La belle vie
Autant « Windows on the World » de Frédéric Beigbeder était précipité, voyeur, malsain et égocentrique, autant « La Belle Vie » de Jay Mc Inerney est subtil, intelligent et profond. Autant le dandy français échouait à nous faire croire qu’il suffit d’écrire à la va-vite 200 pages en s’installant au sommet de la tour Montparnasse pour capter la détresse et l’horreur vécues par les New-Yorkais, autant Mc Inerney parvient lui à s’arracher de sa vie, de sa ville, du lieu même de la catastrophe pour nous livrer un vrai questionnement universel sur le sens de nos vies, sur le sens de l’Histoire, sur la culpabilité, sur les choix qui nous taraudent, sur la futilité d’une société de l’apparence dont il a été, depuis vingt ans, l’un des symboles littéraires.
« La Belle vie » est à la fois un réquisitoire sévère et un constat désabusé. Celui d’une génération qui découvre à la quarantaine que ses réussites sont le miroir de ses déboires. Celui d’une civilisation dont la ville-monde new-yorkaise est une caricature et qui perçoit à quel point elle est vulnérable. Celui d’un monde presque autiste, endormi dans ses certitudes, qui s’est refermé sur lui-même et que l’agression extérieure vient soudain bouleverser. Les attentats du 11-Septembre n’y sont qu’une toile de fonds tragique. Juste un décor lugubre, surnaturel, inhumain. Le théâtre de nos vies, de nos désirs, de nos doutes, de nos ambitions, de nos échecs. Juste un révélateur, un accélérateur de trajectoires. Un mur auquel on se heurte dans un fracas de cri et de pleurs. Un choc qui questionne, qui réveille, qui bouscule. Un deuil collectif. L’Histoire qui façonne nos petites histoires.
Où est la morale dans nos vies survoltées de citadins avides de pouvoir et d’argent ? Que deviennent nos rêves de splendeur dans les ténèbres de la haine des autres et de la haine de soi ? Peut-on continuer de vivre normalement dans un monde qui s’écroule à nos pieds ? Que pèsent nos compromis et nos renoncements dans le feu et les cendres ? Peut-on changer de route au milieu de la traversée ? Des questions que Mc Inerney fait surgir du jour d’après, comme si Ground Zero n’était pas seulement un lieu mais une sensation, un état intérieur. Comme si la dévastation de nos âmes était finalement la plus évidente, la plus douloureuse, la plus dangereuse. Les couples s’égarent. Les familles implosent. Les adolescences s’abiment en révoltes désespérées. Les amitiés sont le terreau des pires trahisons. L’amour est un merveilleux mystère. Et la vie continue. The Show must go on. Le vacarme des sirènes s’éloigne, les poussières et les cendres s’éparpillent, la douleur elle-même s’estompe. Seuls changent le poids plus lourd et la conscience plus vive de nos sacrifices.
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