L’autre Voltaire…, ou l’Histoire hémiplégique
Voltaire occupe une place privilégiée dans la mémoire collective française. Il esquisse la figure de l’intellectuel engagé au service de la justice, de la vérité et de la liberté de penser.
Il sert ainsi d’étendard ou de bouclier pour anoblir bien des combats. Le citer, s’y référer tend à irréprochabilité. Il existe pourtant une seconde lecture du grand penseur, et celle-là tend à indisposer. Il n’est pas historiquement correct de le rappeler.
« Voir ce qui ne paraît aux yeux de personne, c’est la seconde vue. » Jules Michelet
La faute à Voltaire…, et la faute de Voltaire
Quand on souhaite écorner l’image du Voltaire philanthrope et apôtre des droits de la personne humaine, on argumente qu’il fut esclavagiste, que pour s’enrichir il avait participé à la Traite des Noirs. Ces faits sont controversés et l’esprit de la citation suivante est contredite en évoquant le mode ironique : « Nous n’achetons des esclaves domestiques que chez les Nègres ; on nous reproche ce commerce. Un peuple qui trafique de ses enfants est encore plus condamnable que l’acheteur. Ce négoce démontre notre supériorité ; celui qui se donne un maître était né pour en avoir ».
Léon Poliakov (historien de la Shoah) []fait pourtant bel et bien de Voltaire « le pire antisémite français du XVIIIe siècle ».
Et comment accepter cette opinion de Voltaire : « Je vois des singes, des éléphants, des nègres, qui semblent tous avoir quelque lueur d'une raison imparfaite » (Traité de Métaphysique) ?
C’est peut-être la raison d’une telle conclusion de Victor Hugo : « Mais qu'est-ce donc que Voltaire ? Voltaire, disons-le avec joie et tristesse, c'est l'esprit français ».
Le racisme au grand jour des Lumières
« Les collégiens de la classe de 4ème, en France, sont les victimes de la falsification historique. Des écrivains philosophes anti-nègres sont présentés dans leur « livre de français » comme des hommes qui combattaient l’esclavage. En réalité, il s’agit de racistes du « siècle des Lumières » comme Montesquieu, Voltaire, Diderot et de bien d’autres. La falsification, au niveau des livres scolaires, n’est pas une chose nouvelle (nous avons appris, par exemple aux Antilles, mêmes les plus noirs d’entre nous, que nos ancêtres étaient les Gaulois ; il y avait même un nègre, Henri Salvador, qui chantait une chanson : Nos ancêtres, les Gaulois...). Nous profitons de cette rentrée des classes pour attirer l’attention de nos lecteurs sur une dérive habituelle. Nul ne doute que les auteurs de ces livres ont un réel mépris des Noirs, car ils connaissent la vérité ». (René-Louis Parfait Etilé, La falsification historique : Nos enfants apprennent des insanités à l’école).
Voltaire, Kant ou Hegel sont-ils fréquentables ? En tout cas et pour qu’ils le soient assurément, par exemple quand il s’agit de les enseigner dans les lycées et les universités de la francophonie africaine, leurs textes sont bel et bien expurgés de leurs « parties honteuses » par les maquilleurs du passé !
Voici un florilège des dites assertions voltairiennes, à faire se dresser les cheveux des monothéistes chauves les plus conservateurs, à défriser « la laine » du crâne des Africains (sic !). L’idée centrale de Voltaire était la perversité de la religion chrétienne, particulièrement du catholicisme. L’enseignement dogmatique s’appuie d’abord sur un postulat erroné, celui que tous les hommes descendent d’Adam et Ève, que nous avons tous ces parents comme ancêtres. Selon Voltaire, les races humaines sont disparates et leurs origines sont donc différentes. En second lieu, le christianisme est néfaste car il prolonge la religion juive, qui est celle d'une nation odieuse et ennemie du genre humain. Le judéo-christianisme a ainsi hérité des tares du judaïsme.
L'adhésion au christianisme définissait les limites de l'antisémitisme, et la notion d’ancêtre commun fixait les limites du racisme. Voltaire n’avait pas tort, mais il dépasse les bornes admises et, en appelant à la raison, ouvre la voie à une xénophobie débridée. C’est dans son Traité sur la tolérance qu’il fera ensuite amende honorable et, sans rien renier de son désaccord avec le catholicisme et le judaïsme, il proposera un antidote culturel. Mais le mal était fait, « c’est la faute à Voltaire » et le racisme s’épanouira dans le totalitarisme du XXe siècle.
Voltaire raciste
In l'Essai sur les mœurs :
« Leurs yeux ronds, leur nez épaté, leurs lèvres toujours grosses, leurs oreilles différemment figurées, la laine de leur tête, la mesure même de leur intelligence, mettent entre eux et les autres espèces d'hommes des différences prodigieuses. Et ce qui démontre qu'ils ne doivent point cette différence à leur climat, c'est que des nègres et des négresses transportés dans les pays les plus froids y produisent toujours des animaux de leur espèce, et que les mulâtres ne sont qu'une race bâtarde d'un Noir et d'une Blanche, ou d'un Blanc et d'une Noire. » (Tome 1, p. 6).
« La plupart des Nègres, tous les Cafres, sont plongés dans la même stupidité, et y croupiront longtemps. » (Tome 1, p. 11).
« La même providence qui a produit l'éléphant, le rhinocéros et les Nègres, a fait naître dans un autre monde des orignaux, des condors, des animaux a qui on a cru longtemps le nombril sur le dos, et des hommes d'un caractère qui n'est pas le notre. » (Tome 1, p. 38).
« Les blancs et les nègres, et les rouges, et les Lappons, et les Samoïèdes, et les Albinos, ne viennent certainement pas du même sol. La différence entre toutes ces espèces est aussi marquée qu'entre un lévrier et un barbet. » (Tome 2, p. 49).
In Traité de Métaphysique :
« Je me suppose donc arrivé en Afrique, et entouré de nègres, de Hottentots, et d'autres animaux. »
« Enfin je vois des hommes qui me paraissent supérieurs à ces nègres, comme ces nègres le sont aux singes, et comme les singes le sont aux huîtres et aux autres animaux de cette espèce. »
Voltaire antisémite
In Traité de Métaphysique :
« Si nous lisions l'histoire des juifs écrite par un auteur d'une autre nation, nous aurions peine à croire qu'il y ait eu en effet un peuple fugitif d'Egypte qui soit venu par ordre exprès de Dieu immoler sept ou huit petites nations qu'il ne connaissait pas ; égorger sans miséricorde les femmes, les vieillards et les enfants à la mamelle, et ne réserver que les petites filles ; que ce peuple saint ait été puni de son Dieu quand il avait été assez criminel pour épargner un seul homme dévoué à l'anathème. Nous ne croirions pas qu'un peuple si abominable (les juifs) eut pu exister sur la terre. Mais comme cette nation elle-même nous rapporte tous ses faits dans ses livres saints, il faut la croire. » (Tome 1, p. 158).
« Toujours superstitieuse, toujours avide du bien d'autrui, toujours barbare, rampante dans le malheur, et insolente dans la prospérité, voilà ce que furent les juifs aux yeux des Grecs et des Romains qui purent lire leurs livres. » (Tome 1, p. 186).
« Si Dieu avait exaucé toutes les prières de son peuple, il ne serait restés que des juifs sur la terre ; car ils détestaient toutes les nations, ils en étaient détestés ; et, en demandant sans cesse que Dieu exterminât tous ceux qu'ils haïssaient, ils semblaient demander la ruine de la terre entière. » (Tome 1, p. 197).
« On ne voit au contraire, dans toutes les annales du peuple hébreu, aucune action généreuse. Ils ne connaissent ni l'hospitalité, ni la libéralité, ni la clémence. Leur souverain bonheur est d'exercer l'usure avec les étrangers ; et cet esprit d'usure, principe de toute lâcheté, est tellement enraciné dans leurs cœurs, que c'est l'objet continuel des figures qu'ils emploient dans l'espèce d'éloquence qui leur est propre. Leur gloire est de mettre à feu et à sang les petits villages dont ils peuvent s'emparer. Ils égorgent les vieillards et les enfants ; ils ne réservent que les filles nubiles ; ils assassinent leurs maîtres quand ils sont esclaves ; ils ne savent jamais pardonner quand ils sont vainqueurs : ils sont ennemis du genre humain. Nulle politesse, nulle science, nul art perfectionné dans aucun temps, chez cette nation atroce. » (Tome 2, p. 83).
« Lorsque, vers la fin du quinzième siècle, on voulut rechercher la source de la misère espagnole, on trouva que les juifs avaient attiré à eux tout l'argent du pays par le commerce et par l'usure. On comptait en Espagne plus de cent cinquante mille hommes de cette nation étrangère si odieuse et si nécessaire. (...) De tout temps les juifs ont défiguré la vérité par des fables absurdes. Ils mirent en œuvre de fausses médailles, de fausses inscriptions ; cette espèce de fourberie, jointe aux autres plus essentielles qu'on leur reprochait, ne contribua pas peu à leur disgrâce. » (Tome 5, p. 74-76).
Ne dites pas « À l’époque… »
Parce que « à l’époque », et même au temps des premières colonisations et de la Découverte, on peut aussi relever ceci :
« Ils n’ont de vêtements, ni de laine, ni de lin, ni de coton, car ils n’en ont aucun besoin ; et il n’y a chez eux aucun patrimoine, tous les biens sont communs à tous. Ils vivent sans roi ni gouverneur, et chacun est à lui-même son propre maître. Ils ont autant d’épouses qu’il leur plaît. (…) Ils n’ont ni temples, ni religion, et ne sont pas des idolâtres. Que puis-je dire de plus ? Ils vivent selon la nature. » Amerigo Vespucchi (Mundus novus).
« Il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu’on m’a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage. » Michel de Montaigne.
« Si j’étais chef de quelqu’un des peuples de la Nigritie, je déclare que je ferais élever sur la frontière du pays une potence où je ferais pendre sans rémission le premier Européen qui oserait y pénétrer. » Jean-Jacques Rousseau
Retour sur une anecdote
Le multipolaire Philippe Val, farouche partisan du maintien de la loi Gayssot dont l’objectif est de réprimer tout propos raciste, antisémite ou xénophobe, sortit en octobre 2008 un petit livre intitulé : Reviens, Voltaire, ils sont devenus fous. Alors directeur du journal satyrique Charlie-Hebdo, il venait tout juste (juillet 2008) d’en congédier Siné, accusé de « blague antisémite ». Entre les deux, il défendait les caricatures de Mahomet.
L’attachement de Voltaire à la liberté d’expression est illustré par cette célèbre citation apocryphe qui lui est attribuée et que Philippe Val connait mieux que quiconque : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ». Elle ne figure dans aucun écrit de Voltaire mais on peut repérer dans cette phrase « Monsieur l’abbé, je déteste ce que vous écrivez, mais je donnerai ma vie pour que vous puissiez continuer à écrire. », extraite d’une lettre qu’il adressa à 6 février 1770 à un abbé Le Riche (Norbert Guterman, A Book of French Quotations, 1963).
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