La Fanfare et l’Oiseau (Bird)

Miracle du cinéma et des hasards de la programmation, le spectateur peut voir, en quelques jours, des films avec des histoires, des situations, des lectures proches ou éloignés. Qui se rencontrent. Se complètent. Se contrarient. S’éclairent. Dans la tête du spectateur.

En Fanfare (1) et Bird (2) se passent dans deux régions, éloignées de quelques dizaines de kilomètres, Hauts de France et Kent en Angleterre. Dans des situations sociales, politiques, culturelles bien différentes, quelquefois difficiles mais riches en relations humaines.
Qui ne débouchent pas sur la même solidarité.

Dans En Fanfare, les personnages d’Emmanuel Courcol ont des relations fraternelles fondées sur des bases diverses et qui n’ont pas la même intensité.
Thibault doit, à son talent et au milieu culturel familial qui lui a permis de le développer, d’être devenu un chef d’orchestre reconnu.
Atteint d’une leucémie aiguë, il a besoin, pour survivre, d’une greffe de moelle. Que ni ses parents, ni sa sœur ne peuvent lui donner, test ADN à l’appui.
Il apprend, alors, qu’il a été adopté !
C’est son frère de sang, Jimmy, adopté par une autre famille, employé dans une cantine scolaire, qui peut fournir la greffe salvatrice, de mauvaise grâce. Dans la fanfare municipale où il joue du trombone, Jimmy connaît une certaine fraternité avec les autres musiciens et tous sont solidaires des ouvriers en lutte d’une entreprise qui va fermer.

Un Boléro fraternel

Thibaut et Jimmy sont frères de sang, non de culture, ils n’ont rien de commun sauf l’amour de la musique. Découvrant les potentialités de Jimmy, oreille absolue, ignorées par son milieu culturel, Thibault, reconnaissant, va l’aider à développer ses aptitudes et lui permet d'assumer la direction de la fanfare.

Une fraternité nouvelle, réciproque, s’établit, difficilement. Qui, finalement, s’épanouit dans le Boléro de Ravel, classique et populaire, joué de concert par l’orchestre symphonique et la fanfare sous la direction parallèle des deux maîtres.
Alors qu’ils savent tous deux la fin proche de Thibault, par le rejet de la greffe.
Jimmy, avec une amie de la fanfare, va rejoindre ses frères de la fanfare qui, par solidarité avec des travailleurs, participent à la lutte pour la sauvegarde de leur emploi.

Un saut d’oiseau...

au dessus de la Manche pour le Kent où Andrea Arnold, reprend le titre d’un film, biographie de Charlie Bird Parker par Clint Eastwood, Bird.

C’est dire que la musique, ici aussi, est importante. Musique d’une certaine jeunesse, bien différente de celle de En Fanfare.
Bailey, 12 ans, vit avec son père, à peine la trentaine, et toute sa fratrie, dans un logement qui tient plus du squat que du logement familial. Sa mère, droguée, vit ailleurs avec un homme violent dans des conditions identiques.

Dans ce monde en marge, son père décide de se marier devant le maire, il promet assistance et fidélité à une jeune femme à laquelle il déclare sa flamme dans une scène où il danse et chante au milieu de tous ses amis. Début d’une mutation ?
Il reconnaît commencer à aimer la musique des darons !

Bailey, allure de garçon manqué, calme, semble la seule à avoir un peu de bon sens, une certaine stabilité dans ce monde agité, protège ses petites sœurs, les amène à la plage, retrouve une certaine paix dans la nature, face aux mouettes et aux chevaux… C’est là surtout qu’elle fait connaissance de Bird. Un jeune, plus âgé qu'elle, migrateur, qui vient de nulle part pour retrouver un père qui ne veut pas le reconnaître…
Saut dans le fantastique, Bird est aussi un grand oiseau, plein d’attention pour elle, protecteur, qui débarrasse avec la manière forte de son violent compagnon la mère de Bailey et donne confiance à celle-ci dans son avenir qui n’est pas dans ce monde perturbé. Puis repart.

En Fanfare et Bird décrivent des milieux sociaux de conditions très différentes.

En Fanfare est porté par une vision d’une société française du XIX°-XX° siècle où nul enfant ne paraît, où les groupes sociaux sont séparés, où la violence apparaît sous la forme des CRS. L’éducation familiale de Thibault et de Jimmy témoignent d’une autre violence sociale. Des points de contact institutionnels existent : la médecine où Jimmy, par son don de moelle, permet à Thibault, mieux loti socialement, de rependre l’espoir de vivre ; la musique, le Boléro, dans des registres différents, cultivé ou populaire, ouvre à Jimmy une promotion temporaire. À côté de son frère.
Ils connaissent un vrai sentiment de fraternité. Complexe. Intense. Mais, finalement, chacun repart vers son destin.

L’un, sa mortelle leucémie. L’autre, la situation sociale, en fraternité avec les musiciens de La Fanfare, en solidarité avec ceux qui défendent leur emploi.
Avec quel espoir ?

Le milieu social de Bird est un isolat en misère de jeunes et de trés jeunes. Sans aucune perspective. Où le seul contact du groupe avec le monde institutionnel est le mariage d’un trentenaire, père de quatre enfants dont le premier quand il avait 14 ans. Toujours aussi fou, en voie de rangement ?

Dans En Fanfare, on ne voit que des plus de 30-40 ans, dans Bird que des moins de 30-40 ans. Mais tous vivent dans des sociétés où leur avenir est fermé. Sauf à se faire oiseau ? À migrer ? L’avenir de Bailey est-il ailleurs ? Comme celui de la réalisatrice qui a quitté sa famille à 18 ans ? Et revient à son tour dans le monde de sa jeunesse… Bird
Vérités différentes, en deçà et au-delà de La Manche ? Vérités d’hier et de demain ? Simplement du cinéma ?

1 – En Fanfare : d’Emmanuel Courcol, musique Michel Petrossian et Benjamin Lavernhe, comédie dramatique, France, 103 mn

2 – Bird : d’Andrea Arnold, musique de Burial, drame, Allemagne, États-Unis, France, Royaume-Uni, 118 mn