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La Belle Rouge

La culture sera alternative ou ne sera plus !

La magie du verbe.

À Joué les Tours il existe un lieu associatif qui défend la culture, le partage et la musique. Un espace où la liberté d'expression se conjugue avec le respect et l'écoute. Chacun peut, s'il le désire, monter sur scène et déclamer son poème, déclarer son manifeste, emprunter les chemins du rêve, de la rébellion ou bien de l'imaginaire.

C'est par une soirée surchauffée de canicule qu'il me fut donné le bonheur de découvrir l'endroit, d'écouter cette foule hétéroclite et bigarrée défendre la langue française, la chérir et la choyer en une débauche d'expression. Toutes les formes, ou presque, de la prosodie et de la versification y furent magnifiées en un feu d'artifice de métaphores.

Le gourmet des mots que je suis ne put que jubiler devant pareille explosion de talents. C'est sans doute la présence amicale et bénévole de Grand Corps Malade qui fit de cette soirée un événement hors du commun, un rendez-vous presque national tant les slameurs et versificateurs venaient d'un peu partout.

Je restai pantois devant ce couple qui, venu du Var en pleine chaleur, avait roulé plus de 800 kilomètres pour, selon la règle commune de l'endroit, déclamer trois petites minutes. Quel bonheur d'ailleurs que de discuter avec ce facteur, éducateur sportif, qui cisèle des textes puissants, profonds, rebelles et poétiques à la fois, d'une voix qui donne des frissons.

Bien sûr, je n'ai pas adhéré à toutes les formes d'expression. J'ai trouvé parfois que la débauche de métaphores, l'emphase et l'exubérance du propos dépassaient le sens, prenaient le pas sur le message pour accumuler les belles formules, tordre le cou aux mots pour les mettre en résonance plus qu'en signifiance. Mais qu'importe, il y avait là une maîtrise et une jubilation qui me laissèrent admiratif.

Quand Fabien et sa démarche incertaine montèrent sur scène, je mesurai alors le chemin à parcourir pour atteindre une telle perfection. Il planait véritablement sur cette salle tant par sa gentillesse que par son verbe élaboré et évocateur, bienveillant et chaleureux, romanesque et chevaleresque. Il y a du troubadour chez ce garçon simple, véritable poète de notre époque, ciseleur de mots et portraitiste d'une époque.

Puis, les slameurs se succédèrent. Je passerai la mise en scène fastidieuse des animateurs : ce ton de jeu télévisé qui me semble desservir les prestations parfois magnifiques qu'ils ont à annoncer. Pourquoi faut-il singer les concours et donner des notes ? Pourquoi une présentation sans délicatesse quand tout ce qui suit leurs pauvres pitreries de potache n'est que sincérité et émotion ? J'avoue ne pas comprendre …

Seuls les bretteurs me charmèrent. Dans des genres souvent distincts, je découvris toute une palette de possibles. La langue ne se meurt pas, des gens se lèvent dans ce pays pour la défendre, la porter tel un étendard de révolte et de majesté. Ils sont bien souvent issus de parcours qui ne les ont pas conduits vers l'université, ils aiment la langue bien mieux que nos élites vendues à l'anglais et aux expressions insincères.

Quel nom retenir de cette soirée ? Il est bien difficile et forcément injuste de sortir de mon chapeau celui-ci ou bien celle-là. Ils étaient tous magnifiques. Emportant l'adhésion par l'émotion ou la colère, la confession ou bien le manifeste, la jonglerie verbale ou bien le cri du cœur, le pamphlet ou bien le conte. Que de talents et que de travail !

Ils venaient de la région naturellement mais aussi de Lyon, Cannes ou bien Paris. Ils ont un amour immodéré pour notre langue ; ils la tordent, la sculptent, la modèlent, la transforment, la façonnent pour que se télescopent les expressions, les assonances, les contraires et les colères. Ce sont des jongleurs en équilibre sur un fil ténu, une ligne fragile qui se brisera au point final.

Ils m'ont redonné confiance en la jeunesse ; pas celle qui fréquente les grandes écoles de gestion, d'administration et de commerce mais celle qui se heurte de plein fouet à notre société et qui transcende par les mots toutes les injustices qu'elle subit, cette jeunesse qui n'adhère pas à un discours formaté, vidé de toute humanité. Il y a encore place pour la gouaille et l'éloquence, l'intime et le sublime, le douloureux et le merveilleux. Chaque dernier jeudi de chaque mois, à Joué les Tours, tous les artisans des mots se retrouvent à La Belle Rouge.

La ligue Slam de France fédère trente autres lieux dans ce pays pour défendre la langue et la création. C'est une pépinière de poètes, un espace de liberté, une tribune d'expression, un laboratoire de création. C'est ici que se façonne la langue de demain, la culture loin de toutes les récupérations mercantiles et idéologiques. Merci à eux …

Admirativement leur.


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2 réactions à cet article    


  • Paulo/chon 8 juillet 2015 15:13

    @Nabum
    Une bien belle plaquette élaborée par le Professionnel régional de l’étape possédant la subtilité nécessaire au jugement sans reserves. Hormis le fait du à l’impéritie des organisateurs quel pied vous avez du prendre et Grand corps malade aussi malgré le tout venant que vous avez subi, bien valorisé dans votre description, je m’enquiers des différents lieux d’orgasmes cérébraux.
    Merci de votre curiosité que vous avez su entretenir.
    Remerciements, salutations.


    • C'est Nabum C’est Nabum 8 juillet 2015 18:37

      @Paulo/chon

      L’impéritie était telle que bien vite la séance devint insupportable

      Que les médiocres se taisent quand les talents se produisent et qu’ils aillent jouer les utilités à la télévision où ils sont légion

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