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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > La fin du happy end

La fin du happy end

Malaise dans la culture. (avertissement : cet article dévoile des éléments d’intrigues de plusieurs films)

La La Land

Je suis allé voir « La La Land » vendredi dernier dans une salle comble d’un petit village de Provence, en VO, et il y avait même des enfants dans le public, le signe d’un grand succès, peut-être pas si inattendu que ça. Le film a éveillé mon intérêt dès son annonce parce que j’avais adoré « Whiplash » du même Damien Chazelle, qui traitait d’une passion, d’un accomplissement, d’un personnage principal qui parvenait à ses fins sans la mélancolie du sacrifice. Quelque part, « Whiplash » finissait bien. J’espérais un autre film plein d’espoir. Or, « La La Land » évoque cette mélancolie du sacrifice dont j’avais apprécié l’absence dans « Whiplash ». A mon grand désespoir, le couple qui nous est présenté dans de belles séquences colorées et émouvantes se sépare pour que chacun puisse suivre ses rêves, tout seul dans son coin. Ce film m’a fait mal au cœur. Mon credo politique est la décroissance, sauf pour les sentiments. J’aurais tellement voulu voir un happy end tel que celui qui nous est montré en fantasme dans les dernières minutes.

« La La Land » est symptomatique d’un mal-être profond qui ronge la société. Les quelques comédies musicales produites depuis les chefs d’œuvre de Jacques Demy prennent toutes le contre-pied de la période américaine classique, pour faire décalé et original et profond, il faut une fin triste, sauf que ça fait 40 ans qu’on ne voit plus que des fins tristes dans ce genre de films (les Bob Fosse, « Dancer In The Dark », « Jeanne et le garçon formidable », « Moulin Rouge »). Ce que cela signifie pour moi, c’est que les gens ont honte d’être heureux, ont honte de l’ambition du bonheur, ont en fait honte d’afficher l’ambition de vivre en collectivité, sauf quand ils se lancent en politique, ce qui légitime que les véritables objectifs en sont l’accaparement des biens publics et le pouvoir.

Le propos général reste toujours pessimiste, on vient toujours rappeler une crise quelconque à l’affût, il faut toujours que ça finisse mal, ou que ça finisse pas. Depuis un certain temps, je vois ce discours partout à l’œuvre dans les films de super-héros. A peine les gentils dégagent un méchant qu’une scène post-générique de fin vient indiquer qu’une nouvelle menace arrive et règne. C’est d’ailleurs plus qu’une indication, c’est un rappel (comme dans les concerts mais exclusivement avec de la musique martiale). Il n’y a plus aucun répit, le Mal est partout, renait toujours de ses cendres. On ne fait pas plus déprimant, toute action est vaine dans un univers pareil. Sous le couvert de créer une franchise en plusieurs épisodes, nous n’assistons en fait qu’à un défilé sans fin de combats et de morts. Les histoires présentant les origines des héros ne sont que les prémisses des carnages toujours plus idiots des aventures suivantes. Dans le cinéma classique, il fallait un autre western, un autre héros, un autre méchant, un autre modèle de revolver, un autre monde pour pouvoir admirer le spectacle cathartique de la violence et du Bien triomphant. De nos jours, ce sont les mêmes bandes dessinées qui sont adaptées chaque année, avec les mêmes visages, les mêmes intrigues, et sans le moindre regard d’un réalisateur. Et jamais rien n’est bien qui finit bien.

Les scènes d’amour se font petites, les regards entre amants sont de moins en moins longs à l’écran, et que dire des étreintes ? Alors que le code Hays limitait la durée des baisers autorisés, aujourd’hui, il n’y en a plus besoin. C’est facile, les amoureux ne s’embrassent quasiment plus à l’écran. Visionnez le « Superman » de Richard Donner, enchainez avec « Man Of Steel », et vous vous rendrez compte d’à quel point le lien entre Clark Kent et Loïs Lane s’est désenchanté. Je ne me rappelle plus d’un film pop récent où j’ai vu un couple qui vécut heureux (« et qui eurent beaucoup d’enfants » n’est pas forcément une bonne idée donnée l’explosion démographique mondiale et les impossibles réorganisations du travail à l’ère de la technologie, de la médiatisation et de l’automatisation tous azimuts). Les gens ordinaires qui s’aiment en allant flâner le long des rivières (lesquelles – entre parenthèses - s’assèchent) n’intéressent plus personne, sauf sur Facebook où ils sont au même plan que les hausses d’impôts des classes moyennes, les appels au Jihad et les « revendications » de Marine Le Pen.

Dans le spectacle omniprésent, il faut d’abord montrer les pouvoirs à l’œuvre, mais sans les critiquer. La revanche des geeks s’est épaissie d’une autre victoire du grand Capital. Il n’y a plus d’héritiers de Wilder, de Lubitsch ou de Capra. Plus d’Audiard. Plus de peinture acerbe du riche et du pauvre comme dans les comédies à l’italienne, ou alors c’est dilué dans des œuvres esthétiquement pauvres et dialoguées par des andouilles comme « Camping 3 » ou « Bienvenue chez les Ch’tis ». On dirait que tout est fait pour nous dégoûter des choses simples et compliquées de la vie, des joies et des bonheurs ordinaires et extraordinaires. Il n’y a plus de sourire réellement. Entre les blockbusters agressifs aux montages illisibles, les comédies qui évitent de faire rire parce qu’il ne faut froisser personne et les auteurs bucoliques qui ne racontent rien, on cherche en vain les histoires qui mettent du baume au cœur.

Le tournant qu’a pris la société, telle qu’elle est illustrée, telle qu’elle s’illustre, au cinéma depuis 40 ans démontre qu’il y a un danger. Les films que voient les adolescents d’aujourd’hui en feront les adultes de demain, les imaginaires sont de plus en plus façonnés par la fiction que par la réalité, la somme des références prend tellement d’ampleur dans l’espace public et les réseaux sociaux que la citation et la création s’entretiennent sans relâche, et le problème, c’est que cette omniprésence de la guerre et des amours qui finissent mal, cette catharsis totalitaire, va former les repères des générations à venir. Il me semble essentiel de rétablir une création « positive » à destination des publics adolescents et adultes. Les enfants et les parents qui vont voir des joyeux Disney sont encore saufs, mais pour combien de temps ? Pour une « Reine des Neiges », combien de jouets guerriers dans les chambres ? Combien de sabres Laser, d’épées en plastique, d’arcs et de fléchettes, combien de revolvers factices ? Tout ce décorum n’a rien de frivole, même s’il n’a rien de superficiel, l’homme demeurant un loup pour l’homme (et la femme échappe malheureusement de moins en moins à ces idioties, si elle en a jamais eu la chance).

Et si nous pouvions revaloriser les mots, l’amour, la collectivité dans la culture de masse ? Comment le pourrions-nous ? La question en elle-même est passionnante, parce qu’une histoire sans conflit est en générale ch… à en pleurer. Le paysage actuel, ces films outrancièrement numériques où des villes entières sont détruites, ne valorise pas la beauté des travaux et des jours. Les comédies musicales sont musicales mais s’empêchent de faire sourire jusqu’à la fin. Les comédies légères perdent en charme. Je suis convaincu qu’il est nécessaire de réhabiliter artistiquement le happy end et de lui donner la diffusion qu’il mérite, dans les productions destinées au grand public. Du point de vue scénaristique, le happy end donne une raison au conflit qui le précède. Le happy end est profond. S’il donne une excuse à la représentation de la violence, c’est pour mieux montrer qu’elle échoue, et que le dialogue réussit, au moins entre les gentils. Du point de vue économique, ça ne tuera pas l’industrie du spectacle, ça la dynamisera, ça renouvellera le parc des créateurs et ça nous évitera d’avoir toujours les mêmes franchises imposées dans les multiplexes à pop-corn. Et du point de vue culturel, ça dynamitera le corporatisme de l’intérieur, en exaltant le cœur des spectateurs et en les préparant aux merveilleuses rencontres du monde réel.

Le happy end est mort ! Vive le happy end ?


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6 réactions à cet article    


  • foufouille foufouille 4 mars 2017 10:17

    ta happy end existes rarement dans le vrai monde.


    • Nicolas Cavaliere Nicolas Ernandez 4 mars 2017 10:21

      @foufouille
      Le vrai monde n’est que ce qu’on en fait.


    • foufouille foufouille 4 mars 2017 10:26

      @Nicolas Ernandez
      non désolé. sauf france d’en haut.


    • Nicolas Cavaliere Nicolas Ernandez 4 mars 2017 10:34

      @foufouille
      Donc tu es pessimiste, et tu t’abandonnes à ton sort. Comment veux-tu que les gens dans la réalité retrouvent le moral et aient envie de se battre si dans la fiction la morale est que tout soit triste ?


    • foufouille foufouille 4 mars 2017 10:59

      @Nicolas Ernandez
      si tu aimes te battre contre des moulins à vents, c’est ton droit.


    • sleeping-zombie 4 mars 2017 19:17

      Hello,

      Le « Happy End », il est surtout dans la tête du spectateur. C’est ta liberté d’interprétation et ta culture qui te guident.

      Prenons un exemple bête : La traversée de Paris, grand classique des années 50, avec Bourvil et Gabin. Happy end ou pas ?

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