Jeanne Added : supplément de talent
Elle est installée depuis 10 ans dans la « niche » des icônes classieuses et atypiques du chant : un charme à déclencher les bagarres, de l’élégance, un zeste de classe. Pudique, discrète, cérébrale. Du mystère à tous les étages. Jeanne Added déteste les grands axes : avec elle, faut prendre les contre-allées. Ancienne chanteuse lyrique très précoce, puis de jazz, elle n’est venue qu’à 33 ans à « la chanson », même si c’était uniquement en anglais,...
« Pour se planquer », dit-elle. « Moins les gens comprennent mes textes, mieux je me porte, sinon, j’ai l’impression d’être à poil sur une place publique ».. Elle n’est pas de celles qui rameutent tout l’étage avec leurs vocalises, ni ne déclenchent les alarmes d’incendie du faux plafond des hôtels. Celle qui eu longtemps le look d’une punkette androgyne persiste, en interview, à faire des phrases avec « sujet/verbe/complément ». Bref, une rareté...Vous l’aurez deviné, on ne va pas parler ici « chansonnette » ( la belle a tout de même deux victoires de la musique au compteur du flipper -et presque trois, diront ceux qui ont vu sa prestation du 10 février dernier, où elle était encore « nominée »- )
Non, on va parler musique, émotion, « note bleue ». D’un « supplément de talent », comme on parle pour un livre ou certaines personnes d’un « supplément d’âme ».
Avec votre accord, je vais « vous la faire à l’envers » : partir de la fin, pour reculer jusqu’au début du film, comme lorsqu’on appuyait sur « rewind » au temps des K7, lorsque, en voiture, on se retourne, la main autour de l’appuie-tête du passager, pour faire la route à l’envers.
Alors l’instant actuel, c’est cette courte interview en février 2023 au bar des « Victoires de la musique », quelques minutes avant la cérémonie, dans l’attente d’un troisième couronnement (qui ne viendra finalement pas cette année).
J.A, c’est aussi cela (actuellement sur les bonnes platines et radios).
Pour ceux qui ne connaîtraient Jeanne Added (« ajout », ou « supplément », en anglais) que par ce morceau, le risque est grand de passer à coté de la miss. On croirait à une banale séquence un peu sucrée sur le thème de la séparation, une version moderne de « The winner takes it all », exécutée par une fille à jolie voix, au « body langage » minimaliste mais très travaillé.
Erreur. Jeanne Added est plus dans le salé que dans le sucré, celui des larmes ravalées de la rémoise arrivée avec larmes et bagages dans le « Ach, Parisss », sans y croire vraiment.
Et surtout, chanteuse de jazz dès 17 ans, elle a appris à lire et comprendre la musique dans une école spécialisée dès 7 ans, bien avant de maîtriser les chiffres et les lettres. C’est sans doute une des rares « chanteuses » de moins de 40 ans (42, pour être exact) qui soit capable de chanter uniquement à la lecture d’une partition. Et qui, jusqu’à 2021, ne composait qu’en anglais.
De formation classique, chanteuse lyrique à ses débuts, cette fille étrange « envoie dulourd » à 10 mètres et dispose d’une culture musicale étendue : elle peut parler des heures d’un morceau du Velvet Underground de Lou Reed comme de Nick Cave, de Patti Smith comme de Lord Huron, d’Otis Redding comme de ...Michael Jackson (si, si, personne n’est parfait…)
A 30/ 35 ans, elle n’aimait pas qu’on lui dise qu’elle ressemblait à Agnès Soral dans son rôle de « punkette au grand cœur » de « Tchao Pantin », de Claude Berri.
Les années ont passé, la coupe a changé, mais elle n’aime toujours pas. Ni qu’on évoque son « hypersensibilité », ou qu’on la désigne comme « l’écorchée vive du solfège », « l’androgyne de l’électro » et autres poncifs à trois balles.
Ni qu’on aborde avec elle au bout de cinq minutes le féminisme, sa féminité masquée dans les vestes floues, comme d’autres planquent la poussière sous le tapis, ou les thématiques LGBT. Même si elle en parle volontiers quelques heures plus tard, au café, si on a « réussi les tests préliminaires » et qu’elle est en confiance.
Elle fuit les déontologues auto-proclamés des terrasses de Boulogne.
Sous le jean prometteur, comme une frangine de Bashung : pas celui de l’icône classieuse et vénéneuse de la fin des 90’s et des années 2000. Non, celui de « Martine boude », de « bijou, bijou » et de « j’sors avec ma frangine » (pour ceux qui ont encore un peu de mémoire reptilienne dans le cortex.)
La coupe à la Jeanne Mas - version blonde - et le bomber était une fausse piste : elle tient plus, vocalement au moins, de la Carmel de « I am not afraid of you », ou de Hannah Reid, des « London Grammar ».
Du reste, Jeanne Added, qui n’a longtemps chanté qu’en anglais, c’est notre « London Grammar » à nous, extirpée des caves crayeuses de sa Champagne natale pour nous envoyer du bon son dans nos sonotones, quand sonne l’automne.
En continuant en marche arrière, on en arrive à ces deux « classiques » de 2019, froids et sophistiqués, une sorte de David Bowie au féminin.
Ou encore -Mutate- sans doute sa plus belle :
Ou encore -falling hearts- ( aux nuits de Fourviere)
Et on arrive enfin à cette belle interview de 2015, sa première un peu « fouillée », où sont esquissées les pistes de ce que sera finalement la Jeanne Added d’aujourd’hui.
Un zeste de timidité, une gestuelle un peu embarrassée, une émotion mal maitrisée mais une belle interview :
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Crédit photo : Marikel Lahana, SDP
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