L’art de péter
Cet article aurait pu aussi s’intituler « Du pet considéré comme l’un
des beaux-arts » en référence à Thomas de Quincey qui lui considérait
l’assassinat. Les anglo-saxons utilisant quelquefois l’acronyme SBD, silent but deadly, silencieux mais
mortel, pour qualifier leurs émanations
perfides.
Le petit opuscule de Pierre Thomas Nicolas Hurtaut, « L’art de péter, Essai théorico physique et méthodique à l’usage des personnes graves et austères, des dames mélancoliques et de tous ceux qui restent esclaves du préjugé” publié en 1751, est devenu un classique de la littérature de genre. Hurtaut ne fut pas le premier à s’intéresser à cette thématique, mais il lui donnât un support « scientifique » et son œuvre fut lue et commentée dans les plus grand salons du XVIII me siècle et devint l’occasion de lecture en petits comités à la plus grande joie des amateurs de belles lettres et de gaudrioles. Déjà, au temps de la Régence, les jeunes couples qui dansaient au Palais Royal, dans des établissements dédiés au plaisir des sens et aux jeux d’argent, pratiquaient une distraction, ô combien plaisante, appelée « le pet en gueule » qui consistait au milieu d’un menuet à se coucher tête bêche et à lâcher quelques vents à la face de son ou sa cavalière. Eve de Castro signale cet amusement anodin dans l’un des derniers chapitres de son remarquable ouvrage sur les enfants naturels de Louis XIV, « les bâtards du Soleil ».
Péter est-il vraiment un art ? On peut raisonnablement se poser la question. Certes, ce genre d’activité spontanée et naturelle entre bien dans l’esprit rabelaisien d’un Gargantua flatulant et des auteurs du Moyen-âge de fabliaux. Jonathan Swift, qui n’a pas du tout écrit pour un lectorat d’enfants, ne s’y attarde pas trop, préférant se répandre longuement sur les mictions et défécations de son héros Gulliver. Hurtaux fait plus dans le détail, décrivant avec une précision de physiologiste les différentes catégories de pets, contrepets, des vesces ou vesses féminines et de flatulences, Il donne même des définitions et des descriptions de vents par sexe, par âge et par catégories professionnelles. Son livre humoristique, faussement savant a égayé de nombreux lecteurs du Siècle des Lumières.
Afin de ne pas alourdir le texte, (le lecteur passionné peut acquérir l’ouvrage), il ne sera fait ici référence qu’au pet de géographe parmi les nombreuses variantes évoquées dans le livre. Ce qui peut en surprendre plus d’un, le connaisseur peu averti n’ayant eu surtout vent (c’est le moment de le dire) que du pet de maçon. Et une citation en exergue : « Pisser sans péter, c’est comme aller à Dieppe sans voir la mer. » on sent déjà pointer Serge Gainsbourg.
La fin du XIX siècle pas aussi romantique qu’il n’y parait revient en force avec ses spectacles de pétomanes qui enjouèrent de nombreux spectateurs de caf’conc’ sur les Grands Boulevards et surtout à Belleville, où les chansonniers n’hésitaient pas à entonner des airs non équivoques pour le plus grand plaisir des spectateurs. Au début du XX siècle, la chanson, |« ouvre la porte qu’on respire un peu dis la petite môme aux yeux bleus ! » eut un franc succès. Il existe un vieux film en noir et blanc où le très lisse André Luguet déclare à propos d’un acteur de cabaret, « Ce pétomane je l’ai senti venir. » La tradition des pétomanes a fait long feu, si l’on peut dire, seuls quelques Allemands dans les années 80 ont tenté de rallumer le flambeau de cet art en allumant leurs gaz à la tombée de la nuit sur les Ramblas de Barcelone.
Pourtant le pet est souvent évoqué dans le langage populaire, en dehors du pet de maçon déjà cité, les expressions comme glisser comme un pet sur une toile cirée ou péter au dessus de son cul sont encore bien comprises. Les pets de nonnes, sorte petits gâteaux, ne sont par contre plus guère à l’étal des pâtissiers.
Certes la Libération vit l’apparition d’une version dévoyée du Chant des partisans, « ami entend tu le doux bruit de mon cul quand il pète », mais le retour au pet dans la chanson, la littérature et le cinéma est tout de même l’œuvre de Serge Gainsbourg. D’abord par son seul et unique roman, Evguénie Sokolov, conte allégorique, ou dans un français absolument parfait, l’auteur de l’homme à la tête de chou narre les aventures d’un artiste peintre qui utilise sa propension à lâcher des gaz pour créer une nouvelle forme d’expression graphique, les sismographes, mouvement brusque sur le papier entraîné par une salve. La scène de la tentative de suicide du héros reliant son anus à un masque à gaz pour en finir asphyxié est un morceau d’anthologie.
Gainsbourg récidive avec un petit couplet, dans son album « Aux armes etcetera » avec « ma petite quéquette sort de ma braguette, je pisse et je pète en branlant quéquette, moralité, eau et gaz a tous les étages ». Enfin, dans son film avec Jane Birkin et Joe Dallesandro, « Je t’aime moi non plus », le gérant de la station service perdue au milieu du néant, joué avec brio par Mario Adorf, flatule à tout va. Seule « La soupe aux choux » d’après le scénario de René Fallet atteint les sommets de Gainsbourg quand les trois protagonistes Funès, Villeret et Carmet s’interpellent :
- Je vous ai appelé moi aussi
- Oui mais votre ami m’a appelé plus clairement !
Seul Pierre Vassiliu avait tenté dans une chanson des années 70 aujourd’hui entrée dans l’oublie d’aborder le thème de l’amoureux qui lors d’une première fois avec une jeune femme essaye de s’abstenir de péter pour ne pas froisser sa nouvelle conquête.
A la même époque, Jean Marc Reiser, dessine son fameux personnage, le gros dégueulasse, qui donne des notes à ses pets pour en jouer les numéros au tiercé. « Il est des jours dans la vie ou le seul moment de bonheur aura été un pet ! » est une réflexion profonde sur le vide de l’existence, Reiser est probablement plus un philosophe de la souffrance et de l’auto dérision, un nouveau propagateur de la pensée cynique que BHL ou Finkielkraut ne sont des esprits bien pensants. L’homme serait donc un roseau pétant ! Autre approche philosophique qui tient la route, si on a de l’imagination. Enfin, on ne peut dire hélas que le pet est le propre de l’homme, les ruminants trouant la couche d’ozone, font de ceux de Gainsbourg des pets de lapin.
Donc, le zéphyr odorant ne fait pas uniquement évoquer les haricots musiciens de l’armée et les blagues de chambrées avec leurs concours. Il peut aller plus loin dans les méandres de la pensée et de la poésie.
Certes, il est facile d’imaginer des Parodies, sur des chansons célèbres en en changeant les paroles. Certains s’y prêtent facilement comme :
· Mike Brant, laisse moi péter toute une nuit
· Claude Michel Schoenberg, le premier gaz, j’aimerais qu’elle fasse le premier gaz
Dites-moi la manière de péter pour lui plaire et de n’avoir pas fait plus tôt, le premier rot
· Ou encore, Charles Trenet, je pète, je pète soir et matin, je pète sur le chemin
· Et dans le classique, le vieil Horace pourrait répondre à l’interpellation, que voulez vous qu’il fît contre trois ? Qu’il pétât !
Le pet enfin, peut être un acte de protestation révolutionnaire artistique. Ce fut le cas en Autriche avec le mouvement provocateur du Wiener Aktionismus, dont les membres pétaient et déféquaient sur scène au milieu de boyaux et de sang de boeuf, pou provoquer la classe bourgeoise et critiquer la passivité de la génération qui acceptât l’Anschluss.
Et finalement il serait peut-être judicieux de demander à Bertrand Delanoë, amateur d’initiatives détonantes, de changer la devise de Paris en latin et de la remplacer par un éclatant :
« Flatulat nec mergitur »
46 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON