L’art du madrigal par La Venexiana
Il y a deux ans, Glossa rassemblait dans un coffret l’intégralité des madrigaux de Claudio Monteverdi (1567-1643) enregistrés par La Venexiana. Cette fois-ci, le label espagnol s’attèle à la réédition des enregistrements restants, consacrés aux grandes figures du madrigal que sont notamment Giaches de Wert (1535-1596), Luca Marenzio (c.1553-1599), Luzzasco Luzzaschi (c.1545-1607), Carlo Gesualdo (c.1566-1613) et Sigismondo D’India (1582-1629).
De 1997 à 2009, l’ensemble italien capte certes les madrigaux du divin Claudio mais aussi certains livres de madrigaux publiés entre 1586 et 1616 par ses contemporains. Car si l’on a tendance à associer le genre polyphonique profane appelé « madrigal » au compositeur de l’Orfeo, c’est oublier un peu vite, outre l’aspect réducteur de la chose, que le genre gagne au fil des décennies du XVIe siècle ses lettres de noblesse et une popularité croissante. Cette composition musicale sur des vers de différentes formes apparait dans les années 1530 quand la frottola, la poésie de Pétrarque et le style musical franco-flamand — essaimé dans toute l’Europe grâce à l’imprimerie — se rencontrent pour former petit à petit un genre qui aboutira à la fois à son paroxysme et à son éclatement un siècle plus tard sous l’impulsion de Claudio Monteverdi. Après les premiers temps où le succès du madrigal doit beaucoup aux oltremontaniémigrés en Italie comme Philippe Verdelot (1480/85-1530/32), Jacques Arcadelt (c. 1504-1568), Adrian Willaert (c. 1490-1562), Cipriano De Rore (1515/16-1565), puis ensuite Giaches De Wert, Roland De Lassus (1532-1594) et Philippe De Monte (1521-1603), le genre devient un véritable laboratoire majoritairement italien, ouvert aux expérimentations les plus maniéristes comme s’y adonnent Luca Marenzio, Carlo Gesualdo et Claudio Monteverdi ; expérimentations où la peinture musicale des affects, qui repose sur la concordance entre poésie et musique, atteint des sommets, et qui font du madrigal un des genres précurseurs de l’opéra naissant.
La Venexiana ne fait pas dans l’anthologie et, comme dans l’entreprise monteverdienne, l’ensemble enregistre à chaque fois un livre entier de madrigaux. Ainsi, sur les neuf CD’s que composent le coffret, deux disques, à chaque fois, sont consacrés aux œuvres de Luca Marenzio (sixième et neuvième livres), à celles de Carlo Gesualdo (quatrième et cinquième livres), de Luzzasco Luzzaschi (cinquième livre et Concerto delle dame), de Sigismondo D’India (premier et troisième livres), et enfin un dernier disque s’occupe majoritairement du huitième livre de Giaches de Wert. Le tout ne forme pas une histoire du madrigal mais évoque ce qu’il fut au tournant du XVIIe siècle, alors qu’il se complexifie graduellement et devient l’objet à la fois d’expérimentations mais aussi de réprobations chez ceux qui voient en la monodie accompagnée le meilleur plaidoyer pour exprimer les passions du texte. On retrouve tour à tour ces différentes tendances : peu de poésie de Pétrarque mais prédilection pour Le Tasse et Guarini, textures harmoniques plus dramatiques chez De Wert jusqu’aux vertiges inquiétants d’un Gesualdo, équilibre moins maniériste — de façade — chez Marenzio, vocalises virtuoses dans la musica reservata de Luzzaschi ou encore pleine modernité avec D’India par la présence de la basse continue pour un peu moins de la moitié des madrigaux du Terzo libro(1616).
Ce coffret intitulé « L’arte del madrigale » porte bien son nom. Il est « art du madrigal » à la fois par ses illustrations musicales, parmi les meilleurs exemples du genre, mais aussi par la maitrise qu’en donne une Venexiana au meilleur de sa forme, moins clivante que dans son intégrale des madrigaux de Monteverdi. A l’exception du disque Luzzazschi consacré au Concerto delle dame et qui manque de chaleur ainsi que d’homogénéité — on renvoie le lecteur à la gravure de Doulce Mémoire (2007, Zig-Zag Territoires) —, le reste sans exception est une leçon de chant et de poésie. C’est donc la meilleure entrée possible en la matière pour approcher le madrigal, servi par des chanteurs qui connaissent le genre dans les moindres détails et qui continuent, pour la plupart, à officier désormais avec la Compagnia del Madrigale.
L’arte del madrigale (1586-1616)
Madrigaux de Giaches de Wert, Luca Marenzio, Luzzasco Luzzaschi, Carlo Gesualdo et Sigismondo D’India
La Venexiana
Claudio Cavina
2016 Glossa GCD 920930 (9 CD’s)
Ce coffret peut être acheté directement via Glossa
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