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La jalousie dans A la recherche du temps perdu

La jalousie est loin d’être chez Marcel Proust ce qu’elle est chez Montaigne : "la plus vaine et tempétueuse maladie qui afflige les âmes humaines".

Certes, pour l’auteur de La Recherche, la jalousie est perçue comme une maladie qui inflige la pire des souffrances à celui qui la subit aussi bien physiquement que moralement. Toutefois, elle s’avère utile puisqu’elle donne de la consistance à l’amour et lui permet de survivre. Mais c’est également elle qui éveille les forces de l’esprit par les souffrances qu’elle cause. A ce propos, Proust affirme dans Le Temps retrouvé :
"... C’est le chagrin qui développe les forces de l’esprit (...) les idées sont les succédanées des chagrins".

Dans La Recherche, l’art et la souffrance causée par la passion entrent dans un rapport étroit de complémentarité. C’est justement parce qu’elle est souffrance que la jalousie devient bénéfique puisqu’elle donne accès à la création.

"Une chose curieuse que cette circulation de l’argent que nous donnons à des femmes qui, à cause de cela nous rendent malheureux, c’est-à-dire nous permettent d’écrire des livres : on peut presque dire que les œuvres, comme dans les puits artésiens, montent d’autant plus haut que la souffrance a profondément creusé le cœur."

Comme l’amour, la jalousie suscite l’envol de l’imaginaire et engendre la production de fictions. En effet, confronté au refus et à l’exclusion, le jaloux invente des scénarios multiples pour tenter d’élucider le mystère qui enveloppe l’être aimé. Prise dans les "feux tournants de la jalousie", l’imagination se met en marche. Le jaloux cherche par tous les moyens à connaître la vérité de l’autre. Il se livre corps et âme à ses investigations et y consacre tout son temps à tel point que cette recherche devient obsessionnelle. Rien n’illustre mieux, chez Proust, la notion de "temps perdu" que l’ardeur avec laquelle le jaloux interprète et analyse chaque parole, chaque geste de l’autre.

"L’horreur de ces amours que l’inquiétude seule a enfantées vient du fait que nous tournons et retournons sans cesse dans notre cage des propos insignifiants."

Pourtant, il suffit d’une simple inversion de signes pour que cette énergie folle et destructrice devienne l’aliment nécessaire de la plus haute création. En effet, la recherche de la vérité s’avère utile au jaloux puisqu’elle enrichit son univers en lui donnant accès à la vie des autres êtres et en lui faisant découvrir des émotions jusque-là ignorées.

De nombreux personnages jaloux jalonnent l’univers de La Recherche. Cependant, seul le narrateur pourra trouver la voie du salut. En effet, c’est parce qu’il a connu de grands chagrins, mais surtout parce qu’il a su utiliser ses souffrances que Marcel a finalement découvert sa vocation d’écrivain.

"Les chagrins sont des serviteurs obscurs, détestés, contre lesquels on lutte, sous l’empire de qui on tombe de plus en plus, des serviteurs atroces, impossibles à remplacer et qui par des voies souterraines nous mènent à la vérité."


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4 réactions à cet article    


  • Armelle Barguillet Hauteloire Armelle Barguillet Hauteloire 8 avril 2008 12:58

    La souffrance fut pour lui un sacerdoce et c’est à cause d’elle qu’il conduisit la quête de son existence dans les voies les plus étroites et pénétra les régions les plus profondes du coeur, où la moindre impression est douleur mais douleur qui éclaire l’esprit, en fait l’oeil de l’artiste.
    " Quant au bonheur, il n’a presque qu’une seule utilité, rendre le malheur possible " - écrit-il et il poursuit : " Il faut bien que dans le bonheur nous formions des liens bien doux e bien forts de confiance et d’attachement pour que leur rupture nous cause le déchirement si précieux qui s’appelle le malheur ".

    Ici Proust répète Pascal, rejoint Baudelaire et on peut même se demander s’il n’y a pas quelque chose du Don Juan de Montherlant dans sa soif pervertie d’absolu. Ainsi s’approche-t-il de la joie par la souffrance, comme il aborde le bien par le mal. Parce qu’elle n’est pas une fin mais un moyen, l’instrument privilégié de l’ascèse, la douleur permet l’accession au monde supérieur. Autant qu’une influence chrétienne, on perçoit chez Proust une résonance platonicienne. Puis intervient l’amour. L’amour qu’a décrit l’écrivain, l’amour qui torture et obsède devient, de par la souffrance qu’il engendre, son propre purificateur. Capable de plonger l’homme dans les affres les plus terribles et de l’inciter aux pires égarements, elle a aussi le mérite d’agir comme la grâce, en grandissant tout ce qu’elle touche. L’auteur montre ainsi combien l’amour, comme les autres sentiments, est une construction imaginaire, une illusion. Mais une illusion bienfaitrice qui enrichit et éclaire notre vie.

     


    • Georges Yang 8 avril 2008 15:26

      J’avais une approche assez differente de la votre a propos de Proust sur Agoravox !

      Je vous souhaite plus de commentaires.


      • Dryss 8 avril 2008 20:19

        M. Girard avait fait une étude assez intéressante de l’oeuvre de Proust « A la recherche du temps perdu » dans son livre « Mensonge romantique et vérité romanesque. »

        L’explication sur la jalousie est particulièrement interessante et je conseille le début du livre à tout le monde. Ce serait dur de résumer la thèse de Girard rapidement donc je ne vais pas essayer cet exercice.


        • rackamlerouge 9 avril 2008 19:41

           Il n’y a pas d’amour chez Proust. Triste constat.

          En effet l’amour est chez lui une tentative d’épuisement des signes.La jalousie, quasi synonyme de l’amour, réside dans la difficulté à "lire" l’autre. Dès que le narrateur y parvient, l’amour disparaît comme "par enchantement" et il se demande ce qui pouvait bien lui plaire chez la personne qui le faisait tant souffrir.

          C’est à ce moment là qu’intervient la création artistique, comme sublimation de la déception de lecteur.

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coquelicot2007


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