La Fontaine à la sauce présidentielle 2022
« Honteux comme un renard qu’une poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l’oreille.
Trompeurs, c’est pour vous que j’écris ;
Attendez-vous à la pareille. »
(La Fontaine, "Le Renard et la Cigogne").
Le fabuliste Jean de La Fontaine est né il y a exactement 400 ans, le 8 juillet 1621, à Château-Thierry. Le Président Emmanuel Macron avait fait le déplacement dans sa ville natale le 17 juin 2021, peu avant le premier tour des élections régionales, dans une région où se présentait probablement son adversaire le plus sérieux de la prochaine élection présidentielle, Xavier Bertrand. À cette occasion, il avait rencontré des écoliers et surtout l’acteur agaçant Fabrice Luchini qui a lu quelques fables (j’apprécie cet acteur mais il est parfois agaçant).
L’avantage, quand on évoque Jean de La Fontaine, c’est que tout le monde le connaît. C’est le point de passage obligé de la culture française. Son nom même résonne la culture française. Même s’il avait rédigé beaucoup d’autres œuvres auparavant, il fut un auteur connu tardif, ses premières fables ont été publiées quand il avait déjà 47 ans (en 1668). En tout, il en a écrit 240. Sa méthode est connue et très populaire : prendre (souvent) des animaux pour parler des humains, et terminer par une morale (ou commencer par une morale).
C’est ce côté moraliste qui a été très apprécié des pouvoirs politiques. Récupérées tant par les jésuites que, plus tard, par les républicains, les fables de La Fontaine sont ainsi aux programmes scolaires depuis longtemps. L’évocation des animaux est d’ailleurs une excellente source d’intérêt pour tous les enfants. Cet enseignement permet aussi un exercice simple de mémorisation en apprenant par cœur les fables, dont la longueur convient bien à ce genre d’exercice, la "récitation".
Apprendre par cœur a toujours été en débat pédagogique. Citée par la neurologue lyonnaise Catherine Thomas-Antérion le 31 mai 2021 sur le site de l’Observatoire BV2 des mémoires, une publication d’Yvan Abernot, Jacques Audran et Éric Penso évoquait en 2011 la problématique : « Alain Lieury (2004) affine les rapports de la mémoire et de la réussite scolaire, montrant au chapitre "Faut-il abolir l’apprentissage par cœur" que le facteur R (l’intelligence inductive) n’est pas seul à expliquer la réussite de l’élève mais que la mémoire, y compris encyclopédique, est aussi très impliquée. Rappelons que corrélation n’est pas cause, mais admettons avec l’auteur, qu’à tout le moins, des liens de confortations réciproques existent entre réussite scolaire et apprentissage par cœur. » (hal-01180323). Et cette neurologue lyonnaise insistait sur cette caractéristique de La Fontaine : « Pour chacun d’entre nous, le nom de La Fontaine permet d’évoquer immédiatement une sentence entrée dans le langage commun (…). Dans nos représentations, les fables sont le prototype de l’apprentissage par cœur. ».
Cette utilisation pédagogique de La Fontaine peut se faire à tout âge, école primaire, collège et même lycée. Je me souviens d’un professeur de français qui avait mis en difficulté un camarade qui ne connaissait pas le sens du mot "ramage", mot qu’il connaissait pourtant depuis tout petit avec la célèbre fable "Le Corbeau et le Renard". Sans en connaître la signification.
Une évocation qui me faisait alors penser irrésistiblement à un "Dingodossier" du talentueux et hilarant Gotlib qui imaginait un monde extraterrestre où le Terrien, venu saluer l’autochtone visiblement féminine, lui répéter du La Fontaine : « Que vous êtes jolie ! que vous me semblez belle ! Sans mentir, si votre ramage se rapporte à votre plumage, vous êtes le phénix des hôtes de ces bois ! ». Et la mignonne extraterrestre, indignée, de balancer une claque magistrale à notre humain voyageur intergalactique un tantinet dragueur en lui disant : goujat ! Et l’image qui suit montre un oiseau dans cette planète bizarre qui porte des plumages très moches et qui crie comme une casserole ! "Le Corbeau et le Renard" ne marche pas à tous les coups !
L’idée de prendre des animaux comme personnages n’était pas nouvelle, et La Fontaine reconnaissait aisément son inspiration des fables d’Ésope (notamment dans "La Mort et le Malheureux"). Beaucoup ont utilisé cette idée, sans même forcément avoir les mêmes buts. On peut penser facilement aux personnages de Walt Disney (des canards, des souris, des chiens, etc.), ou à des romans comme "La Ferme des animaux", des dessins animés (la plupart en général, mais je pense en particulier à "Chicken Run"), ou encore des bandes dessinées plus "graves" comme l’excellent "Maus" d’Art Spiegelman, qui raconte la Shoah avec des souris pour représenter les Juifs, des chats pour les nazis (en tant qu’adorateur des chats, je proteste !), des cochons pour les Polonais (là, les Polonais protestent), etc. (La propagande nazie assimilait les Juifs à des souris, les prenant pour des nuisibles).
Ces morales infusées discrètement dans ces fables, chacun peut y prendre son compte. Alors, très modestement, voici quelques morales pour nos futurs (éventuels) candidats à la prochaine élection présidentielle.
Emmanuel Macron veut encore réformer le pays avant la fin de son mandat : « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. » ("Le Lion et le Rat").
Marine Le Pen, en tête du premier tour dans les sondages : « Il ne faut pas vendre la peau de l’ours qu’on ne l’ait mis par terre. » ("L’Ours et les deux Compagnons").
Après l’échec des régionales, tout reste possible à la présidente réélue du RN : « L’avarice perd tout en voulant tout gagner. » ("La Poule aux œufs d’or").
Les écolos, anticapitalistes comme les autres gauchistes : « Ce n’est pas sur l’habit que la diversité me plaît ; c’est dans l’esprit. » ("Le Singe et le Léopard").
Guillaume Peltier soutient la candidature de Xavier Bertrand : « Apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute. » ("Le Corbeau et le Renard").
Laurent Wauquiez n’est pas en reste et veut aussi concourir : « Nous n’écoutons d’instincts que ceux qui sont les nôtres, et ne croyons le mal que quand il est venu. » ("L’Hirondelle et les petits Oiseaux").
Selon "Paris Match", Éric Zemmour est prêt à partir : « Il faut, autant qu’on peut, obliger tout le monde : on a souvent besoin d’un plus petit que soi. » ("Le Lion et le Rat").
Jean-Luc Mélenchon est déjà candidat : « Le trépas vient tout guérir ; mais ne bougeons d’où nous sommes : plutôt souffrir que mourir, c’est la devise des hommes. » ("La Mort et le Bûcheron").
Hégémonie du parti présidentiel (quel qu’il soit) : « Prit pour lui la première [part] en qualité de sire. Elle doit être à moi, dit-il ; et la raison, c’est que je m’appelle lion. À cela l’on n’a rien à dire. La seconde par droit me doit échoir encor : ce droit, vous le savez, c’est le droit du plus fort. Comme le plus vaillant, je prétends la troisième. Si quelqu’un de vous touche à la quatrième, je l’étranglerai tout d’abord. » ("La Génisse, la Chèvre et la Brebis, en société avec le Lyon").
Jean Castex n’est pas candidat, mais il (sur)veille au gouvernement : « La raison du plus fort est toujours la meilleure. » ("Le Loup et l’Agneau").
Arlette Laguiller reste à la retraite, elle ne se présentera plus : « Il est bon de parler, et meilleur de se taire. » ("L’Ours et l’Amateur des jardins").
Nicolas Dupont-Aignan est candidat, toujours indépendant : « "Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas où vous voulez ? (…) Il importe si bien que de tous vos repas, je ne veux en aucune sorte, et ne voudrais même pas à ce prix un trésor". Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor’. » ("Le Loup et le Chien").
Anne Hidalgo veut être la représentante d’un parti en phase terminale : « Il a dit quelque part : qu’on me rende impotent, cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu’en somme, je vive, c’est assez, je suis plus que content. Ne viens jamais, ô Mort ! on t’en dit tout autant. » ("La Mort et le Malheureux").
Philippe Poutou renonce à une nouvelle candidature : « Il n’est pas toujours bon d’avoir un haut emploi. » ("Les Deux Mulets").
En négociation, la candidature d’un gilet jaune : « Hélas ! on voit que de tout temps, les petits ont pâti des sottises des grands. » ("Les Deux Taureaux et une Grenouille").
Et terminons par la valse des François !
François Fillon ne sera pas candidat : « La méfiance est mère de la sûreté. » ("Le Chat et un Vieux Rat").
François Baroin ne sera pas candidat à une nouvelle primaire LR : « Vous chantiez, j’en suis fort aise ! Eh bien, dansez, maintenant ! » ("La Cigale et la Fourmi").
François Asselineau, encore candidat : « D’un magistrat ignorant, c’est la robe qu’on salue. » ("L’Âne portant des reliques").
François Hollande, tenté par une nouvelle candidature : « C’est souvent du hasard que naît l’opinion, et c’est l’opinion qui fait toujours la vogue. » ("Les Devineresses").
François Bayrou, également tenté : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. » ("Les Animaux malades de la peste").
Du haut du ciel, François Mitterrand, dit Dieu, hésite à reprendre le combat : « Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages : tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs, tout petit prince a des ambassadeurs, tout marquis veut avoir des pages. » ("La Grenouille qui veut faire aussi grosse que le bœuf").
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (03 juillet 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Amélie Nothomb.
Jean de La Fontaine.
Edgar Morin.
Frédéric Dard.
Alfred Sauvy.
George Steiner.
Françoise Sagan.
Jean d’Ormesson.
Les 90 ans de Jean d’O.
10 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON