L’habit ne fait pas le moine
Un petit billet philosophique sur la question de l’identité.
Vieil adage admis par l’opinion, il suppose une distinction entre ce qui est montré, observable, perçu, et l’essence, l’intimité ou le moi profond. Il est d’abord certifié par la présence de l’être au monde social. Dans un univers aux comportements réglés, il convient de se plier aux convenances, avec l’apparat qu’elles suscitent. Discours de circonstance, visibilité du vêtement, adaptation à la fonction, nous sommes « caméléon » de ce qui se montre. Faut-il saluer l’autorité, et la déférence s’impose. Faut-il négocier avec les compagnons de travail, et le ton change, les mots ne sont plus les mêmes. Faut-il inspirer confiance, alors l’amabilité et les nuances affables sont de mise. Faut-il séduire, et nous construisons notre plus belle image. Mais après tout, nécessité fait loi. Pourtant, le dicton sonne comme une mise en garde, exprime le sentiment d’une méfiance. Il n’est pas honnête de n’être pas soi-même, veut nous dire la sémantique de l’adage. Après des siècles de condamnation de l’apparence, degré inférieur de l’être chez Platon, source du vraisemblable et non du vrai, qui oserait encore valider cette extériorité, et la constituer en base solide de la relation humaine ?
Cependant, dire qu’il y a apparences d’un côté et essence de l’autre, c’est supposer qu’il y a changement, et à l’opposé permanence. Je puis changer ma garde-robe, non mon identité propre. C’est aller vite, car enfin, qu’est-ce donc que ce fameux moi ? Substrat immuable du « je » sur lequel s’articulent les habits du moine, convenons qu’il n’est pas d’abord une évidence. Les mots abondent, mais pas les certitudes : personnalité, caractère, originalité, etc. Ma personnalité est faite de traits ; cependant, ils sont en constante évolution, se déclinant par de multiples nuances selon les circonstances. Du latin persona, terme de 1180, il reprend un mot d’origine étrusque qui signifie masque de théâtre. Tout est dit... Quant à mon caractère, j’apprends parfois à m’en méfier lorsque l’engagement ou la passion sont excessifs. Il n’est moi que pour le former, ou le reformer. Enfin, mon originalité ne m’apparaît point si nette si je prends en compte la variété des « moi » qui m’entourent. Toujours, j’observe avec les autres, points communs, heureuse rencontre des caractères qui se ressemblent, ou différences et antagonismes, rencontre conflictuelle de l’altérité. On le voit, le vocabulaire est usité, blanchi sous le harnais de l’habitude et des croyances, mais trahit de grandes indéterminations.
Revenons au moine. Il pourrait ainsi n’être point moine tout en en possédant les attributs extérieurs. Mais pourrait-il y avoir un moine sans ses habits ? Un moine qui ne se montre jamais comme moine ? Un moine pour lui tout seul ? Et comment pourrait-il avoir la certitude qu’il l’est, si les autres ne le reconnaissent pas comme tel ? En effet, il serait intéressant pour notre moine de se poser la question de savoir comment il se pense lui-même. D’une manière directe et spontanée, dans une certitude claire et distincte ? Ou s’éprouve-t-il moine en s’apparaissant à lui-même ? En d’autres termes, dans ses habits intérieurs. Il s’observe ainsi en identifiant les caractéristiques du moine en lui. Mais s’observer implique pour une part un objet, et d’autre part, un observateur. Et nous voilà reparti. Qui est donc celui qui observe ? Est-ce le moine projetant dans la vision intérieure ces qualités de moine, schizophrène cherchant à se connaître, ou est-ce un sujet qui se représente comme moine tout en ne l’étant pas lorsqu’il s’observe ? Paradoxe des mises en abîme de la conscience, le jeu ne fait plus rire, car si l’on dépasse l’amusement, on devra se rendre à l’inquiétude : est-ce si difficile de répondre à l’appel du « connais-toi toi-même » ?
2 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON