La bibliothèque est en feu !
René Char aurait eu cent ans le 14 juin. Auteur d’un recueil prémonitoire, « La bibliothèque est en feu », son itinéraire (en particulier ses relations avec les peintres) est exposé à la Bibliothèque nationale de France, à Paris, jusqu’au 29 juillet. Si le nom de Guy Môquet sera célébré à chaque rentrée scolaire, sur décision du président Sarkozy, un hommage tout particulier mérite d’être donné à l’immense René Char, poète, résistant, insurgé, auteur d’une œuvre conséquente, le premier poète à se voir publié de son vivant dans la prestigieuse collection La Pléiade.

« La Bibliothèque est en feu » fut à l’origine un message codé de la Résistance qui annonçait un parachutage. Aujourd’hui, le poète met le feu à la Bibliothèque nationale de France. Et qui empêchera ce colosse d’un mètre quatre-vint-douze de le faire ?
"La Bibliothèque est en feu" est aussi le titre d’un bref recueil de René Char qui avait pris sa part dans la Résistance sous le nom de Capitaine Alexandre. Sa Résistance, René Char, l’a consignée dans le recueil "Feuillets d’Hypnos", son carnet de maquis en quelque sorte. Ce recueil conserve toute sa force originelle tout comme les sentences de René Char trouvent encore un écho actuel. En politique, ils sont plusieurs à avoir fait leur devise de la formule "Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience" ("Fureur et mystère"). Mais d’autres mots du poète résonnent encore de manière étrangement actuelle : "Le poète est la partie de l’homme réfractaire aux projets calculés.", " Ne t’attarde pas à l’ornière des résultats", "Ils refusaient les yeux ouverts ce que d’autres acceptent les yeux fermés ". "Agir en primitif et prévoir en stratège", écrit-il dans "Feuillets d’Hypnos" et ceci vaudrait encore comme un bon conseil en politique.
L’humanisme de René Char transparaît dans son oeuvre : "Dans mon pays (...) on
n’emprunte que ce qui peut se rendre augmenté » ( Qu’il vive !) ou encore "Donne
toujours plus ce que tu ne peux reprendre. Et oublie. Telle est la voie
sacrée." ("Le Terme épars"). René Char a partagé avec ses frères d’armes
l’expérience de la singularité de chaque être. Dans la Résistance, les hommes
et les femmes se côtoient, tous différents... et il se prend à rêver : "L’évasion dans son semblable, avec
d’immenses perspectives de poésie, sera peut-être un jour possible. "
Le recueil « Commune présence » me révéla un jour l’existence de ce poète visionnaire qui dès lors ne me quitta plus. Je fus frappé par le poème du même nom qui me susurrait à l’oreille ces mots-là : "Tu es pressé d’écrire comme si tu étais en retard sur la vie. (...) Effectivement tu es en retard sur la vie, la vie inexprimable, la seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t’unir, celle qui t’est refusée chaque jour par les êtres et par les choses... " Ce poème fut le déclencheur, je prenais conscience de ce qui brûlait en moi et que je ne parvenais pas à identifier, de ce retard sur la vie inexprimable qu’il me fallait rattraper. Je pris la plume et je fis mes premiers pas en poésie. Je dus la reposer le 19 févier 1988, date de la mort du poète, le plus grand poète français à mes yeux, le « plus grand poète français du vingtième siècle » seulement pour Jacques Chirac qui en fit l’éloge funèbre. J’ai reposé ma jeune plume parce que je venais de tuer René Char !
Comment était-ce possible ?
J’avais composé un dialogue imaginaire - "Conversation de poètes"- entre poètes français disparus qui me
valut d’être invité au Club des poètes rue de Bourgogne à Paris et d’être
publié dans la revue de Jean-Pierre Rosnay. J’avais écrit une suite,
« Conversation de poètes 2 » dans laquelle je faisais dialoguer
d’autres poètes disparus mais modernes « Aragon, Apollinaire... »
Fasciné par l’œuvre de René Char, et par cet homme que je rêvais secrètement de
rencontrer, je le faisais parler dans mon second dialogue. C’était le seul poète encore
vivant à qui je donnais la parole. Fier de moi, je publiai mon texte sur le
site Minitel du club de poètes. C’était dans la nuit du 18 au 19 février 1988.
Je ne savais rien de la santé du poète. René Char mourut cette nuit-là ! Et
moi, je reposai ma plume coupable. Pour toujours, pensais-je. Le texte que j’avais écrit fut perdu. C’est
je crois le seul poème que j’ai véritablement égaré. Quelques années plus tard, il y eut "comme une présence" qui me fit accepter de la reprendre et je soumis ce poème au milieu d’autres à un concours de poésie que je remportai. Le prix consistait dans la
publication du recueil à 300 exemplaires. Mon premier recueil parut ainsi, sous le
titre "La Passagère de sables".
En hommage à rené Char voici les seuls mots rescapés de "Conversation de poètes 2", les seuls que j’ai pu sauver de l’oubli et qui sont ceux que je mettais dans la bouche du poète quelques heures avant sa mort :
"Rien ne demeure longtemps enfoui sous le silence.
Ce qui naît de l’éclair (et le regard vient s’y blesser)
Offre à nos êtres inaccomplis
Bien plus qu’un simple fruit aux ascendances
mystérieuses :
Un pas de plus de la pensée sur le grand désert de la mort.
Mais c’est à ce moment précis qu’il prend toute sa
signification
Et défie le chaos."
Nota bene :
En cette année 2007 où le résistant Guy Môquet sera célébré comme exemple pour la jeunesse, à l’occasion du centenaire de la naissance de cet autre résistant que fut René Char, la BNF rend hommage au poète et à l’homme d’action qu’il incarna sa vie durant. Une circulaire adressée aux académies (circulaire n°2006-164 du 10-10-2006), pour commémorer le centenaire de René Char, déclare que « l’occasion est ainsi offerte d’affirmer la place qui est celle de la poésie dans l’étude des lettres et de la langue française. Mais une lecture active de René Char pourra aussi se nourrir du parcours énergique et généreux d’un homme qui a partagé les luttes et les passions de son temps, tout en restant enraciné par essence dans son Vaucluse natal. La mémoire collective retiendra son engagement dans la Résistance, sa collaboration étroite avec les artistes, qui fit de lui l’un des fondateurs du futur festival d’Avignon, son goût du dialogue philosophique : autant de richesses qui offrent de multiples pistes aux parcours transversaux, des lettres à l’histoire, à la philosophie, aux arts... »
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