Il ne caressera plus les belles carrosseries
La disparition subite d’Andréa Pininfarina lors d’un accident de moto ce matin même est l’occasion d’abandonner les vertiges de la politique mondiale pour évoquer ici d’autres sujets qui nous intéressent comme le design. Pourquoi le design ? Oh, très certainement le côté "maquettes", pratiqué chez moi depuis la plus tendre enfance, un hobby qui force à s’intéresser aux lignes et aux détails. Ce qui n’empêche pas pour autant de se faire berner par les vendeurs plus adroits que d’autres, comme ce jour où j’ai acheté un lecteur de cassettes de salon de marque Optonica RT3838, qui était superbe, question look et programmation annoncée, avec sa "calculette centrale " et qui s’est révélé très vite avoir une bande passante pitoyable (annoncé à 16 000 htz, il passait à peine le 13 000 !). L’achat d’un très beau et très pur design Nakamichi 580 en remplacement avait vite rectifié le tir. La profusion de boutons de l’Optonica ne servait en rien le rendu final. Dans la foulée toujours, j’avais alors offert à ma dulcinée du moment le préampli et l’ampli Nakamichi 420, dans la lignée des Quad anglais, formidables de design également, le tout associé à une platine Era, (belle histoire, ERA) et deux mignonnes petites Gauglin, des enceintes certes un peu colorées mais assez fabuleuses pour leur taille. La dame avait été ravie et possède d’ailleurs vingt cinq ans après encore les amplis. Gauglin (devenu depuis Carpediem) sortait de chez Ellipson, oui, ceux qui avaient osé les enceintes en stuc ("stucco"), les fameuses boules ou les "conques" présentes partout à l’époque à la Maison de la Radio ou à la télévision. A savoir que dans le nord, cette tradition du design et de la science en HIFI vient de voir son nouveau défenseur en la personne d’André Cocheteux, responsable de KTR Lab (pour "Keiber Totem Régulé"), dont l’atelier est à visiter à Nieppe. Ses réalisations n’ont que des éloges, car le design s’applique aussi à l’intérieur des objets, en l’occurence ici, aux circuits imprimés... et aux lampes. Démontez un ordinateur, vous verrez vite à quoi vous avez affaire ou non.
Pourquoi cet attrait pour le design, du beau dessin, extérieur comme intérieur ? Je n’en sais strictement rien, à part qu’après avoir poncé au grain 4000 pendant des heures un fuselage de maquette, vous "l’avez" dans vos mains, vous l’avez aussi dans les yeux à force de l’avoir tourné dans tous les sens, et que le même phénomène réapparaît à s’approcher d’une belle carrosserie : il faut faire glisser la main, et "sentir"... les formes et vous emplir les sens, jusqu’à l’odeur de la moleskine ou de l’huile de ricin qui baignait les éléments mécaniques de la Traction-avant de 1934 (très particulier, les vrais collectionneurs vous le diront). L’huile de ricin intervenant elle même dans la fabrication d’un simili-cuir utilisé par Citroën, le Pégamoïd, une sorte de celluloïd ressemblant à de la toile cirée. Le tout début des matières plastiques en fait. Et de suivre donc des courbes, dans leur de texture et leur apparence, acier ou plastique. Comme la peau. Oui, je sais, vous allez nécessairement faire le lien avec la plastique... féminine. Voilà qui va ravir une de nos habituées ici. A quoi je vous répondrai qu’en effet, la bonne taille de sein est celle de celui qui emplit la main d’un honnête homme. Et comme je n’ai pas de grosses mains... Car il y a un lien évident entre design et sexualité, et bien peuvent le nier, inutile de tenter un procès en machisme pour ça. Ce fou d’aviateur de Howard Hughes, quand il ne dessinait pas ses racers, imaginait de nouveaux soutien-gorges à armatures pour ses dernières conquêtes (dont Jane Russell !). Toute une histoire, en quelque sorte. Mais revenons plutôt à nos carrosseries d’acier sur roues.
L’un des premiers à m’avoir sidéré est le dessinateur qui se cachait derrière les lignes de la DS. Quand j’avais à peine cinq ans, dans le garage de mon père, qui voyait passer tous les jours des Vedette, des Trianon ou des Versailles (toutes SIMCA) après avoir vu défiler des Tractions-Avant, un jour, une Citroën DS est arrivée. Et ce jour là, je vous jure, tout le monde s’est arrêté de marcher dans le garage. Un vrai OVNI. Je n’est jamais revu la scène : tout le monde figé, en train de se demander ce que c’était cette soucoupe roulante ! Moi, je me souviens seulement m’être assis dedans, et avoir vu le ciel... en levant les yeux, car le tout premier modèle n’avait pas de revêtement intérieur de plafond ! Ce n’est que plus tard qu’on a posé du tissu sous le pavillon translucide. C’est là où j’ai vu pour la première fois ce qu’était de la fibre de verre, qui composait aussi le capot (mais pas les ailes arrières qui tenaient par un seul boulon !). Ce que je retrouverais des années plus tard à tartiner du gel-coat sur les catamarans anglais Condor que mon copain s’était mis en tête de distribuer en France... et qui m’avait valu un bonne paire de "tasses" mémorables à jouer au démonstrateur pour clients médusés : il fallait provoquer un enfournement pour montrer comment l’engin s’en sortait... je ne sais pas si vous pratiquez mais c’est euh... vivifiant (faites à en Tornado pour voir !). Après un ou deux soleils autour du mât, j’avais vite abandonné l’habit de démonstrateur pour passer à celui de réparateur... retour à la spatule au gel-coat et au... ponçage. Après un détour par les bateaux, retour aux voitures et à leur dessin.
Très vite, l’étude des crayonnés de Flaminio Bertoni allaient me montrer une chose : le design est un art difficile, et de tomber sur la ligne pure un sacré pari. Bertoni était autant peintre que sculpteur, et sa matière préférée la glaise. Capable de faire des choses qui seront des horreurs (telle la Mathis 666) ou d’autres très en avance sur son époque comme la Mathis 333 qui ne sortira hélas jamais. Le sommet étant atteint avec l’Ami 6, de loin la voiture la plus laide et la plus torturée jamais faite en France (ce volant à une branche et cette boule de levier de vitesse !). Trois ans avant sa disparition prématurée, il avait raté sa sortie, sa firme le tuant une deuxième fois en tentant de rattraper les lignes torturées de son erreur. Se sera l’Ami 8 qui ravira aisément à son original le titre de pire design de tous les temps en automobile. A Lille, ses dernières années, on pouvait en admirer une incroyable, bleue, détenue par un étudiant et arborant un superbe "The Ami8 Touch" sur sa lunette arrière. Impayable ! Sauf de la customiser façon "sled" américaine, on ne sait qu’en faire en effet aujourd’hui sinon... s’en moquer. Ne rigolez pas, Citroën avait dans ses cartons une successeure encore pire : la C60. Citroën était monté au Panthéon avec la DS, il ne pouvait plus que faire moins bien. Tout ça, c’était bien avant les robots des publicités !
Après, il y eût la découverte d’autres designers, dont le monumental Raymond Loewy, aussi provocateur que Bertoni, à supprimer la calandre sur sa fabuleuse Avanti au pays où les voitures se choisissaient selon la taille des chromes avant, le dessin de sa loco électrique ou ceux de ses appareils ménagers ou de bureau (son célèbre taille-crayon). Et obligatoirement Pininfarina, dont mon premier souvenir est le dessous d’une Lancia Aurelia verte Norev au 43eme. Les premiers coupés, des voitures qu’on retrouvait au Monte-Carlo mythique. Et après, toute la saga dont la magnifique Ferrari 512 à laquelle répondra un autre géant, Bertone. Avec sa Stratos de rallye, au design assez sidérant (avec des portières larges à y mettre des casques de pilotes !). L’extra terrestre, titre un rédacteur. Un autre Ovni de l’automobile de 84 cm de haut seulement, taillé pour la puissance et la hargne de gagner. Un monstre. Qui sera battu en définitive par des Fiat Abarth 131... au design bien ordinaire, sans aucune ligne agréable. La toute dernière collaboration entre Pinifarina et Ferrari est aujourd’hui la 599GTB qui retrouve la notion de puissance brute malgré quelques concessions aux ouvertures et bossages à la mode, juste de quoi loger les 5999 cm3 de cylindrée du V12 interne délivrant 620 chevaux. Pas tout à fait la même chose que la P3/P5 de 2006 qui avait été dévoilée.... en 1966 sous la forme de la P3 330 géniale "barquette".Si un design est réussi, en effet, il devient hors-temps en effet. On peut le ressortir tel quel, il passera toujours (à quand le retour de l’Isetta de Preti et Raggi ?). Et si un dessin est trop innovant, on le met de côté, on ne sait jamais (à quand le retour du Fiat de plage "multipla marine" ??).
Pininfarina, l’entreprise, est née en 1930, et Andrea était donc le petit fils de son créateur Battista Farina, surnommé "Pinin" (le petit en Piémontais). L’homme qui avait dessiné en 1947 la Cisitalia, véritable chef d’œuvre, entrée au musée d’art moderne par obligation, tant elle était belle. Plus exactement c’est son dessinateur, Alfredo Vignale qui signera les épures de ce mythe. Les français, en fait, connaissent très bien la firme italienne. Une bonne partie des voitures parmi les plus connues dans l’hexagone ont été signées de sa main : c’est le cas de la 403 Peugeot (de Columbo), la récente 1007 (plutôt moyen), et le superbe dessin du coupé 406, le même raté par l’équipe Peugeot pour sa successeure. Ce qui n’empêche pas les allumés de massacrer à leur façon le beau coup de crayon de Pininfarina. Prouvant par là que le tuning c’est bien l’enterrement en classe touriste du design. Et pourtant, comme le dit fort justement un confrère spécialisé : "attention, il y a du “Collector” dans cette voiture. À l’image du prestige des coupés Peugeot d’autrefois, la 406 risque fort d’entrer dans la légende sans jamais perdre de son élégance. Les années passeront, le style restera intact. À l’heure actuelle, peu de voitures sont à même de revendiquer un tel charisme, tout en se montrant aussi serviables au quotidien. "
Des voitures, donc, signés Pininfarina, mais aussi d’autres véhicules. Un avion, pour l’intérieur seulement il est vrai. Mais quel avion !! le Piaggio P-180 Avanti, l’un des plus beaux au monde, qui a failli disparaître si Pietro Ferrari, fils d’Enzo, n’était devenu le dirigeant de Piaggio. Des hélicoptères aussi, dont un d’affaires signé Agusta ; le modèle AW139, au look racé et à l’intérieur soigné. Un train, aussi, en Suisse : le Crystal Panoramic Express. Le tramway, un autre exemple encore. Celui d’Athènes, assez réussi on peut dire... et un ratage monumental.. celui de Lille ! Annoncé ici comme la "diva du Boulevard", construit par Breda, le tramway de Lille n’a pas de look, et n’a pas que ça comme défauts : il couine et grince presqu’autant que les vieilles machines de RDA qu’il a remplacé.. quand on dit que design va avec mécanique... le design, surtout, ici, on ne le sent pas. Tout y est ordinaire, des banquettes aux barres de maintien. La preuve que le design est une chose difficile (on ne sait si c’est Breda le responsable dans le cas), ce que l’on a déjà abordé un peu ici en incendiant notre designer national, Philippe Starck, auteur de bateaux ressemblant davantage à des croiseurs high-tech et "stealth" qu’à des bateaux de plaisance. D’autres échecs sont visibles encore chez Pininfarina : les caisses de PC, aussi moches redessinées que d’origine (tout le monde n’est pas Apple), ou les téléphones, comme le i877r Motorola, trop ressemblant à une maquette de voiture, trop lourd, trop gros. Les disques durs portables, sans trop d’intérêt. Les stylos, ordinaires. Les frigos, banals. Quand aux chaussures siglées "f",même chose : encore une erreur de marketing. Les vélos, idem, le redessin du Solex étant plus réussi. Ou même chose encore avc les barbecues... sujet pour lequel le bureau italien semble s’être endormi sur le gazon d’essai du prototype. Le groupe semble avoir des difficultés avec les flammes, le dessin de la torche olympique des jeux d’hiver de 2006 à Turin n’ayant pas été non plus du meilleur effet... le 23 juin 2005, la sortie de sa Birdcage Maserati pour marquer son 75 eme annivesaire avait remis un peu les pendules à l’heure d’une firme trop diversifiée et qui semblait avoir perdu son âme ses dernières années, à faire dans la machine à café et non plus dans la voiture. Le maître avait encore la main, semble-t-il...ou plus exactement sont chef designer d’alors... Ken Okuyama. Accusé de s’occuper de trop de choses, et poussé doucement cette année vers la sortie. Sans même emporter de bouteilles de vin.
Certains diront que le petit fils n’avait pas le talent du grand père. Peut-être, mais aujourd’hui ce sont des bureaux qui dessinent, ce n’est plus le temps de la glaise de Bertoni. Le nouveau designer de Pininfarina, aujourd’hui, s’appelle Lowie Vermeersch, il est belge, a 33 ans et un sacré coup de crayon : sa Sintesi a de la gueule, pour sûr. Il sait reprendre le trait de la Birdcage pour l’épurer encore. Ou le projet Hyperion pour Rolls-Royce, dont les premières esquisses sont assez renversantes. Il est temps, car le design chez Rolls-Royce consiste essentiellement à taille à à la serpe dans de la tôle. Des voitures bonnes pour de richissimes footballeurs mariés à des ...cageots sans cervelles ou des lampadaires. Mais aussi parfois certaines frilosités, comme la future Bolloré électrique qui doit débouler ici en 2009, qui a une allure disons assez sympathique sans être pour autant renversante. Un Bolloré qui s’est engagé à soutenir la firme italienne déficitaire. La Nido, en revanche, semble beaucoup plus prometteuse. Le concept de voiture cocon est extrêmement intéressant à suivre... (sans compter les concepts malin comme l’usage du Veltex pour accrocher des objets, même sur le ponton central ). La voiture en mousse, voilà une belle idée, simple et qui va faire école. En se recentrant sur la voiture, Pininfarina pensait juguler ses pertes de ses deux dernières années : espérons que la disparition de son dirigeant ne nuise pas à cet effort en cours.
On aura donc une pensée émue pour ce descendant d’une grande lignée, et pour son père, toujours vivant, et toujours membre du conseil d’administration de la firme, en tapant cet article sur un clavier signé Jonathan Ives, et en sirotant un expresso tout droit sorti d’une machine à café signée... Pininfarina. Pas nécessairement la plus design non plus...là où Carlo Borer a su faire inventif, où un Francis Francis a fait dans le pratique et où Apple aurait pu faire ça. Pas facile, en définitive, le design. Andrea ne caressera plus les belles carrosseries, et c’est bien dommage. Les belles formes... et les femmes manquent sérieusement de caresses aujourd’hui, dans ce monde plus souvent envahi par la laideur que par la beauté.
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