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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Kadosh, Liberté, aime-moi comme je t’aime...

Kadosh, Liberté, aime-moi comme je t’aime...

Ultime volet d’une trilogie consacrée aux villes israéliennes, Kadosh (qui signifie « sacré » en hébreu) est un film étrange et troublant, à mi chemin entre le documentaire dont est issu son réalisateur Amos Gitaï et le conte romanesque jouant de la parabole pour mettre en exergue quelques-unes des facettes de la Ville Sainte.

En cette heure d’intolérance, quand tant de peuples vivent l’horreur au nom d’une couleur de peau, d’une religion ou plus simplement d’une Différence, un film comme Kadosh est une lucarne ouverte sur l’intelligence et la compassion. C’est donc bien de Kadosh, film israëlien présenté au Festival de Cannes en 1999, que j’ai choisi de vous parler, au mieux pour vous donner envie de le découvrir avec vos yeux ; au pire (si l’on peut parler de pire dans ces cas-là) pour vous montrer un peu de ce qu’ont vu les miens dans cette oeuvre certes peu connue mais terriblement parlante !

Ultime volet d’une trilogie consacrée aux villes israéliennes, Kadosh (qui signifie "sacré" en hébreu) est un film étrange et troublant, à mi chemin entre le documentaire dont est issu son réalisateur Amos Gitaï et le conte romanesque jouant de la parabole pour mettre en exergue quelques-unes des facettes de la Ville Sainte. Dans ses grandes lignes, le synopsis emprunte au livre La Répudiée signé Eliette Abecassis (Qumran, L’or et la cendre) qui aux côtés d’Amos Gitaï s’emploie au coscénarisme : Rivka et Malka, deux soeurs très attachées l’une à l’autre vivent, de nos jours, dans le quartier juif ultra-orthodoxe de Mea Shearim. Tandis que la première, mariée depuis dix ans à Meïr qu’elle aime profondément, est sur le point d’être répudiée car, selon le Talmud, elle n’a pu donner de descendant à son mari et est jugée stérile malgré les preuves de la médecine, la seconde qui est éprise d’un jeune laïc, mis au ban de la religion, est promise à Youssef, un homme qu’elle n’aime pas... Se pose ainsi la vitale question des Choix...

Après Devarim (1995) tourné à Tel-Aviv qui observait la génération des fils des pionniers et Yom Yom (1998) à Haïfa où est davantage considéré le métissage et les brassages entre Israéliens et Palestiniens, Amos Gitaï porte avec Kadosh un regard aiguisé sur Jérusalem, ce carrefour de peuples, de cultures et de religions vieux de plus de trois mille ans, à l’aspect médiéval et humain ô combien fascinant, et dépeint plus particulièrement, sous forme de pamphlet, les ravages de l’intégrisme religieux dans la sphère "ultra" de Mea Shearim.

Evoquer la mosaïque Jérusalem, y compris pour un Israëlien se proclamant laïc, c’est se heurter inévitablement aux problèmes du Regard et de la Lecture selon qu’on l’observe par le judaïsme, l’islam, le christianisme ; ou encore selon la diversité des origines de ses habitants. Se colletant à l’exercice de la manière la plus scrupuleuse qui soit par l’exploration quasi ethnologique de ses quartiers anciens, microcosmes délimités par des frontières qui sont presque comme des lignes de démarcation des conflits, Amos Gitaï en extrait un surprenant condensé d’images, de relations [sociales], d’identités, d’Histoire(s).

Filmée sur les lieux mêmes (exploit d’ouverture des religieux) et servie par un superbe travail d’image et de lumière, Jérusalem nous apparaît comme une ville hors du commun. Le film est tourné au coeur de ce très particulier et exceptionnel Mea Shearim, ici dévoilé, "quartier protégé", presque "interdit" qui se préserve si farouchement par la "décence" de toute relation exotique avec le reste de la Ville Sainte, communauté coupée des réalités et où le temps semble s’être arrêté. C’est l’une des visions "juives" possibles de Jérusalem, entrecoupée de points de vue croisés avec ses paysages d’humanités, sa spécificité, ses caractéristiques propres, que l’on effleure : le Sacré.

Que l’on le comprenne, que l’on l’accepte ou non, dans Kadosh, tout est sacré jusqu’au titre, mais Kadosh est plus qu’une histoire sacrée. Quand on entre dans le film, on découvre alors une autre façon de vivre, d’autres vêtements, un autre rapport à l’espace, au temps, à l’individu. Kadosh, ce sont des Vies, de l’Amour, des Choix, aussi. Kadosh, à mes yeux, c’est avant toute chose l’histoire de deux destins, de deux femmes censées représenter la société juive et confrontées à la loi étouffante du rabbin et c’est dans leur regard fébrile, capté par le jeu intimiste de la caméra entre silence, soumission et rébellion, qu’Amos Gitaï expose son point de vue sur la religion juive et qu’il dévoile également le point de vue de cette communauté sans pour autant la juger.

Car à travers Rivka et Malka, Amos Gitaï dresse le portrait de son pays où cohabitent dans une proximité effrayante des modes de vie complètement différents et dans lesquels chacun pense détenir la vérité, Kadosh souligne aussi la grande contradiction inhérente aux religions monothéistes, c’est-à-dire la place qu’elles accordent aux femmes. C’est étrangement l’un de leurs points communs : le pouvoir religieux est un pouvoir exercé par les hommes. Ici, l’une est soumise, l’autre est rebelle ; leurs chemins, pourtant si proches en raison des liens de sang et de foi, sont diamétralement opposés et chacune tente de convaincre l’autre que sa vie est meilleure ou que ses aspirations au bonheur sont plus justes.

A Mea Shearim plus qu’ailleurs, la communauté définit ses membres par leur obéissance aux textes sacrés et par leur respect du rite ; les femmes subissent avant tout les rituels et les commandements englobent les trois cent soixante-cinq jours de l’année, les vingt-quatre heures d’une journée, prévoyant toutes les relations et toutes les situations humaines, intimes, sexuelles ; la naissance, la mort, l’amour, la séparation, le travail, les loisirs. Ainsi, au fil d’un scénario très détaillé, ponctué par des mots tantôt froids, tantôt tendres, des regards, du silence envahissant, des espaces exigus et oppressants, des chambres tristes, des ruelles étroites et sombres, les "Yeshiva", les rituels et prières en plans séquences qui rythment le film comme ils rythment une journée et les grandes étapes de la vie, comprend-on mieux pourquoi ce sont les femmes, tout au long des 1 h 50 que dure le film, qui (re)mettent en question, dans cet univers hermétique, la légitimité de la façon d’agir des hommes, dont la seule obéissance, pour leur part, est celle due aux commandements de la Torah.

En plaçant ses héroïnes en situation de rupture, chacune à sa façon, à cause de leurs sentiments, Rivka en acceptant la répudiation parce qu’on la croit stérile et Malka en revenant à son "Yaakov" malgré un mariage forcé, Amos Gitaï développe une part "féminine" subtile pour montrer leur besoin d’amour, les sentiments de compassion qu’elles éprouvent l’une pour l’autre, et les limites imposées par la communauté à ces sentiments. Dans la geôle de leurs contradictions intérieures, des contradictions mêmes des rites et le sondage intime de ce fondamental rapport de l’individu à la communauté où les notions d’accomplissement individuel et de satisfaction personnelle sont rejetées puisque le seul intérêt tient à la continuité et régénération "positive" de la communauté par l’inclusion totale, voilà donc que deux femmes amoureuses composent avec des alternatives qui n’en sont déjà plus et qui deviennent la vraie Liberté qu’elles cherchent comme les chimères...

Les conflits qui lient sept personnages de Kadosh, Rivka, Méir, Malka, Yossef, Yaakov, le rabbin et la mère des deux soeurs sont le reflet d’une lutte et d’une tension qui peut prendre plusieurs formes : la tension entre fondamentalistes et modérés au sein de la société israélienne, entre l’homme et la femme, et entre l’individu et sa communauté... On y sent la peur, l’obsession "tortu(r)euse" de la pureté (de la race, du quotidien), la dimension mystique de la Religion qui n’est que Mots souvent vides ou aseptisés - n’est-ce pas valable pour toute religion, même la Cyber-Religion pour certains ?-, la recherche d’une identité plus construite où chacun ne peut néanmoins pas participer à l’élaboration d’un sens et ne se construit donc pas un univers spirituel personnel fondé sur l’essentiel dialogue de l’intellect et de l’âme, le rappel à sa propre biographie et ses racines, l’expérience, la jouissance de la découverte.

En Rivka et Malka éclosent à merveille le statut de la femme, le mécanisme du groupe "agressé" qui devient "agresseur", le poids de la loi divine et le rejet de la différence traversant ce film de l’intérieur non sans caricature, mais offrant tout de même un tableau d’une extraordinaire crudité des mécaniques de l’intolérance en marche. Et pourtant, la Liberté est partout dans Kadosh, suffocante, vibrante et vivante tel un hymne à la Vie, paradoxalement bridée pour être mieux élevée au centre du propos, accentuée par les mises en rupture, la condamnation ou la réclusion comme pour rappeler la nécessité d’exister pour Soi. L’Amour est là, aussi. Fort, violent et douloureux, éprouvant mais plein d’Espoirs et de Rêves...

Oh oui, croyez-le bien, ce film est fort, très fort en soi, malgré les faiblesses de la mise en scène, le classicisme de sa construction qui n’agit plus par fragmentation de la narration mais par progression prévisible du dénouement dramatique, un fictionnel peut-être trop romancé même si le goût folklorique a été, par chance, gommé, les longueurs qu’on peut lui reprocher sur bien des passages ou encore le manque de nuances dans ses portraits. - Je me souviens par exemple de cette scène étonnante où Rivka subit son premier examen gynécologique et que Gitaï expose comme le summum des heurts entre l’orthodoxie et la laïcité tout comme il fait d’une scène presque finale le summum de l’anti-érotisme -. (Ô Toi, divin baiser...)

Selon Gitaï, il fallait la simplicité pour montrer toute la complexité des êtres, des conditions, des situations. Il fallait la sobriété absolue pour donner à cette histoire un climat passionné et rigoureux et rester très proche de ces gens, tout en montrant leur spécificité, à travers ces sept biographies. Tout ce que je dis là doit vous sembler bien contradictoire, pourtant, ça ne l’est pas, je vous l’assure ! On découvre continûment le mouvement minutieux de la caméra agissant tel un métronome pour suivre le temps dans la communauté, le temps interne à chaque caractère, mesurer enfin l’exil intime... On saisit le regard sur les objets dans l’espace, d’une certaine façon, dans un certain ordre qui impulse le rythme et apporte une qualité rituelle au mouvement ; on perçoit ces géométries où l’une sert à décrire l’autre. C’est la grande force de Kadosh de pouvoir établir ces rituels et de les créer en filmant comme si le cinéma devenait lui-même un grand rituel que l’on observe et auquel on participe et tendait vers une certaine simplicité, pour ne pas devenir un exercice formel futile.

Plus les destinées se complexifient et acquièrent leur charge émotive, plus on est proche du drame, de ces personnages que l’on pourrait représenter dans un tout autre monde. Les acteurs principaux Yaël Abecassis (Rivka), Metail Barda (Malka), Yoram Hattab (Meïr), Ouri Klauzner (Yossef), Youssef Abu Warda (le rabbin) ne sont pas étrangers à ce sentiment non plus. Ils servent cet esprit voulu par Gitaï avec un jeu précis, une sincérité et une force inouïes, liées sûrement au fait que chacun s’est totalement immergé dans cet espace-temps pour le découvrir mentalement et spirituellement et mieux incarner les dimensions de rage, de violence, de passion et parfois même de folie.


En un sens, de manière dérangeante et prenante, Kadosh m’a permis de mieux comprendre les frustrations que c(l)es gens éprouvent, et c’est la raison pour laquelle je ne porte pas de jugement aujourd’hui, contrairement à mon premier avis sur le sujet où j’y condamnais volontiers l’intolérance du groupe évoqué. Je peux comprendre le regard critique sur le monde moderne de ceux qui ont besoin d’une expérience spirituelle. Je n’accepte pas leur solution, parce qu’ils cherchent à établir des structures autoritaires auxquelles je n’adhère pas, mais je ne peux les juger car je ne les connais pas et que je ne vis pas les conditions qui sont les leur dans un contexte, un espace et un temps donnés. Mais je comprends leurs besoins et leurs efforts. J’ai choisi de respecter et de n’en tirer que le bon... la réflexion qu’il m’a inspirée, la Liberté qu’il m’a réapprise... (l’Amour, plus fort que tout) surtout...

Documents joints à cet article

Kadosh, Liberté, aime-moi comme je t'aime... Kadosh, Liberté, aime-moi comme je t'aime... Kadosh, Liberté, aime-moi comme je t'aime... Kadosh, Liberté, aime-moi comme je t'aime... Kadosh, Liberté, aime-moi comme je t'aime... Kadosh, Liberté, aime-moi comme je t'aime...

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6 réactions à cet article    


  • Briseur d’idoles 3 septembre 2007 18:02

    Oui, en ces temps d’inversion de tout, l’esclavage est qualifié de liberté !

    Brisez vos chaînes idéologiques, découvrez le monde et vivez, au lieu de vous regarder le nombril !


    • Fuchinran Fuchinran 3 septembre 2007 18:14

      Peut-être, libre à chacun de l’apprécier, à condition encore de savoir ce qu’est le Talmud, ce qui doit être le cas sur ce site de 0,1% des lecteurs et encore.... Alors à quoi bon balancer des concepts creux pour faire croire qu’on sait de quoi on parle en posant un jugement global, définitif ? Sinon, quel rapport avec un film, même s’il propose une vision d’une expression possible de la religion ?


    • Fuchinran Fuchinran 3 septembre 2007 18:09

      Ce serait sympa de ne pas raconter n’importe quoi... Il s’agit d’un film. Ca ne va pas plus loin, inutile de jouer les donneurs de leçons surtout que le sujet ne semble même pas avoir été lu !


      • Briseur d’idoles 3 septembre 2007 22:53

        Vous n’avez donc pas beaucoup lu sur la religion juive, ni sur les autres, sinon vous auriez remarqué, que la première était une idéologie, la seconde, sa continuité (pour les goy) et la troisième, l’Islam, une réaction à ces deux premières idéologies !


      • Briseur d’idoles 5 septembre 2007 10:43

        Chère Esprit Libre (?)

        Vous aimez ls voyages, les débats... et Kafka, il se trouve que moi aussi (sauf Kafka !), mais vous ne l’avez pas encore montré, sans doute, êtes vous très timide... ou très coincée ?

        Vous savez, personne ne vous veut du mal, et certainement pas moi...

        Vous pouvez nous parler à visage découvert !


        • RASPLUS Valéry 7 septembre 2007 00:31

          Mon commentaire du 3 septembre venant mystérieusement de disparaître, je reposte ce qui fût la première réaction à cet article :

          Bonjour,

          Pour apporter une petite pierre à votre développement, je me permets de vous signaler la dernière partie de ma brève étude "DE L’ESPRIT TALMUDIQUE A LA HAINE DE SOI.REFLEXION SUR L’IDENTITE JUIVE« publiée dans »Les Cahiers Rationalistes" , n° 581, mars-avril 2006 ( http://www.union-rationaliste.org/CR.html ) :

          "La ghettoïsation du juif, le particularisme radical, sont aussi néfastes pour le juif que l’est sa haine de soi, ou que l’est la haine des juifs par des universalistes radicaux négateurs et niveleurs d’identités. Le modèle ghettoïque implique un mode de vie mono-ethnique de regroupement auto-ségrégatif : les individus sont réduits à ne plus être que les représentants exclusifs de leur communauté, et cela implique un processus « autiste » de culturalisme radical qui enferme des individus dans des groupes d’appartenance fermés sur eux-mêmes (on pourra se reporter au film « Kadosh »).

          Quand au modèle universaliste extrême, il vient à nier l’être en soi, cette particularité qui fonde l’individu même, où l’on vient à vouloir d’une manière excessive une homogénéisation des individus, récusant tout particularisme de base, sa phase radicale et meurtrière aboutissant à un ethnocide, à une purification, une extermination du différent.

          Le pari reste à faire d’accepter une particularité au sein d’une universalité. C est une position, il est vrai, peu confortable. Mais nous ne pouvons pas faire l’économie de la question ainsi posée."

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