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« L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford »

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La conférence de presse

L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. Voilà qui résonne comme le titre d’un film de série B. Voilà qui est tout sauf un film de série B. Un film majeur, sublime, singulier, qui m’a enthousiasmée et captivée comme rarement je l’ai été cette année au cinéma. Mais avant d’en revenir au film et à sa projection : petit flash-back sur la conférence de presse qui s’est déroulée auparavant, du moins est-ce ainsi qu’on appelle ce curieux rituel qui la veille avait eu des allures d’empoignade, qui cet après-midi avait des airs d’événement. L’atmosphère est électrique dans la foule des journalistes, tous médias prestigieux qu’ils représentent, certains s’étant vu refuser la veille l’accès à la conférence pour Michael Clayton. Le sésame indispensable est apparemment cette fois gris. La hiérarchie festivalière qui ignore toute démocratie (la démocratie s’arrêterait-elle à l’entrée d’une salle de presse ?) est parfois obscure. Nous entrons par quatre. J’entre. Un garde du corps, épuisé, nous toise d’un regard méprisant. Les CRS entourent la salle de conférence. Allons-nous voir un lion en cage ? Nous voilà en tout cas enfermés avec lui dans le zoo. Un lion traqué plutôt. Après la décontraction et le professionnalisme de Michael Douglas, les excès d’enthousiasme du non moins charismatique George Clooney, Brad Pitt est visiblement tendu, sur la défensive (on le serait à moins...), distribuant ses sourires avec parcimonie. Exténué sans doute, la traque a paraît-il commencé dès le début de l’après-midi, dès l’aéroport, puis à l’hôtel Royal. Ne jamais baisser la garde. Comme Jesse James. Véritable métaphore de sa propre existence. Brad Pitt est parfois craint parce qu’admiré. Jesse James est admiré parce que craint. Mais leurs célébrités, certes si dissemblables dans leurs causes, les enferment dans une pareille solitude, méfiance, les condamnent à être constamment aux aguets, à l’affût d’un regard perfide, d’une attaque imprévue, à être coupés de la vie. Ils sont deux victimes de personnes aspirant à la célébrité « sans savoir pourquoi, croyant qu’ils vont ainsi devenir de meilleurs humains » ajoute Brad Pitt. Ils provoquent tous deux des bagarres d’un genre certes différent, l’un entre des vautours d’un genre nouveau (à l’aéroport, donc), l’autre entre ceux qui veulent sa tête, d’une autre manière (dans des plaines gigantesques). Deux êtres, finalement et évidemment humains, dont on a voulu faire des légendes. Et la même lassitude, alors compréhensible, semble s’être emparée d’eux. La conférence de presse débute par l’évocation de la complexité du film, à l’image des films des années 1970 qui « prenaient leur temps ». La première version faisait ainsi 4h30. Celle-ci fait 2h35. Rassurez-vous : vous ne les verrez pas passer. Mais cette similitude entre sa propre existence et le personnage de Jesse James n’est certainement pas la seule raison pour laquelle Brad Pitt a choisi de produire ce film sur le célèbre hors-la-loi et de l’incarner.

A une question sur L’Homme qui tua Liberty Valance de John Ford, Andrew Dominik avoue qu’il ne l’a pas vu et Brad Pitt répond que lui l’a vu mais que, contrairement au film de Ford, celui d’Andrew Dominik raconte davantage la véritable histoire de Jesse James que la légende. Brad Pitt précise que lorsqu’il choisit de s’investir dans un projet, il ne réfléchit évidemment pas pour savoir si le film aura du succès ou non. Ce qui compte surtout pour lui c’est « l’histoire et les gens qui travaillent sur un projet ». Il évoque aussi sa société de production « Plan B », dont il avoue que le nom n’est pas trop inspiré (inspiré par son prénom et celui de l’autre cofondateur qui s’appelait également Brad) parce que souvent il voyait des films qui n’aboutissaient pas comme il l’aurait souhaité. A Casey Affleck, un journaliste demande s’il considère davantage son personnage comme un traître ou une victime. Casey Affleck répond qu’il est « les deux et bien d’autres choses ». L’intérêt du film et leur implication dans celui-ci résulte selon eux avant tout dans son absence de manichéisme. Les films projetés depuis le début du festival (à l’exception du film en compétition ce matin For your consideration qui a tenté de dire maladroitement ce que Marc Fitoussi a exprimé si justement avec La Vie d’artiste mais revenons à nos moutons, lions) dénotent d’ailleurs une exigence scénaristique, une complexité, bien loin des standards caricaturaux hollywoodiens. Quelqu’un demande à Casey Affleck si c’est un avantage ou un inconvénient d’être le frère de Ben Affleck. Il répond, visiblement agacé, que cela permet qu’on lui pose de telles questions... Probablement pour la énième fois. Puis, il répond avec humour qu’il a pu « le jeter au requin » et voir avant d’y être lui-même jeté, l’effet que cela produit. Pour l’équipe, ce film est un conte de fée, ce que reflètent les images floues et donc tordues de la réalité, comme vues par le prisme d’un daguerréotype. La conférence de presse s’achève et en entendant ces questions relativement banales, je ne me doute pas encore que je vais voir ce film inoubliable, captivant et si novateur. Nous sommes enfermés dans la salle de conférence quelques minutes avant de pouvoir sortir pour que le public ne s’y engouffre pas et que Brad Pitt puisse repartir tranquillement pour se réfugier, se reposer loin des traqueurs carnassiers.

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La projection au CID : un western psychologique

D’abord il est difficile de définir ce film qui reprend certes les codes du western mais qui les détourne majestueusement. Tout comme le titre nous donne une fausse piste. Evidemment il s’agit bien de l’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. Mais au final, peut-être parler d’assassinat ? Ou d’une bête traquée qui, lasse ou provocante, défie la mort ? Peut-on parler de lâcheté à propos de Robert Ford ? Ce titre, finalement très brillant et loin d’être anodin, évacue d’emblée ce que nous savons déjà parce que l’intérêt est ailleurs. Et si ce film renouvelle le genre, c’est parce qu’il instille la psychologie, aux antipodes du manichéisme habituellement érigé en principe du western. Les héros sont aussi vulnérables. Ils ne sont pas invincibles. C’est en effet un duel psychologique palpitant. Une lutte entre deux hommes. Une lutte interne pour chacun d’eux aussi. Robert Ford partagé entre sa vénération pour Jesse James et le désir de gloire de cet homme érigé en héros qu’il vénère autant qu’il désirerait prendre sa place. Entre l’adoration et la haine. Entre l’innocence, l’arrogance et l’ambition. Finalement si proches et peut-être si indissociables. Qui peut mieux haïr que celui qui a le plus adulé ? La passion est versatile dans ses excès. Jesse James est en proie à ses démons. Robert Ford idolâtre Jesse James. Jesse James lui demande un jour s’il veut « être lui » ou « être comme lui ». La passion, elle aussi, elle surtout, a des raisons que la raison ne connaît pas.

Quelques plans font songer à La Prisonnière du désert et pourtant ce film ne ressemble à aucun autre. La course des nuages que le réalisateur filme à l’envie et par lequel débute le film nous fait d’abord craindre un film caricatural. Il annonce simplement la poésie de ce film imprégné d’une lumière crépusculaire. Les interprétations parfaites et même impressionnantes de Brad Pitt et Casey Affleck ajoutent à l’intensité de ce film magistral. Notre respiration est suspendue. Tout peut basculer d’un instant à l’autre. Le doute s’immisce dans les esprits. Le lion peut rugir à tout instant. Un regard qui se brouille. Une agitation inhabituelle. Rien ne lui échappe. C’est d’une intensité hitchcockienne. Voilà, c’est un western hitchcockien, un western d’auteur. Rien n’est superflu.

Ce film est l’histoire d’une légende qu’en interprète une autre. Un film d’une grande modernité qui renouvelle le genre. Un western qui s’appréhende comme un thriller psychologique. Une œuvre sombrement poétique et mélancolique, lyrique. Un voyage dans des âmes tourmentées et complexes. Un grand film d’une rare richesse psychologique et d’une grande beauté formelle. Qui nous parle d’un monde qui a fait d’un criminel un héros. Qui nous parle aussi du nôtre. Qui fabrique des légendes. Des lions en cage, celle de leur âme, celle que leur fabriquent ceux qui les traquent, impitoyablement, inlassablement. Un conte de fée des temps modernes. J’y reviendrai avec le recul et le temps nécessaires pour vous en parler parce que ces quelques lignes sont trop courtes et réductrices pour évoquer ce film unique qui me donne finalement l’impression d’avoir accompagné la course des nuages dans leur voyage sombrement poétique, d’une beauté et d’une profondeur indicibles et tellement magiques.

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Cet article est extrait du blog "In the mood for Deauville" : http://inthemoodfordeauville.hautetfort.com sur lequel vous trouverez également des vidéos de la conférence de presse...

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10 réactions à cet article    


  • Yvance77 4 septembre 2007 20:41

    Vous savez défendre un film. Je le verrais à sa sortie la présentation que vous en faites attise la curiosité.

    A peluche


    • Sandra.M Sandra.M 12 septembre 2007 22:08

      Je suis ravie de vous avoir donné envie de voir ce film qui est un chef d’oeuvre du genre...


    • Radix Radix 5 septembre 2007 14:59

      Bonjour

      J’ai eu envie de réagir à votre article, non pas parce-que je m’intéresse au cinéma mais à cause du peu d’enthousiasme qu’il a rencontré.

      J’ai donc commencé la lecture de votre article lorsque j’ai buté sur un paragraphe : « Mais au final, peut-être parler d’assassinat ? Ou d’une bête traquée qui, lasse ou provocante, défie la mort ? Peut-on parler de lâcheté à propos de Robert Ford ? »

      Hormis le fait qu’il manque quelque chose à la première phrase pour qu’elle tienne debout, le sens du texte me parait curieux quand vous évoquée le fait que Jesse Jame était une bête traquée, qu’il défie la mort ?

      Pour mémoire je rappelle les circonstance de son assassinat : il était chez lui, en famille, en train d’accrocher un tableau au mur quand Robert Ford lui a tiré dans le dos acte, d’un grand courage et si le fait de tourner le dos à un ami c’est « défier la mort » je vais me méfier au bureau.

      N’ayant pas vu le film je ne sait si cette scène a été fidèlement transcrite, si c’est le cas le commentaire est surréaliste, dans le cas contraire ce n’est pas un film historique contrairement aux prétentions de Brad Pitt par comparaison avec l’Homme qui tua Liberty Valence.

      Radix


      • Sandra.M Sandra.M 12 septembre 2007 22:15

        Heureusement que vous êtes là pour me signifier mes fautes de frappe... Jesse James défie la mort et peut-être la provoque : d’une part parce qu’il parle du suicide quelques minutes auparavant, d’autre part, parce que dans le film il voit clairement Robert Ford pointer son arme dans le reflet de la vitre. Un film peut être « historique » sans être en tous points conforme à la réalité ou à la réalité historique telle qu’elle nous a été transmise (ni moi, ni vous-il y a de fortes chances smiley- n’étions là...) Et cela reste du cinéma...


      • moebius 8 septembre 2007 22:42

        ..le reve américain c’est l’anarchie...


        • moebius 8 septembre 2007 22:44

          ..he take to the rich and he give to the poor..Ho ! Jesse...


        • Pascalinho 14 septembre 2007 22:59

          Aaaaaaah ! J’ai regardé il y a quelques jours « The Long Riders », le film de Walter Hill qui est « Le Gang Des Frères James » en français (1980).

          J’attends « L’Assassinat... » d’un pied ferme car je suis assez intéressé sur ce qui traîte de l’histoire et des personnages du far west.

          Croyez-vous qu’un jour sortira un grand film sur le gang des Dalton ?


          • armand armand 16 septembre 2007 20:42

            Je ne sais pas - n’ayant pas encore vu ce film - si on a évoqué la fin tragique des frères Ford. En effet, cédant à la mode des reconstitutions en vogue à l’époque (années 1880) ils ont joué à deux l’assassinat de Jesse, sur scène, des quantités de fois, l’un des frères campant le hors-la-loi. Inutile de dire que celui-ci en est devenu fou... On trouve cette anecdote dans le livre qui a servi de base à ce film.

            Savez-vous qu’il y a dix ans on a exhumé le corps de Jesse pour vérifier, test ADN à la clef, si c’était bien lui, tellement on a évoqué la piste d’un faux cadavre et d’une survie du brigand. Il a été réenterré avec tous les honneurs militaires confédérés !

            Sinon une excellente biographie de Jesse vient de paraître où l’on décrypte ses forfaits et les rapports étroits qu’il avait noués avec la presse comme une anticipation du terroriste moderne.

            Pour les fans, il y a un excellent album de musique Country, ’The Legend of Jesse James’ auquel ont contribué, voici vingt ans, de nombreux grands chanteurs : Levon Helm (de The Band) Johnny Cash (chantant le role de Frank James), Emmylou Harris (Zerelda)et plein d’autres.

            En tout cas, rappelons nous :

            Jesse James had a wife/ Who prayed for his life,/ His children, they were brave/ But that dirty little coward/ Who shot Mister Howard/ Has laid poor Jesse in his grave...


            • armand armand 16 septembre 2007 20:44

              Au fait, merci Sandra pour cet article, avec justement votre petit air d’Emmylou Harris dans sa jeunesse...


            • Pascalinho 9 décembre 2007 14:03

              Le film m’est passé sous le nez car le cinéma local ne la pas programmé. Tant pis, j’attendrai la sortie en DVD.

              Je me suis donc reporté sur le roman de Ron Hansen et je m’approche du moment fatidique. Un Jesse James traqué dans plusieurs états, trahi et au bout du rouleau.

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