La carte et le territoire : Houellebecq égaré dans une carte Michelin
Attachée à la communication pour le développement de la clientèle étrangère de Bibendum, cette beauté slave dont Frédéric Beigbeder (qui fait un peu de figuration dans le roman) prétend qu’elle est une des dix plus belles femmes de Paris, est une sorte de fée qui va lancer sa carrière. Elle aura plus de mal à le sortir de sa torpeur. Apathique et maintenant fortuné, Jed devient un sybarite proustien : un gars aisé qui profite de la vie sans but ni besoin de travailler.
Jed connaît l’apogée alors qu’il passe à la peinture avec une série sur les métiers et des portraits de personnalités (J-P Pernault, Bill Gates et Steve Jobs, etc.) et un catalogue talentueusement préfacé par Houellebecq.
La rencontre entre les deux hommes auraient pu être déterminante, sans qu’on sache pour lequel des deux, si Houellebecq n’était sauvagement assassiné...
La carte et le territoire est un roman étonnant, qu’on traverse avec des impressions plutôt contradictoires.
D’un côté une belle aisance littéraire, qui transporte vite malgré un sujet surfait et commode à critiquer (le monde de l’art contemporain), et un personnage principal aussi transparent que négligé. Jed Martin n’aurait pas grand chose à envier au lymphatisme puissant du Vivien de la dernière édition de Koh Lanta (pour ceux qui regardent).
De l’autre une absence d’intrigue, longtemps masquée par une écriture qui confine à la chronique et à une description quelquefois amusante du monde contemporain. A l’abri de son succès, Houellebecq se la joue cynique et désabusé. Comme s’il était l’élève qu’on ne peut pas punir parce qu’il est le fils du directeur, il amuse son auditoire en balançant tout haut des vacheries qu’on garde normalement pour la cour de récré.
Et puis la mécanique s’épuise, et Houellebecq se cherche un second souffle en assassinant son propre personnage. En se déchiquetant par le truchement des mots, Houellebecq s’achève au propre et au figuré comme il déchire un épisode d’autofiction.
L’irruption subite du polar ne semble rien de plus qu’une manière de tirer vite un rideau de pudeur, sur celui qui imagine avec un peu de honte et de confusion qu’il s’est trop exposé.
Là encore, même dans le polar, on retrouve un Houellebecq qui ne se départit pas de ce manque d’engagement. Toujours en position d’observateur décalé, il s’occupe moins de son enquête que de digresser sur l’intimité de ses enquêteurs !
C’est aussi dans le style que Houellebecq se cherche un peu, en jouant de la description brute du monde contemporain à coups de précisions techniques, de notices d’emplois, que certains compareront à des aplats en peintures. Certains feindront de les trouver "géniales". Pour ma part j’ai eu une sensation de remplissage, un artifice pour arriver à passer les 400 pages.
Ce qui est bizarre dans le fond c’est de trouver chez ce romancier installé, réputé et qui a sans doute le temps d’écrire, un tel dilettantisme.
Certains, notamment la critique parue chez Slate.fr, annoncent un roman "écrit pour le Goncourt". Je ne sais pas bien ce que ça veut dire "écrire pour le Goncourt".
En revanche je suis plus certain d’avoir lu un roman facile, écrit par un romancier doué mais fainéant.
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