« La Belle Personne », un bien beau film

Il y a toujours de bonnes choses dans le cinéma de Christophe Honoré. Pour reprendre sa filmographie récente – et d’autant plus que ces trois films, dont
Alors d’aucuns nous diront qu’on a encore affaire, dans notre cher cinéma hexagonal, à des fils et des filles de (Louis Garrel, Léa Seydoux, Chiara Mastroianni) et que le contexte est bourgeois (il s’agit d’un établissement huppé, le lycée Molière à Paris, rue Ranelagh, dans le XVIe arrondissement), c’est vrai, mais ce serait trop facile de s’arrêter à ça, d’autant plus que j’aime assez, moi, cette volonté d’Honoré de ne pas chercher à vouloir faire une œuvre à tendance nostalgique (style Diabolo menthe) ou surtout sociologique à tous crins. Il filme ici entre les murs, mais ne cherche aucunement à être dans le docu-fiction sociétal virant au ciné-réalité – comme il existe une télé-réalité voyeuriste – un peu putassier, dans l’air du temps. Il filme certainement ce qu’il connaît, ce qu’il a pu croiser ou fantasmer dans son parcours scolaire et autres, et ça m’a fait penser à un conseil de Cassavetes en guise d’avertissement aux jeunes metteurs en scène : « Dites ce que vous êtes. Pas ce que vous aimeriez être. Pas ce que vous devez être. Ce que vous êtes est suffisant. » Dont acte. Et bien sûr, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le fait que ce soit une adaptation cinématographique ou plutôt télévisuelle d’un roman du XVIIe (La Princesse de Clèves,1678, par Madame de Lafayette) – au départ, cette Belle personne était destiné uniquement à la TV, il a d’ailleurs été diffusé sur Arte le 12 septembre dernier, quelques jours avant sa sortie en salles – n’empêche pas ce film de parler de notre temps (certains accessoires laissent à penser qu’il s’agirait plutôt des seventies : tourne-disque, jukebox, caméra vintage…), voire de confiner à l’intemporel et, bien entendu, à l’universalité. C’est d’ailleurs une excellente idée, de cinéaste-écrivain (Honoré est également écrivain), de passer de la cour des grands de ce monde à une cour d’école. On peut lire ça dans l’histoire originelle de La Fayette (1er roman d’introspection et 1er « roman d’analyse » français) : « Il parut alors une beauté à la cour, qui attira les yeux de tout le monde, et l’on doit croire que c’était une beauté parfaite, puisqu’elle donna de l’admiration dans un lieu où l’on était si accoutumé à voir de belles personnes. »
Eh bien dans La Belle Personne, dans sa cour de récré, avec ses loggias et ses balcons, qui a tout d’une scène théâtrale, ou dans les rues d’un Paris-décorum désert et automnal, on croise aussi toute une galerie de bien jolies personnes et choses : des chevelures romantiques scintillantes, des khâgneux ténébreux, des arbres dénudés, des manteaux de neige, des écharpes au vent, des Duffle Coat duveteux et des filles en fleurs à la beauté toute botticellienne (la mystérieuse Léa Seydoux/Junie combinant la moue boudeuse de Bardot à la poésie Nouvelle Vague d’Anna Karina). Bien sûr, on pourrait se dire que tout cela a un charme suranné et que les ados d’aujourd’hui, saturés d’images trash et pornos issues d’un net pas très net, n’ont plus rien à voir avec les réalités des gamins d’hier. Mais ce serait selon moi une erreur, il suffit de fréquenter un tant soit peu les ados d’aujourd’hui, qui incarnent à nos yeux, sur fond de jeunisme ambiant, les canons et les demi-dieux de la beauté contemporaine, pour s’apercevoir qu’entre ce qu’ils disent et ce qu’ils font en amour ou question sexe, comme pour tout le monde, il y a toujours une différence, et qu’ils sont souvent très fleur bleue, voire conformistes, en tout cas classiques, en matière d’amour (courtois). C’est beau d’ailleurs, à notre époque désabusée qui érige en valeur absolue l’esprit cynique cultivé par Canal+ & co, de croire toujours en la beauté (des sentiments) et aux torrents d’amour. Aussi, dans ce film, et d’autant plus qu’on peut le dire fidèle à la langue très travaillée du roman originel, je n’y vois point désuétude ou préciosité affectée, j’y vois au contraire une introspection belle et douloureuse des flirts et des chagrins d’amour. Et cela n’empêche aucunement ce film de 2008 d’être aux faits des réalités hic et nunc. La preuve en est un propos du cinéaste pour expliquer l’une de ses motivations pour faire ce film en apparence « littéraire » (il faut remonter à un discours de Sarkozy, alors chef de l’UMP, et qui faisait en fév. 2006 un meeting à Lyon où il a dit ceci : « L’autre jour, je m’amusais, on s’amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur La Princesse de Clèves. Je ne sais si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de La Princesse de Clèves… Imaginez le spectacle ! »), et Honoré, choqué, en guise de réponse - « Je ne peux m’empêcher d’être blessé et accablé par ce type d’ignorance. Que certains puissent défendre l’idée qu’aujourd’hui n’a rien à apprendre d’un roman écrit il y a trois siècles est le signe d’une méconnaissance de ce qui fait l’existence même et de la nécessité de l’art pour l’expérience humaine. Je me suis lancé dans l’aventure avec la hargne de celui qui veut apporter un démenti. »
Et on peut dire que ça marche, à l’heure où l’on assiste souvent à un travail de sape de la culture soi-disant classique et où l’on érige en icônes des stars bling-bling du sport dont on se demande bien quelle contribution culturelle ou intellectuelle au monde elles peuvent bien apporter, je trouve que cette Belle Personne, au souffle romantique et tourné dans l’urgence (on sait qu’Honoré est en passe d’être le cinéaste français qui filme plus vite que son ombre ! Six films depuis 2002 et on attend son prochain, Non ma fille, tu n’iras pas danser, pour bientôt), est un film bienvenu, voire nécessaire : c’est du 3 étoiles sur 4 pour moi. Perso, c’est mon film préféré d’Honoré, il garde durant 1 h 30 sa trajectoire (une peinture des sentiments via un refus de l’amour : c’est l’histoire d’une ado ombrageuse, Junie, 16 ans, qui érige en valeur suprême l’amour et se refuse donc à un amour – qu’elle porte à Nemours, son prof d’italien – par peur de le gâcher) sans se perdre dans certains méandres sociétaux où il se complaît parfois à démontrer que toutes les préférences sexuelles (hétéros, homosexuelles, en trio et tutti quanti) se valent. Honoré évite ainsi certaines histoires à tiroirs, qui peuvent le faire tomber dans la redondance, tant mieux. Enfin, pour défendre encore ce film ô combien énergique sous ses allures d’indolence adulescente pastel, il a en lui un je-ne-sais-quoi de léger et de grave qui fait tout le charme du cinéma romanesque de ce cinéaste. Son dernier film n’est pas plombé par une histoire sur-scénarisée, certainement parce qu’Honoré, et l’on peut parler ici de talent, est parvenu à tourner ce film à l’instinct, telle une ébauche (économie de moyens, rapidité de geste, d’exécution), et cette impression d’exquise esquisse, comme dirait un Gainsbarre, participe grandement à donner à ce « petit » film le parfum d’une suprême élégance et d’un certain triomphe de la légèreté. Oui, via des corps d’acteurs évoluant dans l’entre-deux, entre adolescence et vie adulte, et via aussi le côté arlequin du jeu aérien de Louis Garrel, oscillant entre classicisme et modernité, on garde de ce beau film qu’est La Belle Personne l’image pétillante d’une jeunesse grave et gracieuse au seuil de l’âge d’une multitude de possibles. Et vive Jean-Pierre Léaud !
Sortie nationale le 17 septembre 2008
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