« La France de Raymond Depardon – Bibliothèque de France » jusqu’au 9 janvier 2011
Pour l’occasion, le reporter a délaissé son appareil de type « reflex », le format de prédilection pour le reportage, au profit de la chambre technique, appareil grand format (20x25 pour l’occasion) monté sur pied, laborieux à manipuler et à mettre en place mais idéal pour l’architecture.
Après quelques hésitations et essais, à Berck-Plage dans le Nord-Pas-de-Calais, il opte pour la couleur et non pour le noir et blanc. Il juge le résultat plus lumineux et la clarté en est améliorée. Il décide aussi de refuser de prendre des images les jours d’été, où le soleil brille, où les touristes affluent en certains lieux de villégiature. Il en ira de même pour l’hiver où certaines régions apparaîtraient à leur désavantage tandis que d’autres, dans la blancheur de la neige par exemple, sembleraient merveilleuses, voire idylliques. Le projet est donc mûrement réfléchi et ambitieux …
Mais quelle déception au final ! Je ne retrouve pas la justesse et la précision des cadrages qui me font tant admirer Depardon en temps normal. Rien ne m’enthousiasme ni ne me fait vibrer là où d’habitude, j’aime à m’attarder face aux images, jalousant l’œil du grand photographe !
Je ne perçois nulle magie sinon, peut-être et au premier coup d’œil, avec l’effet presque baroque des tirages saturés de grande taille mis côte à côte à l’instant où l’on pénètre dans la salle de la Bibliothèque de France. C’est à ce moment seulement, où ils semblent nous « sauter dessus », qu’il se dégage un semblant d’enthousiasme …mais si fugace !
Face à ces paysages, j’ai l’impression qu’à aucun instant Depardon ne soit parvenu à établir la juste distance entre l’objectif et le sujet, qu’à chaque fois il a semblé hésiter sans parvenir à poser son appareil à l’endroit exact où l’harmonie aurait été rencontrée.
A aucun instant, sinon à de rares occasions, il n’est arrivé à atteindre cette géométrie interne subtile dont pourtant il est passé maître, dont il nous gratifie avec générosité en temps normal. Alors qu’il était au Liban, dans le feu de l’action, il semblait avoir plus de précision et de justesse. Dans le cas présent, avec plus de temps laissé à la réflexion, il semble avoir trop intellectualisé sa prise de vue, avoir trop raisonné avant d’actionner le déclencheur.
La France qu’il nous offre à contempler, et de ses propres aveux, est celle d’une certaine ruralité, de ces petites villes éloignées des grands centres. Il revient ainsi à ses racines paysannes, à ce monde qu’il a quitté mais vers lequel il retourne avec régularité, chargé de remords, que ce soit par la photo ou le film. Il s’agit ainsi de « sa » France. Une France qui m’apparaît ainsi emplie de mélancolie, où le temps s’écoule avec lenteur et où règne l’ennui. Une France dont les façades se réduisent souvent à un empilement de modifications successives plaquées les unes sur les autres. Depardon est parti à la recherche d’empreintes capables de lui faire revenir le souvenir de sa jeunesse, du chemin de l’école ou de la ferme familiale dont le souvenir le hante encore.
Il s’est délibérément détourné des grands centres urbains (comme des départements d’Outre-Mer ou de la Corse), des villes s’étendant inexorablement sous la pression démographique. De la sorte, le photographe écarte ces lieux de vie devenus le cadre de référence d’une large part de la population. A la place, il lui substitue un pays de petites départementales et de champs, de boucheries aux devantures rouges et de bistrots au coin d’une rue. Il s’agit d’une France réelle et respectable mais une France dont finalement il donne une vue trop caricaturale, presque « paumée ».
Jamais il n’y a de surprise ni d’étonnement. Au mieux, le visiteur tente de découvrir la région où l’artiste a marqué une pause, interrogeant son voisin ou sa voisine. « Les Vosges ? Le Jura ? … Qu’en penses-tu ? » … Et c’est avec un certain bonheur qu’à l’approche de la sortie, il peut vérifier son impression première face aux images réduites accompagnées de leurs libellés.
Depardon a sciemment photographié « sa » France dépourvue de ses habitants et offre ainsi des images vides. C’est un choix, une nouvelle fois, mais pourquoi alors, ci et là, apparaissent des hommes ou des femmes ? Pour quelle raison avoir multiplier les entorses à cette règle fixée au départ de sa réflexion ? Pour quelle raison aussi, par exemple, s’être attaché à cette photographie prise au moment où une habitation apparaît prendre feu, la foule réunie pour regarder le spectacle ? Comment justifier ce fait divers alors que partout ailleurs, le « banal » s’impose ?
De tous les travaux de Depardon dont j’ai connaissance, il s’agit certainement de celui envers lequel j’éprouve le plus de réserves. Il nous offre une sorte de simple énumération là où, par son talent pourtant incroyable, il devait nous offrir une œuvre solide et originale, voire inattendue.
Remarque : un livre accompagne cette exposition (336 pages – 59 euros). Pour ceux qui ne désire pas dépenser autant, Télérama a sorti un numéro spécial, sorte de condensé pratique mais néanmoins intéressant.
Bibliothèque de France (site François Mitterrand) - Quai François-Mauriac
75706 Paris – 7/5 euros
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