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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Illich, précurseur de l’écologie politique

Illich, précurseur de l’écologie politique

« Un monde de demandes sans cesse croissantes n’est pas seulement d’une nature mauvaise, il devient tout bonnement l’enfer… »
Ivan Illich, Une société sans école, 1970

Et si le problème d’Ivan Illich avait été d’avoir eu raison trop tôt ? Et si son avant-gardisme avait été un inconvénient plus qu’un atout ? Lors de l’écriture de ses principaux essais (Energie et équité, La convivialité, Némésis médicale…), les sociétés occidentales sont encore bercées par le ronronnement de la croissance des Trente Glorieuses. Plein emploi, accès facilité aux innovations technologiques, porte-monnaie remplis…, le monde industrialisé surfe sur la vague du toujours plus. En France, René Dumont, le premier candidat écologiste à une élection présidentielle, récolte 1,3% des votes et bien des sarcasmes. Le club de Rome et son rapport Halte à la croissance ? est moqué, son catastrophisme dénoncé. A l’époque, l’écologie politique n’est qu’un courant marginal animé par des savants fous ou de doux rêveurs. C’est dans ce contexte qu’apparaît Ivan Illich.

Illich porte un regard radicalement critique sur le monde qui l’entoure. Il remet en doute ce qui est considéré comme allant de soi. Pour lui, la société industrielle et les institutions qui la composent (l’école, l’hôpital, la voiture…) ne constituent pas des modèles de développement. Au contraire. Elles sont incompatibles avec la société conviviale qu’il appelle de ses vœux, c’est-à-dire une société dont les fondements sont la recherche perpétuelle de l’épanouissement de tous les Hommes et non d’une minorité. Illich explique dès les années 70 que la généralisation du monde de vie occidental dans les pays du Sud est à la fois impossible financièrement et contre-productive humainement. Sa vie durant, il montre que l’école exclue plus qu’elle n’intègre, que la voiture nous freine plus qu’elle nous permet d’avancer, que l’hôpital nous rend malades plus qu’il nous soigne. Pour ses amis Valentine Borremans et Jean Robert, « Illich fut le plus lucide des critiques de la société industrielle. Ses thèses ont peut-être oubliées, mais jamais elles n’ont été infirmées. Après elles, la société industrielle a perdu toute justification théorique. Elle ne tient debout que grâce à l’hébétude de ses membres et au cynisme de ses dirigeants. »

Et c’est en cela que la pensée d’Illich est aujourd’hui douloureuse à appréhender. Le lire, c’est se rendre compte qu’il avait raison trop tôt, que sa réflexion avait quarante ans d’avance au moins sur celle des penseurs politiques de l’époque et que les dérives de notre système économique mondialisé auraient certainement pu être corrigées si on l’avait écouté. Car aujourd’hui, de quoi a-t-on peur ? Qu’est-ce qui nous choque dans ce monde en 2010 ? L’injuste répartition des revenus qui font que 350 milliardaires gagnent autant que 4 000 000 000 d’oubliés. Illich dénonçait cette tendance naissante dès 1965. La destruction de l’environnement par et pour la recherche du profit maximal ? Illich a toujours critiqué la surabondance vantant les mérites de « la joie dans la sobriété » et de la recherche de « rendement social » plus que de « rentabilité industrielle ». La perte de sens et d’autonomie dans l’existence de l’Homme ? C’est justement en décrivant la société conviviale qu’Illich cherchait à faire de nous des citoyens acteurs de nos vies et non plus des consommateurs obnubilés par l’avoir.

Quelque part, qu’une société comme la nôtre ait pu laisser de côté une pensée aussi vive et foisonnante que celle d’Illich incite au pessimisme. Nous vivons sur une planète finie. A long terme, notre modèle économique est incompatible avec la poursuite d’une vie humaine sur Terre. Nous savons que des civilisations aussi intelligentes que celles des Mayas, des Incas ou des Aztèques ont disparu. Et nous avons, avec des penseurs comme Illich, les clés pour reconstruire une société sobre, joyeuse et tournée vers l’Homme… donc conviviale. Et pourtant, nous ne faisons rien ou si peu et l’écologie reste un courant politique parmi tant d’autres. La révolution des mentalités à laquelle Illich nous appelle ne se fera sans doute pas en un jour ; mais elle est indispensable pour que l’Homme du XXIe siècle sorte enfin de la caverne que Platon décrivait dans l’Antiquité. Le premier livre d’Ivan Illich est intitulé Libérer l’avenir. C’est sans doute la définition la plus simple mais aussi la plus ambitieuse que l’on puisse donner à l’écologie aujourd’hui.

Samuel Duhamel
 

 


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20 réactions à cet article    


  • clostra 27 janvier 2010 10:02

    Oui, on peut dire que c’est d’avoir omis une lecture approfondie d’Ivan Illich que la gauche n’a jamais tenu l’espérance qu’elle a fait naître fin des années 70 et qu’aujourd’hui elle ne nous promet aucun espoir qui vaille.
    Nous avions Ivan Illich, Françoise Dolto et quelques autres. Qu’en avons-nous fait ?


    • Francis, agnotologue JL 27 janvier 2010 11:49

      Merci pour le rappel de ce grand précuseur visionnaire. Vous écrivez : « Et c’est en cela que la pensée d’Illich est aujourd’hui douloureuse à appréhender »

      Permettez moi une citation adaptée : « Nos plaies ouvertes saignent parce que les gens voient qu’un tas de connards à qui ils ne confieraient même pas un stand de hot-dogs dirigent leurs vies. » (Tim Willocks)

      Oui la croissance est une mauvaise chose, et cela est encore plus criant dans le domaine de l’indistrie des vaccins.

      Les pauvres font beaucoup d’enfants parce que pour eux l’avenir est sombre ! Ils espèrent ainsi qu’il en survivra suffisamment pour les aider à finir leur douloureuse existence. Il est urgent de rééquilibrer le partage des richesses. Il faut que l’on réhabilite l’impôt sur les revenus, un impôt réellement progressif et sans limitation de taux. Et il faut détruire les paradis fiscaux, une honte face à l’enfer que vivent quotidiennement des milliards de pauvres..


      • Antoine Diederick 27 janvier 2010 23:00

        les altermondialistes....mouais....on verra bien, mais je n’y crois pas....


      • Antoine Diederick 27 janvier 2010 23:24

        non, la question est de déplacer les valeurs....


      • Antoine Diederick 27 janvier 2010 23:26

        au Furtif

        Illitch est dans un réflexion tiers-mondiste....

        par exemple, il n’est pas possible de comparer et de rendre égale la situation sanitaire tiers-monde et europe, pas comparable...


      • Internaute Internaute 28 janvier 2010 10:13

        A ce qu’il paraît, Illich est juif. Mais dès qu’un juif fait quelque-chose qui ne plaît pas on a vite fait de le renvoyer dans l’autre camp.

        http://es.wikipedia.org/wiki/Iv%C3%A1n_Illich


      • Antoine Diederick 30 janvier 2010 21:17

        Ola, tu hablas el Espagnol ?


      • sobriquet 27 janvier 2010 16:15

        Décroître, c’est notamment abandonner les vieilles idoles qu’Illich critique.


        • Antoine Diederick 27 janvier 2010 23:05

          nous ne nous passerons pas de technologie, en revanche, il serait bien qu’elle s’oriente autrement....

          ce n’est pas important de croire dans le croissance ou dans la décroissance, sachant que tout système, s’il tend au plus à atteindre son point maximum, arrivera tout au plus à un équilibre.

          il y a un principe qui veut que l’effort supplémentaire pour atteindre des gains supplémentaires se heurte au principe de la suffisance.


        • Antoine Diederick 27 janvier 2010 23:18

          chez Illitch, il y a une réflexion générale qui veut que chaque acteur économique puisse s’emparer du produit économique et pouvoir s’en rendre maître sans devoir être tenu captif du producteur...

          ce qui est ce qui se passe dans le tiers-monde quand on est obligé sans moyens d’acquérir et de maintenir la qualité des biens acquis alors que les moyens économiques sont réduits....


        • Antoine Diederick 27 janvier 2010 23:21

          même réflexion sur la prophylaxie qui doit venir avant la production massive de produits de soins....


        • Antoine Diederick 27 janvier 2010 21:27

          Bonsoir,

          Vous allez me donner l’envie de relire Illitch.

          Je viens de lire quelques uns de ses propos sur Internet....c’est vrai qu’en cette période d’incertitude et de questionnement, période qui semble montrer la faillite d’un modèle ; les réflexions d’Illitch retrouvent une pertinence et une acuité particulière.


          • Terran 28 janvier 2010 00:10

            @ Antoine, la faille est apparue béante lorsque Glass Steagle a sauté !


          • Antoine Diederick 28 janvier 2010 00:36

            oui.....mais nous sommes pas les seuls à penser qu’il faut démanteler les banques pour qu’elles puissent rejouer leur rôle .

            Obama s’est exprimé dans ce sens.....mais le marché fait pression....

            ce n’est qu’une question de temps....

            ce n’est pas être contre les banques que de souhaiter qu’elles aient un comportement plus sain.

            ce que Sarkozy propose, c’est de la « gnognote » , ce n’est pas la taxe qui permet une vraie coercition salvatrice....


          • Antoine Diederick 28 janvier 2010 00:46

            tiens pour changer un peu

            viens de trouver un mec génial


            • Antoine Diederick 28 janvier 2010 00:49

              et puis pour changer un peu aussi il y a le dernier film de Jane Campion à découvrir ....

              cette fois c’est la bonne

              sweet dreams every


            • Internaute Internaute 28 janvier 2010 10:08

              Illich est un visionnaire ainsi que le Club de Rome qui prévoyait le pic pétrolier ces années-ci. La production mexicaine a baissé d’un tiers, celle de la mer du nord de presque la moitié, on est en plein dedans. J’avais particulièrement apprécié son livre Croissance zéro.

              Vous vous décrivez comme citoyen du monde, ce qui n’existe pas. Cette étiquette signifie que vous restez dans votre petite bulle, dans votre cocon socio-professionnel étanche et que vous voyez le monde au travers des images qui vous font penser que les autres vous aiment bien et se sentent concernés par votre futur. Science-Po est une école mondialiste, méfiez-vous de ses enseignements biaisés politiquement.

              Allez tout seul, sans aucun soutien, essayer de vivre de vos talents à Mexico ou à Krasnoïarsk. Au bout d’un an vous reviendrez nous parler du monde qui serait un petit village où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil et où vous auriez une place quelconque. Resterez-vous un citoyen du monde quand vous entendrez les autres dire « Tiens, le français mène une enquête », sans même savoir si vous avez la nationalité française ? (A supposer qu’on vous ait laissé la possibilité d’en mener une).


              • Samuel Duhamel Samuel Duhamel 28 janvier 2010 20:50

                A Internaute...

                Cher monsieur,

                Permettez-moi de vous dire que je n’ai rien compris à votre demonstration concernant une éventuelle année passée à Mexico ou Krasnoïarsk.
                Je vous laisse, je retourne dans ma petite bulle étanche et je m’en vais regarder le monde aux travers des images qui me font penser que les autres m’aiment bien.
                Merci en tout cas pour votre sens de l’humour.
                Bien amicalement,

                Samuel


                • Blé 31 janvier 2010 06:07

                  Je suis étonnée de lire un article sur Ivan Illich, un penseur qui a mis en pratique ses idées.
                  Il faut avoir la foi d’un charbonnier comme lui pour défendre « la valeur d’usage » ou de dénoncer « Le travail fantôme » dans une société où le capitalisme et l’économie de marché sont des horizons indépassables. Pourtant sans ce travail fantôme qu’exige le capitalisme point de développement industriel.

                  Ivan Illich est un grand Monsieur. Il explique clairement comment la société industrielle va à sa perte et comment c’est inévitable.
                  Voilà un philosophe qui est accessible à tous, pas besoin d’être très savant pour le comprendre, son objectif étant de partager sa lucidité sur le monde industriel.

                  C’est à partir de ses idées que le Mouvement de Réseaux d’ Echanges de Savoirs Réciproques s’est mis en place en France. Ces réseaux malheureusement restent très discrets, ils sont peu connus, pourtant ce serait un moyen efficace, peu couteux pour aider les gens d’une manière active et citoyenne et leur redonner confiance dans un avenir de fraternité.


                  • clostra 31 janvier 2010 11:44

                    Les Réseaux d’Echanges de Savoirs Réciproques (et de création collective) sont en effet un immense espoir et leur discrétion fait également partie de leur efficience qui s’imposera peut-être comme une évidence alors que des dépenses de replâtrage n’y suffiront plus.
                    Faut-il le rappeler, loin d’être fondé sur une théorie abstraite, ils sont issus de l’observation d’une enseignante particulièrement à l’écoute pour remplir sa mission au sein d’un service public dit de l’« éducation nationale ».
                    Une simple observation que chacun peut faire : n’a-t-il jamais éprouvé la joie toute simple de transmettre quelque chose qu’il sait (ne serait-ce qu’à ses enfants) et d’être parfois stupéfait de ce qu’il est capable d’enseigner, l’ordre qui s’impose à sa mémoire pour la transmettre, l’enrichissement personnel lors de cette relation.
                    Même observation dans l’autre sens : quel plaisir d’apprendre, de découvrir et par là même de fonder son respect de l’autre dans la réciprocité.
                    L’exemple même de ce qu’est le « gagnant gagnant »

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