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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Hommage à Arno : le génie à fleur d’âme et de peau

Hommage à Arno : le génie à fleur d’âme et de peau

HOMMAGE A ARNO :

LE GENIE A FLEUR D’ÂME ET DE PEAU

Il vient, ce samedi 23 avril 2022, de nous quitter, à l’âge encore relativement jeune de 72 ans, vaincu par un incurable cancer du pancréas !

Comment toutefois rendre l’hommage qui lui est dû, véritablement dû, à un artiste aussi immense qu’Arno, le plus belge, avec son inimitable accent flamand lorsqu’il parlait, la voix éraillée par les vicissitudes de l’existence mais l’œil toujours pétillant de malice, son savoureux français, et le plus cosmopolite, par son aura internationale, à la fois ? Même son fameux bégaiement, touchant, semblait résonner, tel le secret d’un écho intermittent, comme les mystérieux interstices de la vie en ce qu’elle a, éphémère mais magique illusion, de plus intemporel !

UN TABLEAU VIVANT DE BREUGHEL

Arno, c’était un tableau vivant de Breughel, avec un sens de la fête aux airs de kermesse, revu par le douloureux spleen des éblouissantes « Fleurs du Mal » de Baudelaire, lui qui, à l’instar d’Arno lui-même, s’habillait toujours en noir comme pour, se plaisait-il à dire à ses heures éperdues de mélancolie, « porter le deuil de son époque défunte ». Oui, chantait d’ailleurs merveilleusement bien, à ce propos, Arno dans ce langoureux hymne à l’amour, érotique tango teinté d’intenses mais tragiques notes d’accordéon, qu’est « Elle adore le Noir pour sortir le Soir ». On appréciera également ici, en passant, cette attrayante figure poético-linguistique qu’est, par la similaire suite des syllabes énoncées au sein d’une même phrase, l’allitération !

LE GRAPHIQUE NOIR OSTENDAIS DE LEON SPILLIAERT

Ce noir, couleur fétiche d’Arno, c’est par ailleurs aussi celui, nuancé de gris anthracite, délavé de blanc cassé et sali de brun fumé, d’un autre grand peintre flamand, natif, tout comme lui, de la belle ville portuaire d’Ostende : Léon Spilliaert.

Léon Spilliaert - La nuit

Cette fantasmagorique, épurée et graphique, atmosphère d’abandon et de désolation, de solitude et de désespérance, Arno l’a magnifiée, consolée là par la discrète mais bienveillante présence d’une autre âme en peine, dans l’une de ses dernières chansons, lancinante comme un adieu, prémonitoire à plus d’un titre, qui ne dit pas son nom : « Ostende Bonsoir », où, la carcasse déjà déglinguée mais la dégaine encore alerte, un indomptable grain de folie toujours coincé au fond de la voix comme au tréfonds de l’être, il se promène, pour mieux oublier cet inextinguible « chagrin des Belges » comme l’exprima naguère cet autre cabossé de la vie que fut l’admirable Hugo Claus, « de bar en bar, de bière en bière et d’histoire en histoire » !

LES MASQUES DE VIE ET DE MORT D’ENSOR

Ostende, nostalgique cité côtière de la Mer du Nord, tendre berceau natal d’Arno lui-même, ce n’est toutefois pas seulement ce noir et blanc, mâtiné de gris, de Spilliaert. C’est aussi, et peut-être surtout, celui d’un autre immense, tout aussi sublime mais néanmoins beaucoup plus coloré, fantôme de ce que l’on appelle, depuis le grand Jacques Brel, la « belgitude » : James Ensor, premier des grands peintres symbolistes belges. 

James Ensor - La Mort et les masques

Car le génial Arno, c’était aussi précisément, à l’image de bon nombre des tableaux de ce même Ensor, un visage, comme façonné par l’indélébile marque du temps qui passe inexorablement, sur lequel le saisissant masque de la dérision, du rire fracassant mais des larmes intérieures, des lèvres peinturlurées mais de l’humour grinçant, du bruit de la vie aussi bien que du néant de la mort, cachait, aux bords de cet amer et pourtant jovial sourire de clown triste, un indicible, terriblement émouvant, mal de vivre, aussi vaste qu’un houleux mal de mer : ô enivrante mais sensuelle houle caressante des « Filles du Bord de Mer », âmes hospitalières aimant se faire tâter, du côté de leur cœur, en douceur et profondeur, comme le chantait si bien ici aussi Arno, marchant là, tout en esquissant une danse sur un air de java, dans les pas, sur les rivages ensablés d’un infini horizon, de son vieil et fidèle ami Salvatore Adamo !

ARNO : DES SURREALISTES ALCOOLS D’APOLLINAIRE A L’ARISTOCRATIQUE STYLE D’UN ARCHIDUC

Ostende, certes, où, en cet étale vague à l’âme qu’est cette tumultueuse mer du Nord, seront d’ailleurs dispersées, prenant ainsi définitivement le large dans la nostalgique splendeur d’un coucher de soleil au cœur de ce maudit printemps, les cendres d’Arno, conformément à son ultime désir ! Mais aussi Bruxelles, sa ville d’adoption, où, en ce prodigieux antre nocturne de la musique underground, des poètes non disparus et d’une faune d’artistes avant-gardistes, qu’est le mythique Archiduc, café à l’élégante esthétique « Art Déco », Arno, ses éternels « alcools » apollinairiens toujours à portée de vers surréalistes plus encore que de verres liquoreux, venait rêver, whisky on the rocks, à ses notes de jazz et de blues, à ses sons métalliques et à ses rythmes saccadés, au sein de son rock made in Belgium, aussi alternatif que déjanté, toujours créatif et d’une très singulière originalité, à la pointe de son éclectique, qu’il soit électrique ou acoustique, stylet ! Car, oui, Arno, c’était aussi, et surtout, un style, unique en son genre, aussi attachant qu’incomparable !

LE CREPUSCULE D’UN DANDY EN CREUX

Davantage, et plus exactement encore : Arno, cet aristocrate de l’esprit qui s’ignorait, tantôt baudelairien, par son insondable spleen, et tantôt nietzschéen, par son inaltérable ivresse des hauteurs, c’était également, à l’image de toute noblesse d’âme bien plus que de caste, à l’instar même de toute authentique et profonde grâce de la personne, un vrai et rare dandy… certes, tel un paradoxe vivant et défiant même jusqu’à l’apparence de ses excès, un dandy en creux ! C’est du reste là, précisément, la définition même, à la vertigineuse manière d’un oxymore en chair et en os, de ce que j’ai naguère appelé, dans un de mes livres consacré à la philosophie du dandysme, un dandy « crépusculaire » bien plus que « solaire ».

ESTHETIQUE DE LA DISPARITION

Et, de fait, rarement cette définition, en ces jours de deuil où nous pleurons la disparition de notre cher Arno, aura été, malheureusement, aussi actuelle, telle, pour paraphraser Gérard de Nerval en un des ses poèmes les plus connus, « le soleil noir de la mélancolie » : l’oxymore, ici aussi, est superbe et lui sied, aujourd’hui donc plus encore qu’hier, à merveille. « C’est magnifique !  », pour reprendre, en cette sublime esthétique de la disparition, un non moins célèbre refrain d’Arno lui-même, être particulièrement sensible, délicat et raffiné, presque fragile, sous ses faux airs, quoique toujours adorables et amicaux, généreux et attendrissants, d’ours mal léché plus encore qu’éméché !

Reste à espérer, sa vie maintenant achevée sur terre, qu’il aura ainsi retrouvé enfin là, aux confins de paradis non artificiels, et que nous lui souhaitons certes éternels, les splendides, intimistes, poignants mais immortels yeux de sa mère…

Repose en paix, très cher et bien aimé Arnold Hintjens, effectivement mieux connu ici bas, passant ainsi à la postérité sur notre humaine planète, sous le divin, mémorable, nom d’Arno !

 DANIEL SALVATORE SCHIFFER*

*Philosophe, auteur, notamment, de « Philosophie du dandysme – Une esthétique de l’âme et du corps » (Presses Universitaires de France), « Oscar Wilde » et « Lord Byron » (publiés tous deux chez Gallimard-Folio Biographies), « Le dandysme – La création de soi » (Editions François Bourin/Les Pérégrines) et « Traité de la mort sublime – L’art de mourir de Socrate à David Bowie » (Alma Editeur).


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29 réactions à cet article    


  • Rincevent Rincevent 29 avril 2022 16:07

    J’ai eu la chance, il y a longtemps, de le voir sur scène. Le décor : En hiver, dans les Landes, une petite station littorale déserte, son camping car garé devant une petite salle de sport, bétonnée, inconfortable, froide (à tout point de vue). Bref, des conditions vraiment pas favorables.

    Une brève intro musicale et il arrive. Je devrais dire il déboule, comme propulsé par une urgence. Et là, on oublie tout ça. Il emplit immédiatement l’espace de sa présence et nous embarque dans son univers. A la fin de la première chanson, tout le monde est debout et vient se masser devant la scène (qui se résume à une petite estrade en bois...). Ce sera pour moi une soirée inoubliable. Adieu l’artiste…


    • S.B. S.B. 29 avril 2022 16:24

      Fallait-il choisir une photo où on le voit aussi diminué ? Je ne crois pas.


      • Sandro Ferretti Sandro Ferretti 29 avril 2022 16:25

        Montrer des photos de gens mourants, que ce soit de maladie ou de vieillesse, dont l’apparence n’est que l’ombre de ce qu’ils furent (ou étaient il y a encore peu de temps), m’est toujours apparu comme d’une grande vulgarité ( au sens étymologique du terme) et d’une parfaite inélégance.

        Vous me rappelez ceux qui se rinçaient l’œil en février 2009 de la dernière apparition d’un Bashung squelettique et chancelant , deux mois avant sa mort, aux « Victoires de la musique ».

        Ou encore ( j’ai encore vu ça hier soir lors d’un accident sur le périphérique parisien) ceux qui baissent la glace et s’arrêtent devant un motard « éclaté » contre un rail de béton en disant à leur voisin « houlàlala, t’as vu la flaque de sang, çà doit pas être beau à voir »...

        Je ne suis ni de la famille ni un proche d’Arno, mais la photo choque.

        J’ ai soigneusement évité ce genre de pornographie pour l’article que j’ai écrit il y a quelques jours sur le même sujet.

        Pas vous.

        Dommage.

        ( PS : les photos de Dany Willems, ça a plus de classe, non ?)


        • Sandro Ferretti Sandro Ferretti 29 avril 2022 16:27

          @SB

          Nos post se sont croisés.

          Même verdict.

          Petit monsieur.


          • S.B. S.B. 29 avril 2022 17:24

            @Sandro Ferretti

            Oui. C’est très clairement un manque de respect pour Arno et il ne sert plus à rien d’essayer de lui rendre hommage avec un texte après ça.


          • Pauline pas Bismutée 29 avril 2022 17:27

            Oui, d’accord avec les précédents commentaires.

            Vraiment, vraiment pas utile, cette première photo...


            • Clocel Clocel 29 avril 2022 19:00

              Pas de crédit photographique, je n’aimerai pas être dans la peau du salopard qui a cadré la première...

              Par contre l’auteur n’a pas oublié son auto-promotion... .


              • Clocel Clocel 29 avril 2022 19:01

                @Clocel

                je n’aimerais pas... Désolé...


              • In Bruges In Bruges 29 avril 2022 21:34

                @Clocel
                Oui, et j’en ai vu passer récemment des pires encore dans la presse belge. Genre « décrépitude de notre star locale » ( ex aequo avec Stromae).
                Ca le fait, coco.
                On va vendre...

                Reste que sur Agoravox , plus personne n’a aujourd’hui le début du commencement d’une idée de ce qu’est la propriété intellectuelle ( d’un article ou d’une photo).
                Que texte ou photo, ce n’est pas « open bar » pour frimer ici.
                Chez les Bac moins... x qui foisonnent ici, personne ne sait ce qu’est un « crédit photo », vieille tradition du journalisme, ( fut-il citoyen). Genre, rendre à César ce qui...
                Même le sieur ( le papy) Salvatore Schiffer, ben , y sait pas ce que c’est ( ou alors c’est pire, il s’en fout, il fait semblant de ne pas savoir ).
                Pas sûr que l’administration d’Agoravox et son service juridique s’en foute, du mépris des « crédits photos » et des droits d’auteurs...

                @ vieux Schiffer décrépis : Bouffon, va...Tu fais honte aux italiens.


              • Réflexions du Miroir Réflexions du Miroir 30 avril 2022 09:54

                @In Bruges
                 Il est en première page du Paris Match belge 


              • Iris Iris 29 avril 2022 23:33

                C’est vrai qu’il a une sale gueule sur la photo, mais visiblement le gars a choisi de vivre jusqu’au bout, sans pudeur.

                Finalement, je la trouve belle cette photo.


                • pemile pemile 29 avril 2022 23:48

                  @Iris « visiblement le gars a choisi de vivre jusqu’au bout, sans pudeur. Finalement, je la trouve belle cette photo. »

                  Idem.

                  Amusant de voir que suite aux réactions, l’article a été modifié pour changer la photo !


                • Iris Iris 29 avril 2022 23:34

                  Pour finir elle a disparu, j’ai un train de retard. lol


                  • chat maigre chat maigre 29 avril 2022 23:42

                    @Iris
                    et toi va te faire foutre aussi mon ami t’as pas de colonne vertébrale !!!!!


                  • Iris Iris 29 avril 2022 23:43

                    @chat maigre
                    je suis une limace... slurp ! love you too !


                  • chat maigre chat maigre 29 avril 2022 23:44

                    @Iris
                    j’m’en tape des limaces ferme bien ta gueule !!!!


                  • chat maigre chat maigre 29 avril 2022 23:45

                    @chat maigre
                    moi vous m’avez poussé à bout !!!!!
                    beh voilà j(y suis à bout !!!!!


                  • chat maigre chat maigre 29 avril 2022 23:49

                    @chat maigre
                    ça y est j’ai été interdit quelque part et je ne peu plus répondre à cet enflure de dugué merci de m’avoir poussé à bout !!!!
                    je peux enfin explorer le côté chic !!!!


                  • chat maigre chat maigre 29 avril 2022 23:52

                    @chat maigre
                    le chat maigre il est colère aujourd’hui !!!!!!!
                    je vous aime bien vous tous mais à force de vous voir agressifs je me suis fait contaminer !!!!!


                  • Iris Iris 29 avril 2022 23:47

                    p’tain fermez la vôtre, ça pue l’ivrogne. smiley


                    • chat maigre chat maigre 29 avril 2022 23:54

                      @Iris
                      c’est pas contre toi l’ami mais j’suis colère à force !!!!


                    • Réflexions du Miroir Réflexions du Miroir 30 avril 2022 09:51

                      @Daniel,

                        Merci. J’ajoute à mon billet « Le bazar kitch marollien avec Arno ».

                        J’y ai déjà introduit la première partie de son histoire d’après « Le Fantôme de la radio ».

                        Ce soir, j’ajoute la deuxième partie.


                      • Réflexions du Miroir Réflexions du Miroir 30 avril 2022 10:04

                        Les grands représentant de Bruxelles dans le monde :
                        Arno parti...
                        Hier soir le documentaire sur la Une en rappel de « Toots Thielmans L’incroyable destin d’un ketje de Bruxelles » dans lequel il raconte sa prodigieuse ascension de sa naissance dans le quartier des Marolles, sa réussite aux Etats Unis...
                        Dernièrement, le Grand Jojo qui nous quittait.
                        Annie Cordy il y a quelques mois...
                        Qui va encore parler de Bruxelles comme ils l’ont fait ? 


                      • alanhorus alanhorus 30 avril 2022 09:56

                        Vu le nombre d’articles sur Arno, il ne laissait pas indifférent et beaucoup l’aiment sur ce site.

                        Pour la photo qui est sur la page d’accueil c’est vrai que pour un belge il n’avait plus la frite c’était visible. Son cancer était du au tabac, si j’ai bien compris.

                        Un talent certain bien que difficile d’accès au départ.

                        L’histoire ne dit pas si il fut vacciné contre le coronavirus ni si attrapa le coronavirus, il serait intéressant de la savoir pourtant.

                        Dommage qu’il n’ait pas fait une chanson l’oeil du coronavirus :

                        https://www.henrymakow.com/upload_images/symbols-variants.jpeg


                        • alanhorus alanhorus 30 avril 2022 10:00

                          lire :
                          L’histoire ne dit pas si il fut vacciné contre le coronavirus ni si il attrapa le coronavirus, il serait intéressant de la savoir pourtant.
                          et :
                          Dommage qu’il n’ait pas fait une chanson sur l’œil du coronavirus


                        • Réflexions du Miroir Réflexions du Miroir 30 avril 2022 10:06

                          @alanhorus
                           Son cancer du pancréas n’a rien à voir avec le coronavirus.
                           Le problème c’est que boire et déboire sont de mèche. 


                        • alanhorus alanhorus 1er mai 2022 01:01

                          @Réflexions du Miroir
                          C’est bien cela, pourtant les dégâts s’additionnent.
                          Merci tout de même de la réponse.



                          • Pierre Pierre 2 mai 2022 21:36

                            @l’auteur,

                            Merci pour cet hommage à ce personnage hors du commun. La première photo de l’article ne me choque pas mais il paraît qu’elle a été changée alors je ne ferai pas de commentaire.

                            Il y a bien longtemps, je l’ai vu sur scène à Couleur Café. Il savait captiver son public avec un répertoire varié dont quelques rocks inattendus. 

                            Adieu Arno, je t’aimais bien tu sais et fais bien le bonjour au grand Jacques quand tu le verras.

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