La Fille coupée en deux de Claude Chabrol
Vieux, mais sulfureux !
Claude Chabrol, une fois de plus, s’attaque aux préjugés, mais se renouvelle profondément. Il serait bien injuste de réduire La Fille coupée en deux à un énième film dénonçant l’hypocrisie bourgeoise. Certes, il attaque toujours celle-ci, mais à travers le spectateur.
L’intrigue pourrait faire penser au vaudeville le plus banal : un homme marié assez âgé (Charles Saint-Denis, alias François Berléand) s’éprend d’une fille plus jeune (Gabrielle Deneige, alias Luivine Sagnier), mais refuse de quitter sa femme. Le plus simple serait de donner au personnage de Berléand le rôle d’un simple salaud exploitant la naïveté de Gabrielle pour la conduire aux jeux les plus pervers. Telle est la morale bien bourgeoise que l’on pourrait tirer. Mais Chabrol détruit de l’intérieur ce préjugé : les scènes d’intimité entre Gabrielle et Charles mêlent la transgression à l’amour. Comme dans les livres de Georges Bataille, l’amour passe par l’érotisme et l’abandon de toutes les barrières (Chabrol souligne de lui-même l’influence de la littérature érotique sur ce film, en consacrant une large scène à la vente aux enchères d’un roman érotique richement illustré...). Gabrielle Deneige le dit elle-même, elle ne se sent pas ridicule nue à quatre pattes, avec une queue de paon entre les fesses, parce qu’elle aime. Et plusieurs personnages n’auront de cesse de rappeler au spectateur que Charles Saint-Denis l’aime aussi, probablement. D’ailleurs, la fin du film (que je tairais par respect du lecteur) pose bien le personnage du vieil écrivain en victime...
La nouveauté du dernier Chabrol tient à cette importance de la sexualité, de l’intimité, comme centre d’une guerre entre bourgeoisie et libre pensée. Les lieux qui reviennent en leitmotiv sont tous consacrés à l’intimité, même si elle devient quelquefois collective : la garçonnière, le club libertin, la chambre d’hôtel. Autre aspect éminemment provocateur du film, les héros sont aussi les vieux, les vieux riches plus précisément, qui ont la culture, le poids, la largeur de vue suffisante pour assouvir leurs désirs les plus profonds - on peut d’ailleurs se demander à quel point ce film est autobiographique ! Chabrol tire profit de son âge avancé : au lieu de le renier, il l’exploite, pour signer un film profondément ancré dans son temps, où il n’y a pas d’âge pour la sexualité et l’amour.
Ceci dit Chabrol ne prend pas vraiment parti. Il a seulement voulu nous montrer que « rien n’est simple (dixit Ludivine Sagnier). Le personnage de Gabrielle Deneige est central, car elle ne juge pas. On ne saurait trop remercier le réalisateur d’avoir choisi Ludivine Sagnier pour l’interpréter, à la fois entière et double, légère et grave, intrépide et fragile. Elle se contentera de donner à la fin du film « sa vérité », c’est-à-dire les faits tels qu’elle les a vécus. Tout jugement objectif de valeur est désormais impossible.
D’une certaine manière, Chabrol nous livre une oeuvre sous le signe de la littérature contemporaine : son héros est écrivain, les rapports érotiques entre Saint-Denis, Deneige et Gaudens se tissent dans une librairie, et son contenu « par-delà bien et mal » n’est pas sans rappeler un autre auteur « postmoderne », à savoir un certain Michel Houellebecq...
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