La Chanson d’amour de Judas Iscariote prouve qu’Eric Besson n’a trahi personne
Quand on croise Juan Asensio (lors d’un dîner organisé par une charmante lacanienne qui mouille en pensant à des convois ferroviaires de types funèbres et à des chemins qui ne mènent nulle part comme le convive dont il va être question y trouve ses érections connexes), on s’en souvient, ce sourire pernicieux et ce regard courtoisement malicieux, cette franchise délétère qui se déploie jouissivement pour déverser une bile intarissable sur toutes et tous, y compris à l’endroit de ses partenaires de table (les absents suicidés ayant leur part d’hommages hérétiques pour que nul ne demeure en reste). Se réjouissant de démolir ses propres idoles jusqu’à la moelle infinitésimale de leurs tares honteuses. Juan qui consacre un temps pourtant précieux pour tout écrivain à régler des escarmouches virtuelles et picrocholines, y laissant une déperdition d’énergie ubuesque.

Car il est bien question de tentative de salvation quand on plonge ses mirettes au fond de La Chanson d’amour de Judas Iscariote, titre aux relents opaques et ésotériques paru aux Éditions du Cerf.
Il est rassurant que certaines fulgurances jaillissant hors de cet ovni littéraire (est-ce un essai théologique, de la poésie, une autobiographie déguisée ou bien les trois à la fois ?) soient issues d’auteurs inconnus comme celle-ci : « A la vérité, jusqu’à présent du monde , rien de ce qui existe n’a pleinement mon affection, et un vide inexprimable est la constante habitude de mon âme altérée ». Cela signifie que l’auteur se confronte à ses remembrances du paléo-mammalien et en assume la désintégration partielle.
L’écriture d’Asensio alterne entre auto-analyse égotique stylisée et déconstruction d’archétypes religieux dont la figure centrale forme le noyau opaque de son ouvrage, à savoir ce bon vieux Judas, figure éternelle du traître pour l’inconscient collectif occidental.
Nous savons qu’Asensio est un brillant critique issu de la blogosphère (denrée rare, à fortiori quand cette race disparaît également de la presse généraliste livrée à des stagiaires décérébrés plus enclins à baver sur le moindre ouvrage d’une ex-catin du porno comparant la taille des diverses queues l’ayant trouée au long de sa carrière spermatique), capable de se livrer à la dissection sémantique, ontologique et métaphysique des ouvrages qu’il recouvre de sécrétions éthiques talentueusement déguisées en considération purement littéraires sur son blog vaillamment réactionnaire : http://stalker.hautetfort.com/
Mais ce mérite est cruellement amoindri par une concurrence pathétique.
Nous l’attendions au coin du bois littéraire, d’un bois qui ne s‘allumerait pas avec un vulgaire briquet orné d’une fleur de cannabis, mais plutôt via des étincelles produites par la percussion d’un morceau de bisulfure de pyrite contre un silex impersonnel, celui du silence de Dieu.
Dans cet ouvrage, force est de constater qu’il y a de nombreuses étincelles au milieu d’un champ de ruines.
Si tout désespoir est un ultimatum à Dieu comme le pensait Cioran, Asensio y voit lui l’unique possibilité de se rattacher à cette grâce qui lui échappe indéfiniment.
L’auteur malséant nous l’affirme : « Judas est le secret, l’unique Secret de Dieu. Comprendre Judas, ce serait Le comprendre, puisque c’est à partir de sa trahison que le Christ, pour nous (c’est-à-dire pour nous, ouailles de l’Église), est devenu visible ». Tout son propos consiste à restituer la dimension transcendante du Mal et de la trahison, sans tentative d’affadissement et d’égalisation, rompant avec les tentatives veules issues d’écrivains et de journaux vomissant à longueur de papiers déjà jaunis avant le passage du temps un inextricable amoncellement purulent d’ersatz pseudo humanistes. Il établit également une jonction ontologique audacieuse entre cette énigmatique nécessité du Mal et l’indispensable faculté de duplicité de l’écrivain, faculté qui tend régulièrement au vertige ou au repentir pour émasculés.
« Je crois que si nous pouvions, par n’importe lequel de nos actes, par n’importe laquelle de nos paroles, modifier d’une virgule la phrase immense de la langue qui constitue l’univers, ce dernier disparaîtrait comme une volute de fumée. Judas seul a trahi véritablement parce qu’il a tenté de supprimer, d’un seul geste érostratéen aux conséquences inconcevables, toute la phrase ». Juan écrit absolument, et ne s’adresse donc pas à grand monde, qui s’intéresse encore à l’absolu, certainement pas les lecteurs de La Croix ou de Golias. Pas ceux de Charlie-Hebdo, alors qui ? Quelques intégristes branchés Rivarol et Saint-Nicolas du Chardonnet ? Ils fuient le Mal avant même de vouloir le comprendre.
Il faut bien se résoudre à écrire pour des zombies dépourvus de la moindre acuité phénoménologique pour percevoir la valeur d’un tel ouvrage
Laissons donc les pétasses relire Cosmopolitan pour savoir comment bien bronzer cet été et tromper son mec ou réussir des plans à trois, ici il est question de comment le genre humain va terminer son règne délétère.
« Et celui qui croit à la communion des saints naît et meurt seul ; et celui qui, refusant la communion des Saints, a donné son adhésion à la communion des Soviets, naît et meurt seul et celui qui, de son vivant, croyait avoir résolu le problème posé par le fait de l’homme, en appartenant à l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires, celui-là naît et meurt seul. ». Ernest de Gengenbach
La malédiction qui s’est abattue sur le Verbe pris dans l’involution de la communication et de ses travestissements permanents semble réduire l’écrivain à se vautrer dans la fange du paraître.
« Nous en sommes réduits, jusqu’au retour du Christ, à devoir agiter nos bras comme de pauvres fous brûlés par l’acide du haut mal de l’ennui, répétant dans nos bouches sèches les mots sans consistance de nos pères, et des pères de nos pères. » Tout est dit sur cette vision eschatologique de type sado-masochiste qui consiste à éluder toutes les tentatives décrucifiantes de certains Gnostiques. Asensio reprend à son compte durant tout son récit métaphysique cette idée fondatrice de déréliction frappant l’essence même du genre humain.
Juan mène une course éperdue à l’abîme, son Verbe s’offre en pâture assez courageusement aux éventuels lecteurs, jetant les docteurs de l’Église au fond d’un précipice pour aveugles caduques. La domestication des chrétiens à l’humanisme républicain leur interdit radicalement de pouvoir comprendre l’impérieuse nécessité de lire ce livre, coupés qu’ils sont depuis des décades de tout rapport avec le fond authentiquement ésotérique de cette religion. Mais ce livre s’adresse bien plus aux athées, aux hérétiques maudits, aux suicidés ratés et surtout aux prétendus fous, ceux qui sont seuls à même de comprendre Judas (ce qui n’est pas encore le cas du basque véhément). Ce livre s’adresse enfin et surtout à l’absence radicale de Dieu en ce Monde.
C’est pourquoi ce livre sera peu lu, justement parce qu’il est essentiel et que les cent ciels n’intéressent pas les hommes pressés qui misent à la bourse et que l’auteur a fréquentés de trop près.
Juan offre des pépites de lucidité poétique à chaque page ou presque de son essai comme celle-ci : « C’est la fin, les truites argentées ne bondissent plus dans les rivières de mon enfance, lorsque résonnaient dans ma tête, quelques minutes avant de sombrer dans le sommeil, le rire cristallin des petites filles qui essayaient de les attraper, leur robe relevée sans façons au-dessus de l’eau.. Elles riaient en tapant sur l’eau et les gouttelettes étaient comme des milliers de minuscules étoiles qui saupoudraient leur visage éclairé de soleil. Dieu ! nos prouesses ont tellement été vaines ! »
En lisant cet essai poétique, j’ai alors réalisé qu’Eric Besson n’a trahi personne, car il n’y avait déjà plus rien à trahir, ils ont tout trahi avant lui, les transfuges de son type ne font que révéler au grand jour la duplicité généralisée de nos sociétés métastasées par l’imposture planifiée via l’infra-humain.
Face à un tel constat, deux options peuvent s’ouvrir à l’horizon d’un croyant exalté :
La révolte :
« Je renie le baptême et la messe.
Il n’y a pas d’acte humain
qui, sur le plan érotique interne,
soit plus pernicieux que la descente
du soi-disant Jésus-christ
sur les autels.
On ne me croira pas
et je vois d’ici les haussements d’épaules du public,
mais le nommé christ n’est autre que celui
qui en face du morpion dieu
a consenti à vivre sans corps,
alors qu’une armée d’hommes
descendue d’une croix,
où dieu croyait l’avoir depuis longtemps clouée,
s’est révoltée,
et, bardée de fer,
de sang,
de feu, et d’ossements,
avance, invectivant l’Invisible
afin d’y finir le JUGEMENT DE DIEU »
Artaud.
Ou bien un fatalisme apocalyptique : « La terre entière, continuellement imbibée de sang, n’est qu’un autel immense où tout ce qui vit doit être immolé sans fin, sans mesure, sans relâche, jusqu’à la consommation des choses, jusqu’à l’extinction du mal, jusqu’à la mort de la mort. » Joseph de Maistre
Quant à moi qui ne suis ni baptisé ni motivé par la communauté des Béatitudes, je vais donc me contenter de relire Judas Iscariote de Léonid Andreïev où il écrit page 185 chez Corti : « Comme si tout ce qu’il avait appris au cours de sa vie, tout ce qu’il avait aimé et sur quoi il avait réfléchi, ses conversations avec ses camarades, les livres, son travail dangereux et exaltant, tout cela, se consumait sans bruit et disparaissait sans laisser de trace, mais lui-même n’en était pas détruit, au contraire, étrangement, il devenait plus fort et plus solide. Comme si, avec chaque verre qu’il avalait, il revenait à ses propres origines, à son grand-père, à son arrière grand-père, à ces rebelles instinctifs et primitifs pour qui la révolte était une religion, et la religion une révolte ».
Juan Asensio a semble-t-il choisi son camp. Mais qui garde le camp ?
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