aujourd’hui en France n°8141, pour apprivoiser cette technique », Hervé Di Rosa ajoutant également, mais cette fois-ci dans Le Monde sus-cité - « Je rêvais de voyager depuis tout petit. À Sète, les bateaux ne font que passer, on ne monte jamais dedans. Vu que je déteste le tourisme et que je ne m’imaginais pas du tout devenir un "peintre voyageur" à la Delacroix, j’ai souhaité comprendre comment les images étaient pensées et réalisées sur d’autres continents, avec d’autres matériaux, d’autres procédés. La meilleure façon de faire était d’en réaliser moi-même en coopérant avec des ateliers d’artistes et d’artisans ayant pignon sur rue dans différents pays. (…) Ces voyages ont enrichi ma création en la tordant, en la dévoyant. C’était aussi une manière de faire en sorte que l’art redevienne une aventure. Je n’avais pas envie de finir comme ces peintres reclus dans leur villa. Sortir de mon atelier, c’était prendre le risque de vivre des expériences intenses. »
Alors, chers lecteurs, et regardeurs, prêts à vivre ce périple artistique centrifugeur et fugueur, allant résolument hors des sentiers battus, avec pour chaleureux guide, et griot, Hervé Di Rosa ? Si oui, en route pour le paquebot Beaubourg, direction son 4e étage ! Bon voyage…
Expo personnelle Hervé Di Rosa, le passe-mondes, jusqu'au 26 août 2024, commissaire : Michel Gauthier, 4e étage (solo show parmi les collections de l’institution), Centre Pompidou, Paris 4 ; en face du show Di Rosa : présentation personnelle Vera Molnár, Parler à l’œil, jusqu’au 26 août 2024, commissaire : Christian Briend. 11 heures – 21 heures sauf lundi, entrée : 15€, tarif réduit : 12€, catalogue d’exposition Di Rosa : 25€. ©photos in situ V. D. www.centrepompidou.fr
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