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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > L’art du maître Giotto

L’art du maître Giotto

Fils d'un forgeron de Florence, Giotto di Bondone fut un artiste estimé que le roi Robert appela à Naple. La cité de Florence en fit son architecte. Très tôt célèbre, il fut cependant, comme tous les artistes de son époque, considéré comme un simple ouvrier. Mais il était très bien payé. Il fut intime avec Dante Alighieri. Premier grand peintre occidental, il rompit partiellement avec le style byzantin et s'inscrivit dans une démarche pré-humaniste et dans un mouvement de pré-Renaissance.

Giotto (1267 - 1337) perpétua l'art bysantin dans le respect du monument. Il peint ses scènes en utilisant les maisons en loggias et en balcons qui font penser aux miniatures byzantines. Il rompt nettement avec l'art byzantin en tirant un trait sur les stéréotypes répétitifs alors dominants, comme les baldaquins en forme de coupoles. Et surtout en donnant la prééminence aux sentiments humains sur l'architecture, parfois au détriment des rapports d'échelle entre personnages et édifices. Il donne à ses personnages une physionnomie toute personnelle avec leurs mains en fourchettes, leurs yeux cernés d'ombre...Avec lui, les visages deviennent humains et, par conséquent, expressifs.

Car c'est par le visage que Giotto fait passer l'expression. La lumière ne sert qu'au relief des visages ; elle ne projette pas d'ombre d'un personnage sur l'autre. A la place, l'intensité du regard, la joie, trouvent écho d'un visage à l'autre.

Un révolutionnaire pour son époque

Le passage de la manière grecque de peindre à la manière moderne est dû à Giotto. Si bien que Giotto démoda son maître Cimabue, pourtant lui-même novateur et porteur de l'art traditionnel à son apogée. Il suffit pour s'en apercevoir de comparer, par exemple, la "Vierge aux anges" de Cimabue (ici sur le site du Louvre ) à la "Madone Ognissanti" de Giotto.

Dans le premier cas, nous voyons des draperies à arètes sèches, des personnages placés les uns derrière les autres aux visages ovales et plats, tous identiques, et qui nous regardent.

Au contraire, Giotto donne du volume aux anges. Il met de la profondeur : les anges sont placés de façon à donner une perspective. De même ; leurs regards convergent vers le centre. Giotto personnalise : chaque personnage a une physionomie qui lui est propre.

Giotto, ami intime de Dante

La gloire de Giotto de son vivant fut si considérable que Dante Alighieri fit entrer le peintre dans son Purgatoire :

"Credete Cimabue nella pittura, tener lo campo,
ed ora ha Giotto il grido,
si che la fame di colui è oscura.
"

("Cimabue crut dans la peinture tenir le champ, et Giotto à présent a le cri, si bien que la gloire de l’autre est obscure.") (Dante, Purgatoire chant XI, 94/96)

Entrer de son vivant dans une oeuvre de cette importance de la Comédie ne pouvait qu'amplifier la notoriété et le prestige de Giotto.

Mais Dante n'est pas aussi compréhensif envers d'autres : le pape Boniface VIII, qui soutenait Giotto, fut envoyé en Enfer (au 8ème cercle dans la « Bolge » de ceux qui, contre argent, ont trafiqué des choses saintes : les simoniaques). De même, le père d'Enrico Scrovigni, lequel passa commande à Giotto des fresque de sa chapelle, fut voué au 7ème cercle de l'Enfer dans le chant XVII de la Divine comédie. En tant qu'usurier sans scrupules.

1 - La basilique Saint-François à Assises (vers 1290 )

cycle complet

La basilique d'Assise Saint-François de la ville d’Assise en Ombrie (Italie), construite en 1228, deux ans après la mort de Saint-François, est sur deux niveaux. Les fresques de la vie de saint François couvrent les murs de la nef de l'église supérieure de la basilique.

L'église a été décorée en partie par Cimabue, le maître de Giotto. On a fait appel à ce dernier pour la partie supérieure de l'église. Il doit peindre 28 scènes. Il est aidé par d'autres peintres.

Si Giotto suit à la lettre la "Légende majeure" de François d'Assise écrite par Bonaventure, il rompt avec la tradition picturale byzantine. Il humanise les personnages, épure le décor. François, cannonisé deux ans après sa mort redevient homme. Sa peinture se distingue de ce qu’on appelle la « maniera graeca », c’est-à-dire le style byzantin, dans lequel les figures ont l’air de flotter dans un univers céleste où baigne une lumière dorée irréelle. Ses personnages à lui sont bien ancrés dans un environnement terrestre. Ils sont naturels.

Voir ci-contre la "Confession de la femme de Bénévent" : effets de transparence métallique à la manière de celle de Cimabue. Voir "Madone Rucellai" (1285).

On estime que Giotto - qui travaillait probablement à Assise vers 1290 - a peint le cycle de la « Vie de saint François » vers cette époque. Cette datation antérieure repose sur les différences de style notables entre les fresques d'Assise et celles de Padoue, que l'on ne peut expliquer que par un long intervalle temporel. A Assise, on sent le style de son maître Cimabue : angelots tronqués à moitié se terminant par un pan de draperie (selon le style du 13ème siècle).

Différences entre les oeuvres de Giotto et celles de Cimabue :

Dans la basilique d'Assise, les oeuvres de Giotto se détachent de celles de Cimabue par leur meilleur état et les retouches moindres. En effet, Giotto utilisait la méthode dite des "journées" : le crépi ne couvrait que la zone pouvant être peinte dans la journée. La couleur pénétrait plus profondément dans le crépi frais.

Autre différence : alors que la peinture de Cimabue et des autres peintres de l'époque étaient à deux dimensions, celles de Giotto étaient à trois dimensions. Grâce aux trompe-l'oeil, aux articulations architecturales fictives : faux soubassements, plafonds à caissons, colonnes torses...Cette conception de l'espace est une nouveauté : bien que connue des Anciens, elle avait été perdue au cours du Moyen-Age.

Giotto humanise et personnalise les personnages

Il représente des édifices de son temps et introduit des personnages laïcs avec les habits de l'époque. Cette idée sera reprise. Tout comme sera reprise sa conception pierreuse des paysages par les autres peintres et ce jusqu'au début du XVème siècle. Des roches sacrées ! Giotto représente en effet les rochers d'Alvernia où Dante le mena, là où François d'Assise se retira et reçut du Christ ses marques célestes.

La représentation de face des personnages était la coutume surtout depuis Théodose et jusqu'à la fin du XIIIème siècle. Les personnages sacrés sont toujours peints de face. Sont pris de profil les personnages mauvais ou accessoires. Même quand ils se regardent, c'est de face : la tête penchée vers l'autre. Giotto change les règles !

Quelques scènes :

"Rêve du palais avec les armes" : quasi trompe-l'oeil de la couverture. De même dans "Le Songe d'Innocent III".

"La confirmation de la règle" est un excellent exemple de l'application de la conception de l'espace de Giotto. Les moines sont disposés de sorte à donner de la profondeur. Avant Giotto, la disposition des saints était horizontale.

"La vision des chaises" : ici encore, Giotto utilise le procédé du trompe-l'oeil avec ces chaises (trônes des apôtres) suspendues dans le vide.

"François chasse les démons d'Arezzo" : Giotto peint une cité idéale aux couleurs chaleureuses, malgré les lignes sèches et les angles aigus.

Gioto réalise aussi pour la basilique quatre voûtains peints en raccourcis représentant les docteurs de l'Eglise avec, pour la première fois, un rendu exact de la polychromie des marbres incrustrés.

2 - La chapelle Scrovigni ou chapelle de l'Arena à Padoue (1303 - 1306)

La chapelle fut édifiée par le fils du banquier Scrovigni, un banquier méprisable que Dante envoie au 7ème cercle de l'Enfer dans le chant XVII de la Divine comédie.

Les peintures représentent les scènes de la vie de Joachim et d'Anne, les scènes de la vie de la Vierge, les scènes de la vie du Christ. Toutes ces scènes sont inspirées de la "Légende dorée" (1264) de Jacques de Voragine. Le peintre à fresque doit peindre d'un seul jet car le mortier sèche en trois heures. A l'image de son modèle François d'Assises, Giotto se montre proche du peuple et ne recherche pas les regards admiratifs.

Dix ans après sa mort, Boccace dira de lui qu'il peignait pour les sages au contraire d'autres peintres qui peignaient plutôt pour les ignorants. François n'est pas le saint ascétique de la tradition du XIIIème siècle ; il est bien ancré dans la réalité.

Peu de mouvement. Décor très dépouillé. Giotto a l'art de réduire les images à leur essence.

Retour au christiannisme primitif, rupture avec l'esthétisme byzantin. L'idéalisation a cédé la place au récit : les hommes dans leur contexte terrestre avec leurs émotions, leurs souffrances.

- les 6 épisodes de Joachim et Anne :

Ces épisodes racontent comment Joachim fut chassé du temple parce qu'il n'avait pas d'enfant, comment Anne reçut l'annonce de l'ange qu'elle aurait un enfant. Joachim fait un sacrifice que Dieu accepte. Il rêve d'un ange qui lui annonce la naissance de Marie, née de sa femme Anne. Il rentre à Jérusalem.

Premier tableau : "Joachim chassé du temple". Puis Joachim accueilli par des bergers.

Dans "le rêve de Joachim", la montagne s'incurve pour épouser le mouvement de l'ange et crééer un rapprochement entre l'être céleste et Joachim.

"L'Annonce de l'ange à Sainte Anne" : les figures sont à l'étroit dans la maison qui n'est pas à l'échelle. Sainte-Anne frôlerait le plafond en se levant ! L'ange semble entrer par force par la fenêtre. Sous l'escalier, une jeune fille file la laine. Ce personnage simple, banal, est représenté avec soin (voir le drapé de sa robe). Ce n'est peut-être pas une coïncidence : Giotto avait lui-même appris le métier de la laine...

- quelques autres scènes bibliques  :

"La Fuite en Egypte" : paysage rocheux mais tendre et d'une luminosité presque diaphane. Le profil de la Vierge est particulièrement soigné.

"Le Massacre des innocents" : c'est le seul épisode de la chapelle Scrovigni dans lequel apparaissent deux architectures au lieu d'une seule (à cause de la contrainte liée aux espaces réduits).

"Le Baptême du christ" : erreur manifeste : si le Christ est immergé jusqu'à la taille, les autres personnages auraient dû aussi être dans l'eau.

- Giotto peint aussi les allégories des vices et des vertus. Parmi les vices sont rangés la folie ainsi que le désespoir (représenté par une femme pendue).

"Le Jugement dernier" (voir tous les détails de la fresque ici) : cette grande fresque est peuplée d'un nombre considérable de personnages. Au sommet, deux anges enroulent les cieux comme si c'étaient un parchemin. Au bas de la fresque est insérée une dédicace représentant Enrico Scrovigni agenouillé devant la Vierge à qui il montre la chapelle d'Arena. Ce sont des vêtements d'époque.

Il s'agit là du premier portrait de la peinture occidentale. Quelques dizaines d'années plus tard, le portrait autonome naîtra avec le peintre Simone Martini.

 


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7 réactions à cet article    


  • Thierry SALADIN Thierry SALADIN 1er juin 2013 09:29

    @ l’auteur,

    Quel plaisir de se remémorer les émotions ressenties lors des visites que je fis à la Galerie des Offices ou à la Basilique Saint François à Assise.
    Une suggestion : un article équivalent sur Masolino comparé à son jeune collaborateur Masaccio. Notamment à la Cappella Brancacci, évidemment. Qu’en pensez-vous ?
    Bravo et merci.

    • Taverne Taverne 1er juin 2013 15:14

      Merci.

      Ce sont des lieux que l’on peut peut-être encore visiter assez sereinement, sans les foules bruyantes de touristes qui se pressent à la chapelle Sixtine. Mais, je n’y suis pas encore allé. J’espère qu’un jour, j’aurai quelques économies de côté pour m’offrir des voyages en Italie...

      Vous me demandez "un article équivalent sur Masolino comparé à son jeune collaborateur Masaccio. Notamment à la Cappella Brancacci, évidemment. Qu’en pensez-vous ?" Hélas, je pense que vous surestimez mes compétences ! Ce serait certainement intéressant pour les connaisseurs mais il vaut mieux qu e ce soit quelqu’un de plus calé que moi qui s’en charge. De plus, je suis plutôt éclectique. Par exemple, en ce moment, j’écoute et j’étudie les opéras de Monteverdi. Un peu dispersé je suis. smiley


    • Wald 1er juin 2013 15:26

      Bonjour Taverne,

      Très bel article. Une question sur un point. Que sait-on des relations entre Dante et Giotto, nés à quelques années d’intervalle et florentins ? Ont-ils gardé des contacts après l’exil de Dante à partir des années 1300 ?

      Il est amusant de voir « le rêve de Joachim » dans une basilique franciscaine. Certains courants de l’ordre, souvent dans les plus radicaux, étaient des partisans des idées d’un homonyme célèbre, Joachim Flore (ou Fiore). Les auteurs du programme iconographique sous-entendaient-ils cette double lecture ? Il est probable qu’une monographie savante doit traiter ce sujet quelque part.

      Merci encore.


      • Taverne Taverne 1er juin 2013 19:03

        Bonjour Wald,

        Pour ce qui est des relations entre Dante et Giotto, j’ai souhaité l’évoquer parce que je sais que cela intéresse le lecteur d’Agoravox - assez politisé - mais je n’avais rien de plus là-dessus dans le pavé de 600 pages sur l’art de cette époque emprunté à la médiathèque. Ce serait un autre sujet, plus politique et historique que pictural. Toutefois, j’ai fait mon curieux (en tant qu’agoravoxien moi-même, j’étais intéressé...) et je suis tombé hier sur un site "savant’ où l’on disait qu’il y avait une querelle sur le sujet. D’aucuns affirment que Giotto et Dante étaient très différents et opposés. Cela dit, ils ont été amis au moins un temps, cela est confirmé partout.


      • Wald 1er juin 2013 21:01

        Merci Taverne pour les informations. Politisé dites vous, peut-être vous n’avez pas tord, peut-être que les agoravoxiens seraient capables de transposer les clivages politiques en Guelfes et Gibelins. On a tout vu ici, alors pourquoi pas un débat politique furieux sur cette page.

        Croire à la pertinence de clivages politiques qui sont des fantômes n’ayant plus aucune raison d’exister est en effet une des plaies de l’humanité.

        Bonne soirée.


      • Isis-Bastet Isis-Bastet 1er juin 2013 16:24

        Bravo pour cet article.


        • Dwaabala Dwaabala 2 juin 2013 23:42

          Merci, un très bel article. Il y a là effectivement en germe toute la Renaissance et en plus la poésie qui émane des oeuvres hardiment novatrices.

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