Jarmush, ou quand le « cool » s’enlise dans la glace
Le pitch :
Adam a traversé les siècles en devenant vampire. Il est aujourd’hui un musicien underground à Détroit USA et est profondément déprimé par la tournure qu’ont prise les activités humaines. Eve vit à Tanger où elle fréquente Christopher Marlowe, ce contemporain de Shakespeare est devenu vampire lui aussi.
Eve, inquiète par l’état mental d’Adam va venir le retrouver aux Etats unis, leur histoire d’amour dure depuis plusieurs siècles. Ces deux êtres en marge, sages mais fragiles, peuvent-ils continuer à survivre dans un monde moderne qui s’effondre autour d’eux ?
Odi PROFANUM VULGUS ET ARCEO
« Je hais le vulgaire profane et je l'écarte. »
Cette citation d’Horace est on ne peut plus adaptée pour présenter les trois personnages principaux, d’« Only Lovers Left Alive »
Au cours des siècles les humains, que les vampires appellent désormais ‘zombies’, sont devenus une masse indifférente à la beauté, et qui achève de détruire inexorablement la planète. Réfugié à l’abri d’un appartement, tel Diogène dans son tonneau, Adam se préserve de la barbarie humaine depuis l’ilot de culture, d’érudition et de délicatesse qu’il s’est construit dans une zone désaffectée de Détroit. Et comme le légendaire philosophe, il professe son profond dédain pour le genre humain, entre une citation latine et l’exécution virtuose de pièces pour violon.
ONLY THE KOOPLES SURVIVE : ADAM ET ÈVE, "EN COUPLE DEPUIS 2014 ANS"
Passionnés de musique et de belles lettres ils vivent en sages et quasiment reclus. Êtres fins, délicats et supérieurs, précieux mais pas complètement ridicules, ils se délectent de sang o négatif au cours de libations filmées comme d’orgiaques parties de drogue. Rare et raffiné, ce grand cru est à l’aune de leur excellence. Le O - s’achète sous le manteau, aux dealers qui le détournent des hôpitaux, et est au vampire ce que la China White N°2 est à tout junky qui se respecte. On en serait ravi si la veine de l’ironie, voire du comique, était complètement explorée complètement par le film.
Il y a bien une tentative de légèreté avec l‘arrivée de la jeune sœur d’Eve ; vampirette destroy, punkette écervelée, elle apporte un réel bol d’air frais à nos deux snobs poussiéreux, asphyxiés. Alors une pointe de comédie et d’humour nous soulage un peu de la morgue horripilante des amants éternels.
Hélas la petite sœur, repartira trop vite d’où elle venait. Et nous de le regretter car il y avait là une piste qu’« Only Lovers… » ne prendra plus. Nous suivrons désormais un couple écrasé par l'inévitable médiocrité du Vulgus. Filmé comme deux figurines de mode, nos « vampires célestes » traversent ce long métrage. Sombres, parfois autodestructeurs mais toujours élégants et propres sur eux, ils trainent leur mélancolie, puis notre ennui. L’humanité aurait d’ailleurs atteint un tel point de non retour qu’Adam, le plus dépressif des deux, envisage de mettre fin à sa vie éternelle.
JARMUSH REVIENT À SES FONDAMENTAUX
On attendait autre chose que ce qu’il disait déjà dans « Permanent Vacation ». Le personnage principal du premier film de Jim Jarmusch y trainait la même errance dans le temps, les espaces. Comme les vampires d’ « Only Lovers » il était d’ici, d’ailleurs, de nulle part, fondamentalement sans attaches et avec pour seul ancrage un dandysme désespéré et un incorrigible romantisme.
Le chaos, les terrains vagues et les squats de « permanent vacation » ont laissé la place aux raffinements d’esthète. Le dandy fauché est devenu un gitan Keith Richardsien reclus dans sa tour d’ivoire. Un nouvel « Exilé sur la Main Street » d’un Détroit fantomatique où des voix échappées de la Motown errent dans la pénombre….
Et même le magnifique Rockabilly for Ice Cool Cats de Charlie Feathers qui envahit l’écran au milieu du film ne parviendra pas à masquer une réalité décevante : le film est surtout « papier glacé » plutôt que « cool ».
Il ne suffisait pas de faire lire des passages de Lautréamont au comédien pour captiver les spectateurs de son premier film. Aujourd’hui on se lasse également de voir les acteurs s'extasier deux heures durant sur des instruments de musiques légendaires, citer en latin le nom de fleurs ou des essences de ces bois précieux dont sont faites les balles contre les vampires, tartiner la pellicule de leur culture, de leurs références et de leur snobisme.
Le flot d’exaltations de la philosophie romantique, du spleen baudelairien, de l’esprit beat, et la rock and roll attitude finissent par ressembler à ce que c’est en vérité : Une posture.
En dépit de la lumière magnifique du chef opérateur et de nombre de talents conjugués « Only lovers left alive » reste un écrin luxueux qui ne contient aucune perle, juste un grand vide mélancolique, hélas décevant.
Jarmush reprend le refrain de ces débuts, un peu prétentieux, un peu vain et dans le fond un peu chiant. Sauf qu’au bout de 35 années d’exercice son talent nous a, de fait, rendu plus exigeants.
ESSAI MARQUÉ MAIS NON TRANSFORMÉ
Le film déçoit d’autant qu’il est abondamment truffé de bonnes idées, de moments émouvants et de plans séquences admirables ; Le premier couple de l’humanité qui a traversé les siècles en devenant vampires ; un magnifique théâtre qui jadis accueillait des artistes est devenu un parking, sinon le cimetière de merveilles automobiles fabriquées du temps de la magnificence de « Motor City » ; le choix de Detroit, ville actuellement en faillite et symbole d’une splendeur économique et culturelle passée ; les errances nocturnes dans ses rues désertes et ravagées par la crise ; la procession douloureuse dans les dédales de Tanger du couple d’amants éternels en quête de leur fix de sang ; l’idée du vampire épuisé, désespéré, et comme acculé au suicide par une incurable douleur à l’endroit de l’humanité…
MY MY , HEY HEY
En remontant le boulevard de Clichy j’avais exactement le même sentiment de malaise et cette confuse colère qui me prend quand je croise des pubs pour The Kopples.
Ce n’est pas l’humanité qui est désespérante mais le vampire qu’elle a conçu, ce système mortifère et vide que semble fustiger Jarmusch alors qu’en réalité il est en plein dedans.
Comme quoi, à force de vivre lui aussi reclus dans une tour d’ivoire, à l’instar d’Adam son alter ego, il rate son coup, de peu, et reviennent alors les paroles de Neil Young :
« Rock and roll can never die
« There's more to the picture
« Than meets the eye.
« Hey hey, my my… »
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