Josef Nadj ou la nécessité du renouvellement
Josef Nadj, chorégraphe, reçoit le 12 mars 2006 à Turin le prix « Europe nouvelles réalités théâtrales », qui récompense ses vingt années de travail. Il livre dans un entretien ce qui anime son désir de créer.
Le travail de Josef Nadj vient d’être récompensé à Turin par le prix Europe nouvelles réalités théâtrales. Né en Voïvodine, région de Yougoslavie, en 1957, Josef Nadj a fréquenté à Budapest les Beaux Arts, des cours de théâtre. Il vient à Paris en 1980, alors qu’il souhaite faire du théâtre, il découvre la danse et partage les univers chorégraphiques de Mark Tompkins, Catherine Diverrès ou François Verret. Il fonde sa compagnie en 1986. Depuis 1995, il est directeur du Centre chorégraphique national d’Orléans.
Un prix vient de récompenser votre travail, qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Ce prix arrive à un moment où j’ai commencé réellement à réfléchir à l’étendue du parcours que j’ai réalisé. Il y a maintenant vingt ans de travail derrière moi avec ma compagnie, et je sens aujourd’hui que c’est le moment, non pas de s’arrêter, mais de changer le rythme de travail et l’approche même du travail.
Lors de la conférence animée par des critiques et personnalités du théâtre au sujet de mes créations, j’ai réalisé combien d’heures et combien de matière j’ai accumulées, peut-être un peu trop, et il est temps pour moi de faire une analyse approfondie de cet espace connu et de vouloir ouvrir d’autres espaces.
Vous avez dit, lors de la conférence consacrée à vos créations, que votre travail s’inscrivait dans des cycles de dix ans. Vous nous avez dit que vous abordiez maintenant le troisième d’une façon différente : comment faire le vide ? Comment faire table rase ? Qu’est-ce qui vous a conduit à cette réflexion ?
Le besoin d’éclaircir de quoi est fait mon univers, c’est-à-dire de comprendre la chimie de ma propre démarche ; afin d’éclaircir cela pour moi-même j’ai besoin de repartir à nouveau, comme si je devais recommencer, comme si j’étais redevenu un apprenti. Vouloir oublier. Oublier n’est pas possible, je sais que l’on ne peut pas faire le vide total, mais je veux retrouver, reconstruire cette attitude première envers la création, cette disponibilité. C’est pour ça que j’essaie intuitivement d’approcher cette forme, j’essaie d’enlever tous mes repères et de me consacrer sur quelques images, quelques espaces ou quelques sons. C’est pour ça que je vais commencer à travailler avec des musiciens, je vais me provoquer autrement, fermer mes livres, changer ma façon de vivre, lire moins, écouter plus, voir plus, lire autre chose que de la littérature. J’ai plusieurs idées, plusieurs pistes pour aborder ce renouvellement.
Dans vos spectacles, le spectateur n’assiste pas sur scène à une débauche de mouvements. Le corps, n’est pas exhibé. Au contraire, les personnages semblent animés par la retenue, par le silence. Qu’est-ce qui est à l’origine de ce traitement si particulier de l’expression corporelle ?
C’est une sorte de recherche autour de la nécessité de faire des mouvements qui nous parlent vraiment. On travaille beaucoup sur les origines de nos propres mouvements. Ça demande beaucoup de vigilance, pour que les mouvements soient en accord avec mes idées. Ça demande beaucoup de censure pour aller à l’économie.
Nostalgie, souvenirs, passé, fantômes, mystères sont les mots qui viennent naturellement à l’esprit en assistant à vos créations. Qu’est-ce qui est à la source de votre inspiration ? Que venez-vous dire sur le monde, sur l’humanité ?
Il n’y a que quelques questions vraiment essentielles. La question centrale est celle qui porte sur le mystère même de notre existence. Comment est-on là ? Pourquoi est-on là ? Pourquoi notre nature est comme on la vit ? Me pencher sur ces questions me met dans un état assez particulier. La littérature, la peinture, l’architecture ont livré au cours de l’histoire de l’humanité une fabuleuse galerie de témoignages de gens qui ont tenté de répondre avec des formes artistiques différentes à ce genre de questions.
Vous semblez être inclassable. Votre travail n’est ni vraiment du théâtre, ni vraiment de la danse. Vous broyez les formes, vous percutez nos catégories de pensée. Pourquoi cela ? Y a-t-il un lien entre ce refus des frontières et celles tant maltraitées au cours des siècles dans votre région d’origine ?
C’est lié à mes origines, à mon parcours, à mes convictions et à mes multiples inquiétudes pour chercher une forme d’expression qui me corresponde, d’abord avec le dessin, puis la littérature, puis avec la musique, et à la fin avec le mouvement. J’ai toujours été en perpétuelle recherche de la forme d’expression la plus adéquate pour moi, jusqu’à ce que je parvienne à définir cet endroit-là qui est la scène, cet endroit idéal qui m’a permis de concrétiser et de réunir toutes ces envies qui allaient dans toutes les directions.
Josef Nadj montrera cette année, au Festival d’Avignon, deux nouvelles créations, l’une consacrée à Henri Michaux pour la cour d’honneur avec seize danseurs et huit musiciens sur scène. Une autre pièce à la forme complètement différente, telle une sorte de performance visuelle, avec un plasticien nommé Miguel Barcelo. La démarche se concentre sur le geste créatif du plasticien. La pièce donnera à voir les gestes qui feront le tableau. Cette création représente pour lui un défi ; défi que de vouloir créer un tableau avec la volonté d’apprécier cela comme étant une œuvre théâtrale.
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