• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > L’ombre du passé se penche sur le présent

L’ombre du passé se penche sur le présent

J’entretiens avec mon grenier une bien étrange relation. C’est l’endroit où je range mes livres dans un désordre monstrueux. Ceux que j’ai lus et ceux (assez nombreux) que je me suis promis de lire un jour. Plus tard. Peut-être jamais. Quoi de plus fantaisiste qu’un lecteur faisant une promesse ?
Quand mes amis voient ma bibliothèque, tous ouvrent des yeux comme ça ! Comment fais-tu pour t’y retrouver ?… Mon grenier-bibliothèque est un voyage au centre de nulle part, le paradis de ma mémoire, le seul endroit sur terre où le mal n’existe pas.

Comment certaines personnes ont pu faire brûler des livres ? Comment certaines autres peuvent penser que la culture n’est pas importante, au point de vouloir détruire ce qui fait la force d’une civilisation, l’enseignement, le savoir et le partage des chances.
Ma vie a toujours été un livre. Un livre qu’on emprunte parce que l’envie vous vient. Parce que vous allez le lire. Parce qu’il est urgent de lui niquer les mots comme on défeuille une rose triste ou un être solitaire. Parce que, au hasard d’une rencontre de grenier, culpabilité oblige, on lui adresse un mot d’excuse, lui susurrant entre les pages : « il faut qu’on finisse par se faire une bouffe un de ces quatre… Promis-juré !… » Puis vous filez chez le voisin, un oublié de l’obscur, une lumière éternelle, à qui vous proposez le même deal…

Qu’il est difficile de promettre quand la vie manque de temps !

Mon grenier-bibliothèque est un dépôt. Une voie de garage. Un carrefour pour le hasard. Un regard sur mon plaisir et sur ma honte. Trop chaud en été. Trop froid en hiver. Jamais à la bonne température par manque de moyens. Mais, dans toute sa modestie, il dégage une loi, unique et universelle : ce qui est à moi est à nous. Depuis que j’ai fait mienne cette rubrique sur « Ruminances », je n’arrête pas d’aller chercher dans mon grenier des gens que j’aime bien. Des auteurs qui n’ont plus la faveur des vitrines et qui méritent l’honneur du présent, parce que pendant que l’histoire leur faisait dessus, dans une cave, ils ne pensaient qu’à une chose : écrire, résister, partager, rêver… S’envoler pour échapper à la barbarie de quelques débiles !

Je les invite chez nous. Comme on invite quelqu’un de bien. C’est exactement comme ça que Lajos Zilahy est arrivé dans ma vie de découvreur de mots.
A l’époque j’apprenais à lire. J’étais le Champollion de la rue des martyrs. J’écoutais Bernard Dimey déclamer du Bernard Dimey avec un talent gravé dans le marbre. J’habitais rue de la Tour d’Auvergne et la découverte d’un auteur hongrois, suggéré par un exilé politique espagnol, ne pouvait que conduire mes pas vers un homme dont je relis aujourd’hui les pages avec une nostalgie absolue.

Cet auteur, dont je n’ai pas trouvé la photo sur le net, est devenu l’ami de toujours. Je me suis baladé avec son livre dans le métro, dans le train. Il a partagé ma chambre, un bout de mes draps. Il a senti et supporté mon odeur. Puis, un jour, il s’est envolé vers d’autres cieux. Découvert le pays des grands lacs. Les grands espaces dont il rêvait dans sa cave en rédigeant dans son cahier « Les Dukay ». Une peinture dont le chrome résiste crânement à l’usure pour s’inscrire dans l’histoire secrète de ses frères.

Cet hongrois est né en 1891 et est mort en 1974. « Les Dukay » est le seul livre que j’ai lu de lui. Je possède l’édition de 1953 chez Stock. Elle est là, devant mes yeux, les pages brunies par le temps, j’ose à peine les tourner. Elles sont marquées par des interruptions diverses. Pliées en coin en guise de marque-pages. Je les redresse, les aplanies. Je les bichonne, c’est mon droit. C’est mon devoir. Je lui dois ça et davantage.

Un type qui écrit dans l’un de ses papiers une phrase comme celle-ci, citée par Pierre Singer dans la préface : « Personne n’a droit à deux tranches de pain tant qu’il reste un homme au monde qui n’en possède pas une miette. », ne peut être qu’un homme bien n’est-ce pas !


Moyenne des avis sur cet article :  5/5   (7 votes)




Réagissez à l'article

6 réactions à cet article    


  • Marsupilami Marsupilami 6 février 2009 11:38

     @ L’auteur

    Très beau texte, merci. Et comme disait Anatole France, "Ne prêtez pas vos livres : personne ne les rend jamais. Les seuls livres que j’ai dans ma bibliothèque sont des livres qu’on m’a prêtés".


    • Romain Desbois 6 février 2009 18:33

      Oui je suis comme quand je rentre dans la pièce qui était mon bureau, dont les livres qui y ont élu domicile m’ont expulsé.

      Je suis toujours surpris lorsque j’entends quelqu’un dire "je suis en train de relire tel ou tel ouvrage".

      Puis avec Agoravox , le net , la vie , les gens, c’est de plus en plus dur de prendre le temps de s’isoler pour lire !
      Pour moi c’est déjà un choix cornélien entre lire ou écrire smiley

      Mais je me suis fait interdire la FNAC comme d’autres se font interdire le casino smiley

      Et c’est tant mieux pour ma bourse car les livres sont de plus en plus chers et écrits de plus en plus gros pour vendre surtout du papier.

      Heureusement grâce au numérique, nous aloons pouvoir lire des livres si précieux que peu de gens peuvent les toucher.

      Ha je sais il n’y aura jamais le côté sensuel du toucher, de l’odeur. Ce rapport incomparable entre l’objet, le contenu et le fait que l’exemplaire est le sien parcequ’on l’aura personnalisé sans se rendre compte, par ses annotations, ses pliures, son odeur.

      Hum je sens votre mélancolie me gagner.





      • Lediazec Lediazec 6 février 2009 18:40

        @ marsupilami : merci, pour le compliment et pour la citation.
        @ Romain Desbois : très émouvante façon de m’encourager. De vous remotiver. Merci à vous. Quant au prix du papier !


        • finael finael 6 février 2009 22:58

          Ami lecteur, comme je te comprends.

           Il fut un temps, pas si lointain, où je pouvais ranger mes livres sur les rayons de mes bibliothèques. Mais le vent de la vie a tourné et la plupart sont maintenant dans des cartons, chez un garde-meuble. Certains sont des "prix" que j’ai reçu quand c’était encore l’usage à l’école, mais la grande majorité sont ceux que j’ai acheté au fil des ans.

           Il y eu aussi ceux que j’ai lu, comme un "rat de bibliothèque" que je fus longtemps, et puis tous les autres. De Pierre Mc Orlan, il ne me reste que "la bandera". J’avais aussi "Le quai des brumes" et surtout "le chant de l’équipage", mais ils ont disparu, comme beaucoup d’autres aussi.

           Mais mes livres sont plus des "documents" que des romans, même si je relis souvent Kessel, Henri de Monfreid, Jules Roy, et puis d’autres, moins connus.

           Et puis j’ai retrouvé les carnets de route d’un de mes ancêtres, explorateur (ce qui explique mes goûts littéraires). Ce n’est plus l’ombre du passé, mais un passé bien vivant, et illustré de plus.


          • Bois-Guisbert 6 février 2009 23:12

            Cet auteur, dont je n’ai pas trouvé la photo sur le net...

            http://hu.wikipedia.org/wiki/Zilahy_Lajos


            • Lediazec Lediazec 7 février 2009 11:04

              @ finael : Kessel, Monfreid, Jules Roy. On ne se mouche pas avec les doigts !

              @ Bois-Guisbert : merci pour la photo.

              @ archibald : Je suis sûr que si nous interrogions outre-tombe votre ex-gouverneur, il serait encore capable d’exprimer quelques regrets ! Tous les grands lecteurs, y compris les plus insatiables, sont des insatisfaits !

              Merci à vous tous. 

               

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès