« L’Amante Anglaise » Sandrine Bonnaire forcément sereine sous apnée Durassienne à l’Atelier
A la fois, implicitement sensibilisée par l’autisme inhérent à l’une de ses sœurs cadettes, de même que par le traumatisme ressenti depuis sa violente agression sous emprise fomentée par un ex-partenaire, d’autre part profondément choquée par la maltraitance de sa propre mère constatée en Ehpad, Sandrine Bonnaire affiche ainsi, sans ambages, ses prises de positions éthiques publiques autant qu’elle sait exposer son talent de comédienne avec l’immense pudeur que le goût pour l’authenticité lui suggère bien naturellement.
C’est donc en toute lucidité cohérente que la comédienne serait en mesure d’endosser la responsabilité du meurtre commis par Claire Lannes à l’encontre de Marie-Thérèse Bousquet une cousine sourde et muette que Pierre Lannes son mari a installé en qualité de domestique et cuisinière dans leur maison de Viorne...
Ce rôle que Marguerite Duras aura peaufiné selon plusieurs versions fictionnelles successives à partir d’un fait divers remanié va permettre à l’actrice de conforter son engagement théâtral en transcendant toute morale ou plus précisément toute raison justificatrice.
Cette corde raide sur laquelle en funambule l’artiste va chercher l’équilibre, c’est précisément ce point nodal où évolue le personnage Durassien qui revendique l’assassinat mais qui ne peut pas expliquer les motivations de son geste aussi soudain qu’ imprévisible.
De surcroît, le corps de la victime aura par la suite été tronçonné en morceaux, de façon à en assurer l’évacuation par wagons de chemin de fer, jetés du haut d’un pont.
Mais pourtant les enquêteurs n’en retrouveront jamais la tête et Claire refusera ou ne saura point exprimer ce qu’il est advenu à cette partie anatomique manquante.
L’interprète d’un tel personnage doit incontestablement faire preuve lui-même d’une savante distanciation en même temps que s’abstraire de tout surmoi qui le retiendrait dans les cordes du rationnel.
Ce fut longtemps un fameux rôle récurrent pour Madeleine Renaud ; Suzanne Flon s’y adonna également ainsi que Ludmila Mikaël, de même que plus récemment Judith Magre ou encore Dominique Reymond etc...
Toutes ainsi devaient notamment subir l’interrogatoire du chargé de mission, sans que l’on sache à quel titre médical, juridique, administratif, policier ou autre celui-ci intervenait, tout en espérant néanmoins qu’une meilleure compréhension des faits en sortirait au terme de la représentation.
Il pourrait apparaître ici que pour Jacques Osinski, l’enjeu se trouve résolument ailleurs en plaçant Sandrine Bonnaire sur une chaise face au public, permettant ainsi à Claire toute latitude pour expérimenter la pertinence des questions qui lui sont posées au prorata de ses réponses frappées d’une incertitude infinie mais dans la fierté d'une posture donnant l’impression d'avoir été pleinement adoubée par son alter ego scénique.
Face à cette attitude de dédoublement, il semblerait que Sandrine Bonnaire trouve avec grande justesse sa vitesse de croisière, sans doute précisément nourrie de sa connaissance interne des ressorts relationnels sous-tendus par le langage autistique.
De toute évidence, Sandrine bénéficie en surcroît de la présence de deux partenaires haut de gamme qui, non seulement, jouent leurs propres partitions en pleine symbiose mais dont la dialectique harmonique se prolonge jusque dans le phrasé, la tonalité, les modulations des voix qui se répondent au mieux de l’intention Durassienne.
Ô temps suspend ton vol, l’instant de grâce indicible traverse le rideau de scène jusque dans les coulisses du Théâtre de l’Atelier...
Alors comme si l’écoute prenait le pas sur toute prévalence, celle du public à l’affût du moindre indice déterminant son intime conviction, celle de l’interrogateur ( Frédéric Leidgens ) en recherche de la faille signifiante, celle de Claire en quête d’une reconnaissance existentielle, celle également du mari ( Grégoire Oestermann ) soucieux de ne pas contredire sa propre impunité, c’est bien l’extrême attention à la parole d’autrui qui catalyse la problématique du sens en donnant caution par avance à la parole miraculeuse par laquelle pourrait éventuellement s’échapper la vérité du non-dit.
Cependant si la « Menthe anglaise » pousse avec prédilection dans le jardin favori de la meurtrière comme pourrait le signifier un principe d’alchimie domestique, c’est que Marguerite Duras s’approche, en toute conscience romancière & théâtrale, d'un ersatz de la folie en nous faisant partager, en temps réel, la révélation quasi intangible de sa substance :
« Écoutez-moi… je vous en supplie… ». De fait, Claire aura eu le dernier mot.
photos 1 à 5 © Pierre Grosbois
photos 6 & 7 © Theothea.com
L'AMANTE ANGLAISE - **** Theothea.com - de Marguerite Duras - mise en scène Jacques Osinski - avec Sandrine Bonnaire, Frédéric Leidgens & Grégoire Oestermann - Théâtre de l'Atelier
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