L’humeur (ravageuse) de Vincent Delerm

Alors voilà j’ai écouté Vincent Delerm, je l’avoue.
Après les journées de dur labeur, comme on peut en vivre en classe préparatoire, L. ou D, décidaient que l’écoute d’un CD de Vincent Delerm serait le remède miracle contre la fatigue cérébrale.
Alors voilà c’est ensemble que nous avons écouté V. Delerm.
Quelques années plus tard,– la prépa était loin déjà et les fêtes étudiantes presque oubliées– après une journée éreintante, j’ai replongé.
La verve de Vincent m’a reprise.
Et soudainement, je me suis rendue compte que je n’avais jamais écouté les chansons de Vincent Delerm, les paroles me semblaient neuves, je ne reconnais pas ce ton assuré, les mélodies ne me disaient rien.
Alors… j’ai écouté, réellement écouté cette fois, avec - comme toute bonne écolière (la prépa laisse des traces) - en mains, cahier et stylo, notant au gré des rimes et des intonations, mes impressions.
Stupéfaction que d’entendre le nouveau mal du siècle s’exprimer à travers la voix usée et semble-t-il exténuée du chanteur. Vincent, le nouveau porte-parole des trentenaires complexés, et surtout des femmes de sa génération, celles qui « ont vu trois fois Rain Man/ Celles qui ont pleuré Balavoine/ Celles qui faisaient des exposés/Sur l’Apartheid et sur le Che/ Celles qui ont envoyé du riz/ En Ethiopie, en Somalie ».
L’absurdité du monde, Vincent. L’humanitaire, la politique, Dustin Hoffmann et Balavoine bien sûr…Perec, lui, l’avait déjà évoquée, cette absurdité, souviens-toi, à travers la destinée de trentenaires désillusionnés, le couple formé par Jérôme et Sylvie. Il nous mettait en garde contre l’impatience et le matérialisme excessif, les vertus du XXème siècle, disait-il cynique, c’était en 1965.
2010, on ne sent plus de cynisme, seul un goût amer de démagogie reste sur nos lèvres.
Le mal du siècle selon V. Delerm : avoir des parents profs et lire Télérama, vivre dans une ville de « 78543 habitants », aller à la piscine le week-end. La vie est plus belle en chantant, la preuve en chansons : « Chez tes parents dans ce cas là/Y aura Télérama/ Un album sur Colette/Et le chauffage à dix-sept », dur dur parce que quand même les parents peuvent s’avérer « un tout petit peu chiants ».
Et puis le trentenaire qui fut, d’abord, un enfant, – pour ceux qui ne le savaient pas, Vincent est là pour vous le rappeler–, a dû faire des concessions, ça n’a été facile tous les jours : « Je suis prêt à tout accepter/ Figaro Madame ou Libé » ou encore, pour le plaisir « Je suis prêt à tout pour que ça passe/ Caresser leur chien dégueulasse/Supporter toute la Traviata/Et même regarder Thalassa ».
Le rythme est là, le vers de neuf pieds, la mélodie enlevée, le célèbre piano, la voix posée, façon Renaud « boboïsé », la gouaille en moins. Si Vincent chante faux c’est parce qu’il le vaut bien, ses fausses intonations nous disent toute sa révolte contre son enfance passée en Normandie, sa lutte contre un père célèbre et écrivain, ses efforts pour devenir un artiste (un tantinet) subversif.
Deleuze dirait que l’on n’est pas sorti de la « petite affaire privée » qui fait la mauvaise littérature. Le philosophe le rappelle : l’art ne puise pas ses forces, comme on veut le croire, dans l’existence tourmentée d’un enfant gâté mais son exigence se tourne plutôt vers la naissance d’un monde langagier.
Vincent semble avoir entendu Deleuze puisqu’il critique ouvertement la littérature d’aujourd’hui au goût pasteurisé dont il déplore la vacuité : « Huit cents pages de trop/Dans un Max Gallo/Quinze chapitres pourris/ Dans un Marc Lévy/Une phrase qu’on comprend pas/Dans un Kundera/Putain ! J’ suis bien dans tes bras ». Et oui, les études de lettres lui ont quand même permis de se forger un esprit critique. Alors quelle belle idée de clore son refrain par un « Putain » enjoué, un bel hommage à la grande littérature, cela va sans dire.
A entendre le cri « d’alerte » de Vincent qui semble nous dire :« Attention les trentenaires ne vont pas bien en l’an 2000 », on a envie de verser une larme.
Histoires d’amour ratées, difficulté à s’engager, incertitude des sentiments, on se croirait dans un mauvais mélo. Et puis, tu es comme ci, tu es comme ça, Vincent Delerm aime mettre dans des cases les trentenaires d’aujourd’hui, il a le goût de la classification, il apprécie la hiérarchie. Alors comment ne pas rire lorsque l’on entend : « Tu fais partie de la sorte/Qui va chez Pier Import/Et qui trouve super naze/De mettre les gens dans des cases/Tu fais partie de celles/Qu’on déjà eu la varicelle/J’appartiens à la race/Des anciens délégués de classe ».
Vincent Delerm essaye de nous faire croire à des chroniques du quotidien (il a l’art de la description réaliste : « A Naples/ Il y a peu d’endroits pour s’asseoir ») mais il semble qu’il ait oublié quelque chose, un petit quelque chose qui le rende un tant soit peu crédible : la dérision.
L’absence d’humour et d’auto-ironie nuisent gravement à la santé des trentenaires, Vincent, je te le dis.
809 mots.
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