L’art francophone du ricochet pédagogique
En octobre 2012, encore toute récente nouvelle ministre de la Francophonie et sans doute peu au fait des réalités du domaine, Yamina Benguigui avait-fait adopter, en conseil des ministres, un vaste plan d'action pour la francophonie doté de 15 millions d’euros sur trois ans.
Le plus simple est de citer la ministre : « Pour renforcer notre soutien aux systèmes éducatifs des pays en développement [fort heureusement pour nous beaucoup de ces Etats ne sont pas membres de la Francophonie !], je lance le projet intitulé « 100.000 professeurs de français pour l’Afrique ». Ces professeurs seront formés par le biais du réseau culturel français en Afrique [ Je m’interroge sur un tel propos puisque ce réseau ne cesse de se réduire ] et deviendront eux-mêmes formateurs [ !!!!]. Pour financer cette action, la France engage 15 million d’euros sur 3 ans. Je propose aussi de développer, en lien avec l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), le rayonnement de la francophonie dans le monde et de renforcer nos actions dans le domaine de la gouvernance démocratique, de l’Etat de droit, des droits de l’homme et des libertés fondamentales. On est loin de la Françafrique… [nous sommes en octobre 2012, ce qui explique la remarque finale qui se veut perfide ] ».
En somme, rien de très nouveau sous le soleil africain ; on poursuit selon les errements antérieurs et le seul élément saillant est le caractère dérisoire des moyens affectés à ce prétendu projet dont les ambitions, aussi étranges que démesurées (« la gouvernance démocratique, de l’Etat de droit, des droits de l’homme et des libertés fondamentales ») ne sont qu’une simple recherche de connivence ave l’OIF, qui prétend, sans effet visible, intervenir dans ces domaines. Quant à la Françafrique, il faut toute l’innocence juvénile (dans la fonction de Y. Benguigui ) pour oser y faire référence !
Aimable lectrice et cher lecteur sans doute vous interrogez-vous déjà, comme souvent, sur le titre insolite de ce billet, en vous demandant ce que vient faire dans cette affaire « le ricochet pédagogique » ? Je vais d'emblée satisfaire votre légitime curiosité, puisque, au cas où cette information majeure vous aurait échappée, Monsieur François François Jarraud, dans la rubrique « Expresso » du Café pédagogique, le 21 mars 2014, donc près de deux ans après l’annonce du projet de Madame Benguigui, nous annonce triomphalement que le ministère des affaires étrangères et l'Institut de France « lancent » un grand projet intitulé, lui aussi, « 100 000 profs pour l'Afrique », avec l'intention affirmée grâce à cette action nouvelle, de « consolider la place du français en Afrique » et par là d’assurer « l'avenir de la francophonie ».
Naturellement, vous aurez compris, vu la date choisie, que cette nouvelle présentée le 20 mars 2014, s’inscrit dans le cadre de la « Semaine de la Francophonie » qu’on entend célébrer à moindres frais. Vous aurez évidemment compris qu'il y a là une simple resucée du projet 2012 que Madame Benguigui, sans doute actuellement trop occupée par ses affaires financières en Belgique, a sans doute oublié, à moins qu'elle n’ait simplement repris son discours d'octobre 2012 sur le même sujet. Le Café pédagogique, qui rend compte de ce discours, a semble-t-il lui aussi oublié le projet de 2012 à moins qu’il n’en ait jamais eu connaissance, ce qui n’est pas trop grave puisqu’il n’a jamais eu le moindre commencement réel d’exécution. Le projet pédagogique, lancé d’une main adroite mais sans force, a simplement ricoché sur les eaux du marigot, dans la boue duquel il s’enfoncera très vite, comme tant d’autres avant lui.
Il est clair que le Café pédagogique et son rédacteur en chef, grand amoureux du numérique, mentionnent surtout ce projet avec l'espoir de voir entrer en faveur avec lui les projets numériques (naturellement aussi chimérique que le reste) qui accompagnent le projet « 100 000 profs pour l'Afrique ». Tous ces braves gens ne voient pas que le problème n’est pas le numérique, mais l’Afrique !
Je l’ai dit et montré cent fois et je serai donc bref ! Je ne retiendrai de la réflexion de François Jarraud que la formule finale de ce paragraphe sur l'usage d'une « déclinaison de Wikipédia adoptée aux conditions locales » ; l'auteur ajoute : Wikipédia est « proposé sur clé USB ou sur serveur Wifi permettant ainsi de se passer des connexions Internet fluctuantes ». Il pourrait ajouter « et surtout fort coûteuse pour la plupart des utilisateurs qui sont hors d’état de se les offrir quand elles existent ». Il ne reste plus en effet aux écoliers africains ou haïtiens (car on mentionne Haïti !) qu'à s'acheter un ordinateur et à prier Dieu, Allah ou les esprits locaux pour qu'il y ait de l'électricité… moyennant quoi naturellement, le numérique triomphera de toutes les difficultés, y compris la formation des enseignants africains. Que ne met-on L. Fabius, Y. Benguigui et F. Jarraud pendant un mois au fin fond du Tchad ou des « mornes » , eux qui ne connaissent de l’Afrique que les salons VIP des aéroports, les Hyatt et les Sheratons !
Je ne retiendrai de ce texte , car je répugne à tirer sur les ambulances et plus encore sur les corbillards, que l'interrogation finale de François Jarraud qui se demande : « ce projet ambitieux très ambitieux, présenté par pas moins de deux ministres [Foutre !] tiendra-t-il ses promesses ? ».
On commence à comprendre le but poursuivi par F. Jarraud quand on lit la suite : « Les projets sont dirigés par l’Institut français et financés par les affaires étrangères, avec le soutien de l’OIF, du CIEP et de partenaires privés comme TV5monde et la Fondation Orange. L’expertise du CIEP et de la CCI sont des appuis importants ».
Nous y voilà enfin et François Jarraud passe la brosse à relire à tout ce petit monde dont il quémande sans doute l’appui et les moyens ; j’espère qu’on n’a pas oublié d’inviter le « Café pédagogique » au grand colloque (un de plus !) du CIEP qui se tient actuellement en ces lieux, les 27 et 28 mars 2014 ; à lire le programme, on aurait pu assurément en faire l’économie pour augmenter un peu les maigres ressources de ce projet !
Le pire de tout est que ces chimères sur la Francophonie et l’avenir du français se nourrissent désormais, grâce à R. Marcoux et nos amis démographes québécois de l'institut de démo-linguistique de l'université Laval, des données aberrantes mises sur le marché, pour des raisons inavouables ou, en tout cas, inavouées par cette officine.
Très préoccupés, comme tous les Québécois francophones, à juste titre et légitiment (mais ne devraient-ils pas balayer aussi devant leur porte ?), les membres de cet Institut de Laval, récemment créé par un co-financement du Québec et de l’OIF), croient nécessaire (alors que ce n’est qu’absurde) de renvoyer l'ascenseur à l'OIF donc à la Francophonie, en produisant des chiffres mirifiques sur la diffusion et l’avenir du français ; j’hésite à les reproduire ici tant ils sont aberrants. Selon ces données québécoises, reprises naturellement par l’OIF comme par la France, « le nombre des francophones double tous les 25 ans et en 2050 il devrait être plus de 700 millions et environ 600 millions d'Afrique [ce qui, entre nous, n'est pas très aimable pour les francophones d’Europe ou des autres zones du monde dont le nombre tomberait dès lors au-dessous de 100 millions].
Tout cela est évidemment absurde et, en particulier, pour l’Afrique démontre, d »abord et surtout, une totale ignorance des réalités du terrain, travers courant chez les démographes que sont, en fait, R.Marcoux et les siens. Si ces perspectives avaient la moindre validité, je ne vois pas pourquoi il faudrait s'occuper, dans le monde, de la diffusion du français qu'il conviendrait plutôt de modérer. L'article du Café pédagogique manifeste à peine quelques doutes sur ces aspects ; pour ne pas être taxé de travestissement de sa pensée (dans la mesure où on peut appeler ces élucubrations des « pensées »), on lit : « les francophones devraient être plus de 700 millions en 2050… À condition que la transmission du français soit assurée dans des pays où le corps enseignant est vieillissant, qui ont beaucoup d'urgence et peu de ressources humaines ou financières. Laurent Fabius évoque une course de vitesse entre les croissances démographiques éducatives. La France espère que le numérique permettra de la gagner ». Fermez le ban !
Ces propos mériteraient plus attention et surtout de critiques, car ils sont évidemment absurdes ; tout le monde, sans la moindre exception, constate que la situation de l'enseignement africain ne cesse de se dégrader, quoique la plupart des Etats sacrifient, pour l’école, une portion considérable de leurs budgets nationaux (le quart en général) avec des résultats extrêmement médiocres, pour ne pas dire nul ! Il y a trois ou quatre ans, dans ce même CIEP à Sèvres, on a tenu (déjà) un grand colloque international pour savoir si on ne pouvait pas employer , dans le Sud, des enseignants sans aucune formation ! La course de vitesse entre les croissances démographiques et éducatives qu'évoque Laurent Fabius n’existe que dans les absurdités des démographes québécois qui sont reprises par la France qu’elles arrangent (elles sont même faites pour ça !). Dans cette prétendue course, l'accroissement des populations est déjà sur la ligne d'arrivée voire sous la douche, tandis que l'amélioration du système éducatif n’est même pas encore dans les starting-blocks, faute d’être jamais sortie des vestiaires !
La dernière blague à la mode est le recours aux « langues nationales », (le projet ELAN « Enseignement en Langues Nationales ») que, depuis un demi-siècle, l’immense majorité des Etats d’Afrique se gardent bien d’utiliser quoique, pour la plupart, ils possèdent des dispositions officielles qui permettraient de le faire. En fait, ces Etats, qui ne parviennent même pas à se doter de systèmes éducatifs unilingues, seraient bien incapables, même s’ils le voulaient de les rendre plurilingues ! Or, vu leur histoire et leur mode de formation, ces Etats sont à peu près tous hautement multilingues (de 4 à 400 langues pour schématiser !). Comment choisir parmi ces langues, celles qui seraient celles de l’école et sur lesquelles on devrait faire les immenses investissements indispensables à leur usage éducatif. Des expériences, comme celles du Mali (toujours cité car vu de loin), de la Guinée de Sékou Touré (à la mort duquel le modèle guinéen devient un repoussoir !), de la Côte d’Ivoire (avec le ministre Kipré !) et même de Madagascar (pourtant le cas le plus favorable qu’on puisse imaginer) montrent les immenses risque politiques de telles entreprises qui sont de véritables bombes politiques pour les Etats !
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