Justice cynique
Le duo électro Justice, frères ennemis de la french touch, a choisi de défrayer la chronique dans son dernier clip pour vendre ses fringues et ses disques. Ou comment considérer le conservatisme ambiant comme un outil marketing.

« Stress », dernier extrait de l’album parfait de Justice, récemment clipé par Romain Gavras, nous montre l’ordinaire journée d’une bande de jeunes de banlieue, bien décidés une fois leurs blousons enfilés de tout casser sur leur passage. Tout : les voitures, les gueules, les lampadaires ou les tables, tout péter, rageusement, « violemment » comme écrivent les journalistes. Violemment, oui, sans doute, toute colère est violente, et ils semblent bien en colère ces jeunes gens, visages tendus, l’air pas content du tout, la capuche bien relevée sur la tête quand même, histoire qu’on ne les reconnaisse que du bout des lèvres, ou pas du tout. Le courage, dans ces affaires là, est ailleurs. La descente en flamme de tout ce qui traîne, tout ce qui passe à portée de ce quarteron de petits voyous dure quelques minutes, les longues minutes entêtantes, efficaces et stridentes du génial morceau de Justice, « Stress », donc. Le tout se boucle par un crachat sur la caméra et une insulte au caméraman. Certains cherchent encore un message là dedans. Quel message ? Ce genre de violence est gratuite, cent pour cent gratuite, pas de message là dedans, il n’y a guère que les idéologues de gauche ou de droite bobo pour tenter de décrypter ce que « signifient » ces violences. Rien. Rien du tout. Juste de la violence. Brutale, fulgurante, qu’on n’a pas vu venir, qui s’abat sur le bon peuple telle une hausse de prix du gaz, du pain ou du pétrole.
« Stress », le clip, ne porte en lui aucun message. Enfin, presque. Et le presque est de taille, de plusieurs tailles même, il porte le message à l’encre sympathique écrit au dos des blousons flanqués d’une grande croix noire : achetez nous. On apprend ainsi sur le site du journal de mode Weekend que « Justice investit le monde de la mode et sort ses blousons noirs. Le temps d’une collection, le duo électro français s’associe en effet au label de mode Surface to Air (qui avait déjà réalisé le clip du tube We are your friends, sorti en 2007, avec lequel Justice a gagné un MTV Music Award) et commercialise enfin les fringues de ses rêves. Le résultat ? Deux modèles de vestes en cuir, l’un baptisé "G" pour Gaspard Augé et l’autre "X" pour Xavier de Rosnay, du nom des deux membres du groupe, ainsi que deux jeans, un slim noir et un large bleu. Réalisée en édition limitée, cette nouvelle collection intitulée "Surface to Air pour Justice" s’adresse aux femmes comme aux hommes et sera mise en vente à partir de ce mois de juin. » Voilà donc le fond de l’affaire. Tout cela, cette violence ordinaire, crue, filmée sans complaisance, certes, mais sans filtre non plus, ce qui déplaît aux néo cons qui pourraient voir dans ces maigres minutes de hargne une sorte d’ « incitation à la violence », tout cela ne serait donc qu’un exercice marketing de plus, plus original, plus frappant, plus « cynique » que beaucoup d’autres. Quoique. Le duo électro a choisi comme de bien entendu de ne le diffuser que sur le net, recette désormais connue pour bien faire prendre une mayonnaise médiatique. Chacun sait depuis de bien belles lurettes que tout ce qui est « exclusivement sur Internet » se retrouve absolument partout ailleurs en moins de temps qu’il n’en faut à Europe 1 pour infirmer la mort de Pascal Sevran.
Justice nous prendrait-il donc pour des cons ? Un peu, oui, nous et surtout ces jeunes gens, bons cœurs beaux sentiments qui depuis quelques jours transpirent d’indignation ou d’extase sur leurs claviers pas très propres d’ordinateurs, sous les touches desquels on trouverait plus de microbes tueurs que sur la cuvette des toilettes d’une gare, mais on s’égare. Justice se fout un peu du monde, bien sûr, mais pas davantage que tous ceux qui n’ont pour ambition et unique but que de se remplir un peu plus les poches. C’est la règle du jeu, qui n’en a pas. Tout est permis donc. Y compris dans un clip illustrant à merveille un morceau de musique originellement anxiogène, de montrer sans trop de trucage, sans exagération à peine, comment s’emmerde la banlieue, parfois : à grands coups de latte dans la gueule. C’est très drôle, enfin, de voir comment ceux qui ne remplaceront jamais le prêtre ou le curé, les instituteurs de la bonne morale, sont tombés tête la première dans ce soi disant « Orange mécanique » version french touch, qui se révèle finalement que comme un spot de publicité vantant la solidité, la noirceur, l’imposante tenue des nouveaux blousons noirs à croix christiques, censés peut-être très bientôt inonder les caves déjà bien encombrés de nos zones de non droit si chères à Nicolas Sarkozy.
C’était pas la peine de reformer NTM : les nouveaux niqueurs sont là depuis quelques années déjà, dans le sillage de Daft Punk. Plus intelligents, plus classes, plus éduqués que les rappers, on leur ouvre toutes les portes qu’ils défoncent quand même, parfois, juste pour rigoler, juste pour faire comme si le monde du dehors les intéressait un peu. C’est sans doute cela, la French Touch : ce qu’il faut d’intelligence, de cynisme et d’arrogance pour conquérir le monde.
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