Dans quelques jours, le 13 septembre, cela fera presque dix ans que Roland Blanche a rencontré la faucheuse, qu’ils sont partis ensemble et qu’on ne les a plus revus. Le "grand second rôle", la canaille banale qui jouait à la perfection les méchants, les salauds et les fêlés, le prolo chauve si étrangement normal qu’il en était anormalement étrange, venait de partir avec une moins que rien. "Il avait le cœur sur la main. Il l’a lâché en pleine nuit"[i].
[i] Jean-Pierre Léonardi dans L’Humanité du 14/9/1999.
C’était un vol Paris-Marseille d’Air Inter dans l’hiver 1990. Le hasard des réservations m’avait assis à côté de Roland Blanche, déjà aspirant "meilleur second rôle masculin" pour l’ensemble de son œuvre. Je lui parle de la série (intelligente pour une fois) de polar qu’il tourne pour FR3, à Marseille, justement, et de mon admiration pour ses prestations.
Il m’explique qu’il ne visionne jamais ses apparitions, mais a l’air à la fois surpris et content qu’une série noire française puisse tenir la route aux yeux de quelqu’un qui s’y connaît (c’était mon cas à l’époque).
Il est franc, ironique, commande son troisième whisky à l’hôtesse.
Je crois bien qu’on a fumé aussi, car il me semble (mais j’ai la mémoire qui flanche) qu’on pouvait encore fumer dans les avions, en "ces temps déraisonnables où l’on avait mis les morts à table, on faisait des châteaux de sable et l’on prenait les loups pour des chiens[i]".
On bavarde un peu, il me dit qu’il essaie de lire Céline entre deux scénarii et me tutoie parce que "j’ai l’air d’un juste mal déguisé en voyou".
Je refuse le whisky. Il me regarde, a un sourire en forme de rictus, animal et canaille, et puis il lance, en faisant tinter les glaçons dans ma direction : "la vie, c’est pour les vivants".
Du coup, je hoche la tête, et le vol se pose avant que j’ai pu trouver une phrase moins bête que "j’aime beaucoup ce que vous faites", ou encore "faites gaffe à vous".
La vie est un roman :
Dans les starting-blocks de la vie, c’était plutôt mal parti pour lui, dans un pavillon de Thiais, Val-de-Marne, le dernier jour de 1943. Un père chaudronnier qui ne buvait pas que de l’eau ferrugineuse, un grand-père cantonnier et rescapé des tranchées, qui lui apprend l’art du jardinage et des chansons. Une voisine, Mlle Berthe, qui après l’avoir vu jouer des pièces pour enfants, lui fait lire Balzac et lui lègue sa bibliothèque, avant de se pendre avec une cravate.
Une enfance à la Zola, à la Céline et son Mort à crédit.
Entre 19 et 29 ans, il arrête même le théâtre et devient sacristain au temple de Boulogne-Billancourt. Et puis une pièce de Marivaux passe par là, où il manque un Arlequin. C’est la rencontre avec Jean-Michel Ribbes, qui fera tourner la roue dans le bon sens et amènera la rencontre avec d’autres comédiens noctambules comme Richard Bohringer, Villeret, Niels Arestrup, etc.
Des pointures aux manettes comme Verneuil, Boisset, Corneau, Wadjda, Blier, Besson, Godard voient bien tout ce qu’ils peuvent tirer de ce personnage d’apparence banale, alternativement prolétaire, sale type, flic bourru, voyou vicieux ou psychopathe allumé.
Cela ne s’arrêtera plus avant la faucheuse : 65 films au compteur, un visage inoubliable et connu de tous (à défaut de son nom). Une trentaine de prestations au théâtre, y compris pour Chéreau, et le Molière du meilleur comédien pour un second rôle pour son travail sur Brecht en 1994.
Paillettes et féerie seront pour une autre fois :
Dans la lignée bien française des grands acteurs de seconds rôles (de Jean-François Stevenin à Patrick Chesnais en passant par Niels Arestrup, Jean Bouise et Donadieu, ou Castelitto en Italie), Roland Blanche fut un artisan de la composition honnête et sans trahison, fine sous l’apparence brute ou gouailleuse.
Carrure imposante au propre comme au figuré, toujours mal rasé, épaisseur à la fois débonnaire et menaçante, il excellait dans les personnages de givrés patentés, de flics ou de voyous inquiétants. Sous la faconde, la banalité du chauve, la dégaine sans âge, le corps empâté, il y avait ce regard perçant, carnassier, souvent embué d’angoisse, de félin assoupi.
Un interprète rêvé pour incarner les fêlures à peine visibles sous un masque de voisin de palier, mais prêtes à péter cependant.
Roland Blanche a "percé" à la force de son talent et de sa présence animale, pas par sa belle gueule.
Blanche, c’est la revanche des cabossés, des cabossés de la vie et des cabossés tout court.
Ce fut surtout un formidable "véhicule", d’émotions et d’ondes diverses et contradictoires - mais toujours crédibles -, comme c’est précisément le boulot d’un comédien.
Il aimait aussi la vie, la vraie. Sans doute mal, c’est-à-dire trop.
La trajectoire de la course :
Blanche était né à Thiais, Val-de-Marne. Il est mort à Thiais, Val-de-Marne, chez lui, à 56 ans. Son père était chaudronnier, lui a fait l’acteur. Il était né pour être un second, un obscur, pour ramer avec la force décuplée des perdants. Mais il fut un grand, un grand des seconds rôles, un Poulidor des sun light.
Parfois, la vie est simple, limpide comme un Whisky où on aurait mis trop de glaçons. L’éclairagiste a fait un fondu au noir, et puis il est parti dans la poursuite, le Roland.
Je peux bien vous le dire, maintenant : j’aimais beaucoup ce que vous faisiez, Monsieur Roland…
[i] Louis Aragon, Est-ce ainsi que les hommes vivent ?
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Roland Blanche ,je l’avais vu dans pas mal de rôles ,mais un qui m’avait fait marrer ,c’était une comédie complètement dingue avec Bohringer ,Stéphane Audran,Jacqueline Maillant ,Bernard Menez et d’autres ,ça se passait dans une sphére totalement déjantée ,dans une ambiance érotico comique ,je ne me souviens plus du titre du Film ,mais c’était tordant ......
on aimait bien sa belle " sale gueule " celle qui ne s’oublie pas ,celle qui quand on voit un film et qu’elle apparait ,même si on ne peut pas toujours lui donner un nom ,suscite cette reflexion : "ah oui ,ce mec ,j’aime bien il est bon !...."
Bon, j’ai réussi à sourire et à faire un clin d’oeil, mais je n’ai pas réussi à vous tirer la langue. C’est sans doute que je suis trop bien élevée.
:-P
Roland Blanche ,je l’avais vu dans pas mal de rôles ,mais un qui m’avait fait marrer ,c’était une comédie complètement dingue avec Bohringer ,Stéphane Audran,Jacqueline Maillant ,Bernard Menez et d’autres ,ça se passait dans une sphére totalement déjantée ,dans une ambiance érotico comique ,je ne me souviens plus du titre du Film ,mais c’était tordant .... Les saisons du plaisir de Mocky !
Excellent film !
Salut maxim
comme je disais a mimi, venus faisait un peu trop la tête...
A ce que je vois, tu enchaines les conquetes.
Je ne me fais donc aucun souci pour les changement de saisons
et pour la seve non plus
Ave, Furtif
S’chais pas , j’ai méme pas chanté (heureusement...)
J’ai pas non plus rejoint le coeur des pleureuses, car , du peu que je connaissais Roland Blanche, il n’aurait pas aimé, pas méme compris.
C’était juste un petit mot pour dire que les hommes ne sont pas des chiens, que dix ans après on se souvient encore de certains d’entre eux, et qu’il faut aller voir et revoir ces gens, puisqu’ils ont la chance d’avoir imprimé la pellicule, et donc "niqué" la faucheuse....
PS : J’avais cité Aragon à ton intention,( et celle de Blanche qui aimait bien l’interprétation de Lavilliers de "est-ce ainsi que les hommes vivent"), mais si ça ne t’as pas plu, je ne le ferais plus....
Bel hommage à une de ces "gueules" de 2e plan très crédibles et qu’on n’oublie jamais.
Je pense aussi à Jean Bouise, André Pousse, Robert Dalban, Claude Brosset, ...
Putain, ils avaient des gueules, ces mecs-là ....
Oui, Tall, et aussi Dominqiue Pinon, Arestup, Donnadieu, Sergio Castellitto, tant d’autres.
On est plus riche au deuxième rang qu’au premier, comme souvent dans les classes.....
Merci de rappeler quel grand acteur fut Roland Blanche. Je l’avais vu sur scène dans les années 80, dans une pièce de Sam Shepard avec Richard Bohringer : " l’Ouest, le vrai". Un duo d’acteurs extraordinaire, toujours le ton juste. Une grande perte.
Sandro
Moi aussi j’ai apprécié Roland Blanche et Francis d’ailleurs ce qui n’a rien à voir !
Dans NIKITA quand il se fait transpercer la main par un crayon, il est très sobre !
Et puis c’est bien d’être un second rôle.
Reiser aurait dit, la vie, c’est comme dans les boites de cassoulet ! C’est déprimant d’être un haricot, mais tout le monde ne peut être le morceau de lard ou la saucisse, alors quand on est juste la gousse d’ail ou la chapelure, on mène sa petite vie sans trop s’en faire et se poser de question
Salut Sandro
J’étais sûr que tu allais y aller de ton article de rentrée
J’ai une tendresse particulière pour ces artistes dits de second plan, ces seconds couteaux, ne présentant pas les attributs de séduction pour jouer les 1er rôles, mais présentant néanmoins une gueule certaine pour les seconds. Sans eux, le premier ne brillerait d’ailleurs pas. Audiard se reposait tant sur ses seconds rôles qu’ils éteignaient le premier, à dessein j’imagine. Un BLANCHE aurait certainement eu sa place dans sa fine équipe, taillé pour le rôle de brigand énigmatique
on oublie Marcel Bozzufi ,avec sa gueule de mafiosi ...
pour info si vous voulez voir un bon film uniquement tourné avec des seconds rôles en vedettes ,procurez vous " Les Hommes " avec Michel Constantin et Bozzufi dans les rôles principaux ,Nicole Calfan également et d’autres dont j’ai oublié le nom,tous aussi bons dans ce fil campant le milieu Marseillais des années 50 ......ah oui j’oublais Marco Perrin dans le rôle du flic ......
un film qui vaut bien plus que certains navets alimentaires du genre ,là au moins ,c’est crédible ,on est dans l’ambiance et les acteurs n’ont pas l’air de s’emmerder à courrir le cacheton pour payer le fisc !
Tout à fait d’accord pour Bozzufi, un autre grand de l’ombre chinoise.
Dans le genre, il faut absolument aller voir, pour ceux qui l’ont raté , "j’ai toujours révé d’étre un gangster", de Samuel Benchetritt.
Outre le plaisir d’y voir Bashung et Arno dans leurs propres roles, il y a là, autour de Jean Rochefort, une brochette de "seconds roles" de talent, caricaturant leur propre role de has been du braquage -et du cinéma..- :
JP. Kalfon, Laurent Terzieff, Roger Dumas (un vrai sosie de Gabin dans le film), Venantino Venantini, tout ça avec un 2 eme role actuel et prometteur, Edouard Baer.
Du grand art. En noir et blanc, bien grincant, bien noir.
Tellement de grands acteurs de second plan comme Jean Bouise ou Robert Daran, pas des gueules de Delon mais tellement magnifiques, tellement humains, tellement bouleversants.
Tiens je remarque que les rédacteurs pouet pouet du bobo ne viennent jamais sur ce genre d’article. Sont pas à leur aise avec la populace et les cul terreux ?
c’est tout simplement la difference entre les amoureux de la vie et de l’authenticité ,celle où l’on appelle un chat un chat ,la vraie vie tout bonnement ,et celle de l’hypocrisie ,d’un certain snobisme prétendu élitiste où tout ce qui n’est pas purement intellectuel n’est bon que pour le petit peuple ,celui qui se contente de joies simples ! les prolos pour être plus direct ,et bien moi,je suis fier d’être un prolo !
L’ombre, la lumière, ca tourne avec le soleil et le moment de la journée, ou de la vie.
"Et si la vie n’était qu’une journée, et la mort une nuit.. que si la mort lui nuit", comme chantait Téléphone.
Roland Blanche n’a peut-être pas décroché la Une mais qu’il soit si présent dans votre souvenir témoigne de l’épaisseur du talent. Il avait dans le regard une profondeur inquiète qui impressionnait.
Vous avez su sortir l’homme de l’écran et être le mémorialiste qu’il méritait.
J’ai commencé Les falsificateurs et ça à l’air très intéressant. Il me reste seulement 486 pages avant la fin... Et comme je dois avoir une bonne quinzaine de livres en chantier, je pense le terminer d’ici Noël.
Non, je plaisante (pas pour les 15 livres, qui sont plus près de 20 d’ailleurs), c’est une histoire de quelques jours...Si le récit tient ses promesses.
Merci, Doc., de votre fidélité.
Merci aussi pour vos herbes du jardin qui ont guéri mes malheurs de juillet...
Mes vacances ? "Comme la terre est basse"... , disait Polnareff dans "Holidays".
Elle est basse pour vous aussi, à ce que j’ai lu en cuisine ...
Elle ne l’était pas vue d’avion, dans ce moment de vie aérienne passé dans la carlingue de cet avion avec R. Blanche, il y a 18 ans....
Pour les amateurs de seconds personnages, il y a un site très bien, entièrement consacré à eux, c’est www.secondcouteaux.com, mais on dirait qu’il a disparu...
Merci SANDRO.
Impeccable, comme d’habitude...
On peut voir Roland à l’oeuvre dans Bernie d’Albert dupontel,
dont voici un extrait (avec R. B.), accompagné par la chanson Là-bas (superbe ; avec des paroles, ouf...) de Noir Désir ...
Je connaissais Roland Blanche pour ses apparitions "hétéroclites", mais ne savais pas du tout qu’il était décédé. Je te remercie d’avoir fait un article sur lui et sa personne, car c’était un acteur que j’aimais beaucoup.
Ton article m’a surtout surpris de par "sa fin".
Mais te remercie quand même de rendre hommage à artiste de qualité, même si pour certains il n’a toujours été qu’un second plan (ce qui a été dommage).
Merci à toi, car il a tenu de vraiment bons rôles.