C’est un discret, un taiseux dont les mots torturés sur la feuille blanche passent ensuite dans la bouche des chanteurs. Et ça fait du bruit. Jongleur de mots pendant 20 ans pour Alain Bashung , dont il était l’ami et le "demi-frère" depuis 1975, Jean Fauque est un taiseux brillant. Le plus grand parolier français vivant. A 58 ans, il est arrivé au bout d’un voyage intime qui lui a fait crever le miroir , en produisant son premier album, "13 aurores", dont il est l’auteur- compositeur- interprète. Pas un faiseur, un diseur, un chanteur-parleur. Qui nous emmène dans son voyage immobile.
"Chanter, c’est lancer des balles", disait Souchon. "Derrière une vitre, pour pas qu’une petite nous quitte, ou pour que la vie passe plus vite". Et derrière la vitre, il y a le parolier, sorte de sous-marin qui doit déclencher des remous dans la tête des gens. Et ne pas s’aimer trop fort, car hormis pour la SACEM, on ne saura -presque -rien de lui.
Jean Fauque faisait ce métier. Depuis longtemps. Il le faisait brillement, pour Jacques Dutronc, pour Hallyday, Guesh Patti, Vanessa Paradis. Et puis, bien sur, pour Alain Bashung. En exclusivité et à plein temps, de 1989 (Album "Novice") à 2002 ("L’imprudence"). En passant par Osez Joséphine, Chatterton, Fantaisie Militaire.
Fils de militaire, pied-noir, Fauque écrit dès 10 ans, quand il rentre en France. Il rencontre Bashung en 1975 et lui écrit 10 chansons, qui resteront dans les tiroirs. Mais c’est le début d’une longue amitié avec "un demi-frère de noirceur". Il sera régisseur des tournées d’Alain lorsque le succès viendra. Puis, en 89, quand Boris Bergman (le parolier d’Alain depuis 10 ans) est éconduit, Bashung se tourne vers son ami, le parrain de son fils Arthur. Et ce sera -comme par hasard- l’ascension de Bashung vers la maturité, le mystère et la qualité.
Le jongleur de mots
Dans son écriture à quatre mains avec Alain Bashung (la plupart du temps chacun de son coté, comparant leur travail à la fin dans des séances de "collages" interminables), Fauque a du épouser la noirceur d’Alain, mais aussi sa fulgurance. La recherche de l’élégance, de l’onirisme, du sens, mais aussi de l’humour décalé.
La plupart des textes ont plusieurs niveaux de lecture, que chacun peut choisir. Par exemple, dans "Osez Joséphine", on peut prendre " à l’arrière des Dauphine, je suis le roi des scélérats à qui sourit la vie. Marcher sur l’eau, éviter les péages, jamais souffrir, juste faire hennir les chevaux du plaisir" au premier degré automobile. Comme, naturellement, du libertin jouissant des faveurs d’une "Dauphine" moyenâgeuse…
Il a beaucoup soigné les allitérations et les associations d’idées :
"Je passe de sas en sas
Les ombres s’échinent à me chercher des noises"
Ou bien encore :
"Que m’enseigne encore ce néon
Rien qui me fasse réfléchir
Au-delà des allo
On se perd au téléphone
Et du reste on n’en a cure".
Il est aussi l’auteur de petites pépites comme :
"Les calculs mentholés
Dans ta bouche ça piquait
J’ai pas compté, j’escomptais
Mais une erreur de taille s’est glissée
Et j’y suis resté"
Ou
"Epaves et pavés
Sont fait pour se rencontrer
Puis se perdre en retrouvailles"
"Ma vie sous verre
S’avère
Ebréchée"
"Rêves et ravins
Règlent nos moulins
Calent nos chagrins
Le temps écrit sa musique
Sur des portées disparues
Et l’orchestre aura beau faire pénitence
Un jour j’irai vers l’irréel
Tester le matériel
Y seras-tu ?"
Sur son travail, il indique : "lorsqu’on écrit sur un sujet grave, il faut le casser, avec de l’humour. Et c’est là qu’intervient le jeu de mots, pour dédramatiser la situation. La parole, c’est la pensée, c’est aussi le social. Et à partir du moment on la détruit, où l’on envoie un boule de bowling dans le jeu de quilles des mots, on détruit le jeu social, on casse cette comédie humaine. C’est le rôle de l’humour, qui est l’arme des désespérés."
Pour son dernier album, Bleu pétrole, Bashung lui avait rendu sa liberté, et fait des infidélités avec Gaétan Roussel et Joseph d’Anvers. Toujours amis, ils devaient travailler de nouveau ensemble sur un album en 2010, mais le crabe ne l’a pas voulu. Dans une dernière Fantaisie Militaire, Bashung, le soldat sans joie, a déguerpi dans la 13 eme Division du Père Lachaise.
Le vrai du Fauque
Dès lors, c’est à Jean Fauque, le "gardien du temple", le dernier rescapé du canal historique bashungien , de porter le flambeau sur scène. Avec 13 aurores, treize chansons d’alcôves, mi-chantées, mi-chuchotées, mi-racontées. Jean Fauque n’aime pas faire de bruit. C’est un artisan du voyage immobile. A 58 ans, il est arrivé au bout de son voyage au pays de la page blanche. Il a crevé le miroir, et est passé de l’autre coté.
En tournée dans toute la France depuis Novembre 2008, il était toute la semaine dernière au China à Paris. Dans la salle le premier soir, Arthur Bashung. La voix cassée, Fauque a chanté "la nuit, je mens" et "mes bras connaissent" , en hommage à Alain.
Puis , avec ses petites lunettes d’intello ( lui qui n’en est pas un), il a continué à égrener les chansons de sa petite boutique à lui.
"Ma jonque est jaune, jaune jonquille, à faire rougir l’automne".
Gros fumeur lui aussi, Fauque a terminé le spectacle avec cette chanson ironique :
Excellente écriture mi onirique mi surréaliste de Fauque comme de Bashung. "Les ombres s’échinent à me chercher des noises" ou le refrain "Osez Joséphine" sont des trouvailles qui élèvent le jeu de mots au rang de poésie. Et comme en plus la musique est bien accordée avec, c’est impeccable.
Oui, c’était "l’appiculteur" du miel des mots (et des maux) d’Alain.
20 ans de ping-pong verbal de haut niveau.
Après avoir sauté à l’élastique dans le Vercors, on l’a vu récement sauter sur le devant de la scène pour "sa petite entreprise" à lui.
Bonne route.
Bonjour Sandro et merci,
Je vous cite "Le mystère de la qualité", tout est dit...
Google recèle parfois de vraies pépites faisant de l’œil aux chercheurs d’Or, à la suivez moi jeune homme : http://www.myspace.com/jeanfauque
@ Jojo
Je ne sais pas si vous le savez, mais J. Fauque, pied-noir, a également collaborré (entre 85 et 89) à deux livres à peine romancés sur la saga des français en Algérie (co-signés avec Jacques Roseau, assassiné depuis).
De mémoire, il s’agit du "13 eme convoi" et "le 13 eme été".
Je l’ignorais cher Sandro merci.
Depuis j’ai essayé de me renseigner un peu : Vous avez raison, il est bien co-signataire du 13ème convoi avec Roseau.
Sinon sur l’assassinat de Roseau :
…il a précisé aux enquêteurs qu’il avait tiré trois balles sur Roseau « une pour chaque lettre du mot OAS »
Je parle de Fauque hier. ......... et sa réponse Tudieu !
Alors le Baschung le Alles
il est né où , quelle date et ON l’a inscrit sous quel nom de famille ?
Fauque a écrit pour l’écurie Barclay.
Moi celà ne me gêne pas, mais tenir des propos de midinette du style SLC d’article en article.
J’ai réagi sur votre dédain, votre haine sur l’Alsace et ses alsaciens.
Oui, d’autant que je vous signale (méme si ce n’est pas l’objet principal de l’article) que Jean Fauque a longtemps siégé au Conseil d’Administration de la SACEM, comme représentant des "paroliers/ auteurs".
( je ne sais pas s’il y siège toujours).
Il a toujours fait observer qu’il s’agissait du fruit du travail de professionnels, comme un boulanger, un écrivain, à qui on ne demande pas de distribuer gratuitement pain, croissants et livres sur les trottoirs.
Et il est vrai que dans les recettes dégagées dans la vente d’un CD, quand on enlevé la part maison disque, Packaging, réseau de vente, part de l’interprète, part du compositeur, il ne reste plus grand chose pour l’auteur/ parolier.
Certes, Fauque est un des plus connus, mais il n’en a pas toujours été ainsi, et il faut penser aux "petits" et aux obscurs (j’en sais quelque chose), qui ne roulent pas sur l’or.
@ Marsu
Oui, c’est pourquoi Fauque parle d’un "demi-frère". C’est à la fois en raison de leur amitié ancienne et solide, mais à cause de cette complémentarité dans le "ping pong verbal".
Les haltères et les ego, en quelque sorte.
Tellement vrai que Jean Fauque disait souvent qu’il "ne sortait pas indemne" de ces "séminaires" avec Alain dans la préparation d’un album.
Fauque se définit, par ailleurs, comme un "typeur".
Celui qui doit, au delà du sens , du son, de l’alitération, de l’ambiance générale, faire ressortir le type, le fait saillant qui va rester de la chanson (parfois bien loin de l’idée initiale et des brouillons).
Fauque il continue ! Ce demi-frère du demi breton Bashung : celui-ci était breton par sa mère mais surtout par la mer qui hante certaines de ces chansons comme Vertige de l’amour. Vertige de la mer...
Article bien senti et qui tombe à pic.
J’en profite pour rétablir une nuance qui me tient à cœur : le jeu de mots n’est pas le jeu de sens et J. Fauque a su élever les textes de Bashung au niveau du second. Bergman pouvait parfois rester sur le plancher...
Une question me vient à l’esprit, peut-être indécente, mais allez savoir : et si les origines de JF faisaient inconsciemment écho à celles possibles du père inconnu d’AB ?
Annalise,
Question pertiente mais intime, dont ils n’étaient que deux à connaitre la réponse.
L’un est (provisoirement) trop loin de nous pour y répondre.
Jean nous y répondra peut étre sur le forum que tu connais.
Comme je lui indiquais récemment, je suis également frappé, sans faire de la numérologie à quatre sous, par le role du chiffre 13 dans sa vie :
Ses livres "13 eme convoi" et "13 eme été", 13 albums d’Alain, son propre album " 13 aurores", et puis Alain parti dans la 13 eme Division de ce Père Lachaise de malheur...
Et dire qu’il pensait partir avant AB, et qu’ils en parlaient souvent.
"C’est la première fois qu’il m’a menti"disait Jean Fauque récement....
Pour ceux que cela interesse, mon compte rendu, sur le site officiel d’Alain Bashung, du dernier concert de Jean Fauque, le 23 juin dernier au China ( Paris 12 eme).