La douceur exquise de la Loire
Gaston, ligérien du bout de la plume.
Le gars Gaston est né à Beaugency le 23 septembre 1880, a grandi à Meung sur Loire dans le moulin à eau de son père meunier sur les Mauves. Enfant, il a traîné ses guêtres en bord de Loire, ça ne fait pas de doute et pourtant la rivière n'apparait que très rarement dans ses textes. Il est fait une fois allusion à l'armée de Loire de Gambetta mais jamais, mis à part le titre de ce billet qui figure dans l'une de ses chansons, il ne s'aventure au bord de l'ieau.
On peut aisément supposer que sa préférence va pour le vin qu'il soit nouviau ou bien d'avant le phylloxéra. Si a 15 ans, il se prétend abstème, il vire rapidement sa cuti et voue une dévotion tout particulière pour le vin de Saint Ay. Il avoue à demi-mots être de ceux qui peuvent en licher douze bouteilles dans une journée à moins qu'il n'abuse de la chose pour se tirer le portrait.
Il préfère prendre les chemins, se fait chemineux, trimard ou pauvre peineux. Il défend les humbles, les paysans, les conscrits mais jamais un mot pour ceux qui continuaient encore à vivre de la rivière : passeurs, pêcheurs, tireux d'jars. Il y a là un mystère troublant, une fâcherie avec celle qui pourtant l'a vu grandir.
Il est vrai que la grande aventure des mariniers a connu sa fin avant sa naissance. Il y a sans doute là un traumatisme collectif auquel il n'échappe pas. Il s'en prend du reste au train, le faisant dérailler pour unir dans la mort le passager de première classe et le malheureux qui circule en troisième, ce train d'ailleurs qui le mène à Paris quand il a 18 ans.
Ce rien, ce vide sidérant autour de la Loire trouve peut-être son explication avec le poème des cailloux. Avec quelle grâce il évoque la rivière qui se fait ici Fleuve sans être nommée ! Le flot se meurt contre la berge tout comme la Loire est le témoin de cet amour qui s'est noyé. Il n'en dira pas plus sans jamais revenir sur cette rive qui devait lui être si chère.
Blessure éternelle, il sera le chantre de la Terre, de la Beauce plus que du Val, de ce vaste domaine au Nord d'Orléans, ville que d'ailleurs il n'évoque jamais. Les villes ligériennes sont dans doute réservées à son beau-frère, Monsieur Imbu, l'expression même de cette bourgeoisie qu'il vomit. Gaston quant à lui se dissout dans le vaste domaine des mangeurs de terre.
Orléans paie probablement la sortie de route du lycée, les expériences qui lui laissent un goût amer. Gaston traîne sa misère en dépit d'un talent qui est vite reconnu par ceux qui se donnent la peine de l'écouter. Il aura du succès, il sera écouté à la Capitale, lieu de sa perdition. Le pauvre gars ne revenant au pays que les jours de lessive, pour laver son âme, si cela était encore possible.
À Paris, il collabore aux revues anarchistes, s'engage dans des combats politiques très en avance sur son temps, fréquente les cabarets dont le Lapin Agile et les artistes, surtout l'avant-garde de la peinture. Il y a loin de son parcours et d'une célébration de la rivière qui fleure bon le conservatisme. Radicalement anticlérical, il ne serait pas homme à honorer Saint Nicolas.
Étrange destin d'un auteur sublime, d'une étoile filante au passage si bref sur cette vallée de larmes. Emporté par la maladie : l'alcool, la misère et sa vie de patachon, il ne cesse de faire rouler ses cailloux dans l'eau. Il meurt le 28 juin 1911 à l'hôpital Lariboisière de Paris. Un cortège de près de 200 personnes accompagnera sa dépouille qui ira rejoindre la ville où Monsieur Imbu est devenu maire. Son Beau-frère avait bien tort, la mémoire de son maudit beau-frère ne s'effacera jamais. Il y a peu, on dénombrait plus de 190 chanteurs dont nombreux de renoms qui ont repris ses textes. C'est un immense auteur dont je regrette que jamais (à ma connaissance) il ne nous ai parlé de la Loire autrement que par ce texte si touchant.
Lorsque nous passions sur le bord du fleuve
Au temps où l'Amour murmurait pour nous
Sa chanson si frêle encore et si neuve,
Et si douce alors en les soirs si doux
Sans songer à rien, trouvant ça très drôle,
De la berge en fleurs où mourait le flot,
Comme des gamins au sortir d'école,
Nous jetions tous deux des cailloux dans l'eau.
Mais j'ai vite appris le couplet qui pleure
Dans la chanson douce en les soirs si doux
Et connu le trouble angoissant de l'heure
Quand tu ne vins plus à mes rendez-vous ;
En vain vers ton cœur monta ma prière
Que lui murmurait mon cœur en sanglots
Car ton cœur était dur comme une pierre
Comme les cailloux qu'on jetait à l'eau.
Je suis revenu sur le bord du fleuve,
Et la berge en fleurs qui nous vit tous deux
Me voit seul, meurtri, plié sous l'épreuve,
Gravir son chemin de croix douloureux.
Et, me souvenant des clairs soirs de joie
Où nos cailloux blancs roulaient dans le flot,
Je songe que c'est ton cœur que je noie
A chaque caillou que je jette à l'eau.
Gaston Couté
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