Injustement oubliée : Lavinia Fontana
Dans le monde entier, tous ceux qui s’intéressent à l’art pictural portent un regard particulier, et souvent fasciné, sur les œuvres des maîtres italiens de la Renaissance. Á juste titre, eu égard au génie dont ont fait preuve nombre de peintres d’une péninsule petite par la surface mais immense par le talent de ses artistes. Il est pourtant une catégorie de peintres injustement méconnue du public : les femmes. Et parmi elles la talentueuse et déterminée Lavinia Fontana...
On ne sait pas grand-chose de l’éducation de la jeune Lavinia, si ce n’est qu’elle fut formée à l’art maniériste par son propre père et qu’elle bénéficia sans aucun doute d’une éducation bourgeoise de qualité comme en témoigne, dans son « Autoportrait à l’épinette avec une servante » sa maîtrise de l’instrument et la présence d’une servante dévouée.
Lorsqu’elle épousa en 1577, à l’âge de 25 ans, le peintre Gian Paolo Zappi, Lavinia était déjà une artiste confirmée comme le montre « Le Christ et les symboles de la Passion » (Museum of Art d’El Paso) exécuté l’année précédente après « L’enfant au singe » malheureusement perdu. Lavinia, dont le talent fut rapidement reconnu, réussit sans trop de difficulté à conquérir une clientèle de choix parmi les notables dont elle exécutait les portraits. Survint alors un fait étonnant pour l’époque : reconnaissant avec une louable humilité qu’il était manifestement moins doué que son épouse, Gian Paolo Zappi se mit à son service comme assistant peintre, probablement en charge des arrières-plans, et gestionnaire des comptes. Sans doute aussi comme assistant maternel car, en l’absence de contraception, Lavinia multipliait les grossesses : elle donnera naissance à onze enfants dont seuls trois survivront.
Malgré ces grossesses à répétition, Lavinia s’adonna à son art en explorant des styles, des formats et des sujets inattendus chez une femme du 16e siècle : peinture sur cuivre, tryptiques, sujets profanes, mythologiques et religieux, tout ou presque fut l’objet de sa curiosité créatrice. Lavinia osa même s’affranchir des tabous pour exécuter des nus, tant féminins que masculins, ce qui ne manqua sans doute pas de faire jaser dans l’Italie du Cinquecento. Pas au point toutefois de couper Lavinia du Vatican où son père était introduit. Deux papes poseront d’ailleurs pour elle (Grégoire XIII et Clément VIII) et – fait là encore inédit dans l’Italie du 16e siècle – lui passeront d’importantes commandes rémunérées à l’égal des commandes passées aux hommes. Parmi ces œuvres figurent notamment « L’apparition de Jésus à Marie-Madeleine » et « La Sainte famille ». L’œuvre religieuse majeure de Lavinia, un tryptique de plus de 6 m de longueur exécuté en 1601 à la demande de Clément VIII, disparut malheureusement dans l’incendie de l’église romaine de Saint-Paul-hors-les-murs ; ce tryptique mettait en scène « Le martyr de Saint Étienne ».
Cédant à la fascination de son temps pour la décapitation d’Holopherne, Lavinia peignit elle aussi Judith. Mais à la différence d’autres toiles de l’époque, et notamment des ultra-violentes représentations du supplice par sa tourmentée cadette Artemisia Gentileschi dans le sillage du Caravage, Lavinia se contenta de montrer Judith le glaive dans une main et la tête tranchée d’Holopherne dans l’autre, là où, quelques décennies plus tard, Artemisia se mettra en scène en justicière tranchant le cou de son violeur.
Une autre œuvre de Lavinia attire l’attention, moins par son exécution que par le sujet traité : il s’agit du spectaculaire portrait de l’infortunée Tognina Gonsalvus. Conservé au musée de Blois, cet étonnant tableau montre, en habit de cour, une jeune femme atteinte, comme son père Petrus*, d’hypertrichose (ou hirsutisme), une terrible anomalie génétique caractérisée par une anormale pilosité de tout ou partie du corps.
Au fil des ans, Lavinia Fontana réussit à hisser son art au niveau des meilleurs, et sa réputation franchit les frontières. Á tel point qu’en 1589, le roi Philippe II d’Espagne lui commanda un portrait de la famille royale. Appelée à Rome en 1603 par le pape Clément VIII, Lavinia, reconnue comme l’un des artistes majeurs de son époque, fut la première femme admise au sein de la prestigieuse Accademia di San Luca (1611). Elle mourut à Rome le 11 août 1614.
135 œuvres encore existantes de nos jours sont attribuées à Lavinia Fontana, mais seules 35 –dont 32 datées et signées – le sont de manière indiscutable. Parmi ces œuvres, trois toiles attribuées à tort à Guido Reni (1575-1642) dont « La visite de la reine de Saba à Salomon » (Dublin : National Gallery of Ireland). Profanes, mythologiques ou religieuses, toutes les œuvres de la Bolognaise sont d’excellente facture et notamment remarquables par la finesse de reproduction des broderies, des dentelles et des bijoux dont elle aimait parer ses modèles. Les experts affirment que Lavinia Fontana fut influencée par Sofonisba Anguissola. C’est possible, et même probable. Mais une chose est sûre : elle influença, à son tour, nombre de ses cadets et cadettes en peinture tant fut grande la qualité de sa production.
* Prospero Lavinia participa également à la superbe décoration du Palazzo Vecchio de Florence au côté de Giorgio Vasari.
** « Homme-singe » comme on disait alors, Petrus Gonsalvus, originaire de Ténériffe, avait été ramené des Pays-Bas pour... distraire la cour d’Henri II au château de Fontainebleau. Le pauvre homme bénéficia en échange d’une éducation de qualité qu’il put transmettre à ses quatre enfants, malheureusement tous atteints, à des degrés divers, du même mal.
Lien vidéo :
Le superbe « Lamento della Ninfa » de Claudio Monteverdi, illustré par des œuvres de Lavinia Fontana dont le compositeur fut le contemporain.
Liens sur mes précédents articles consacrés aux femmes-peintre méconnues :
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