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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > « La Jeune Fille de l’eau » en DVD : glouglou ?

« La Jeune Fille de l’eau » en DVD : glouglou ?

La Jeune fille de l’eau, à la revoyure en DVD : au secours ! Faut-il prendre sa bouée ? Shy nous fait-il boire la tasse ? Autrement dit, M.N. Shyamalan, est-ce ma tasse de thé ? Difficile à appréhender le nouveau M.N. Shyamalan, dit « Shy ». Il nous glisse quelque peu entre les mains comme l’eau qui glisse sur la peau. Notre Shy se ferait-il carpente-rien en faisant osciller son film sur la frontière ténue entre chef-d’oeuvre et panouille ?

Eh bien, avouons-le tout d’abord, ce conte (en apparence pour enfants) est formellement superbe. Shy a un grand sens du cadre, du surcadrage (l’image dans l’image) et la photo du chef op attitré de Wong Kar-wai - Christopher Doyle - fait baigner l’immeuble de Cleveland, la tache bleue de la piscine et la naïade Story - petite cousine de la Leeloo en plein jet-lag du 5e Element - dans une lumière crépusculaire et moirée. Bref, on nage en eaux troubles et Shy prend un malin plaisir à nous mener en bateau.

D’aucuns parleront de la naïveté voire de la niaiserie de ce film-fable qui lorgne ouvertement du côté de Steven Spielberg, celui d’ET et de Rencontres du 3e type, à savoir celui qu’on appelle « Steven-le-Gentil » (classification de Jim Hoberman du Village Voice, in Cahiers du cinéma n° 614, p. 28) pour le distinguer d’un « Steven-le-Méchant », celui plus sombre et plus réaliste (donc désenchanté ?) du Monde perdu, de La Guerre des mondes ou de Munich. En outre, on sait que notre tycoon national, Luc Besson, n’est pas en odeur de sainteté dans certaines rédactions hexagonales (Les Cahiers... et alors, ne parlons même pas de Positif !) mais il est bon, de temps en temps, de rendre à César ce qui appartient à César : aussi, difficile de ne pas voir dans notre sirène-ondine blanchâtre et rouquine de The Lady in the Water une soeur cousine de la Leeloo allumée du 5e Elément. On peut évoquer les ressemblances (fortuites ? délibérées ?) entre Story et Leeloo, qui sont toutes deux visiblement - et d’après surtout ce que l’on raconte sur elles, ça parle énormément dans La Jeune Fille de l’eau ! - d’une grande importance pour sauver le devenir en péril d’une humanité ayant une fâcheuse tendance à se fourvoyer.

Physiquement, nos deux pin-up extra-terrestres ont un air de ressemblance, elles sont plus jolies qu’ET et... Jeanne Moreau réunis ! L’aspect lisse, désincarné, éthéré, c’est glamour, ça crée une distance, un je-ne-sais-quoi de glamorama. Physiquement, elles ont quelque chose de sexy. Notre gardien d’immeuble, en la voyant nue, a du mal à cacher son trouble et demande donc à la belle et mystérieuse Story, au sex-appeal sibyllin, de se couvrir.

Elles (Story + Leeloo) présentent une certaine inaptitude à la vie sociale, malgré un cocon établi par autrui pour les protéger. D’ailleurs, on peut suggérer une parenté entre la cour d’immeuble de Shy et les projets utopistes de certains architectes du XIXe siècle, je pense au Phalanstère de Fourier ou au Familistère de Godin - cette idée d’une entente harmonieuse et "échangiste " entre les habitants d’une même habitation collective. A l’intérieur, les gens dits "normaux", répondant à certains diktats sociétaux, regardent ces deux beautés venues d’ailleurs comme si c’étaient des monstres ou des bêtes de foire, Shy sachant très bien la charge érotique que peut présenter un monstre dans sa bestialité même.

Lire là-dessus, par exemple, les textes de Gilbert Lascault (in Le Monstre dans l’art occidental) sur la figure du monstre, notamment dans la peinture dite "fantastique" (Bosch, Fussli, Ernst, Dali, etc.) - Cf dans le Shy lorsque les losers du 13B (des espèces de nerds glandeurs) regardent avec beaucoup d’attention la jeune ondine agenouillée dans la salle de bains, ces derniers attendant peut-être, en la matant, l’occasion d’un "bain de jouvence" de leur libido semblant en stand-by ou en tout cas bien enfouie derrière moult canettes et cadavres de bières de leur appart-squat... A mon avis, Shy doit connaître The Fifth Element de Luc Besson car il y a quelques emprunts, me semble-t-il. Alors appelons un Scrunt un Scrunt... et sans en faire des gorges chaudes ou des " narf narf narf " dès qu’on parle du plus américain de nos cinéastes français limite franchouillard (par moments), à savoir Louc Bessonne (à l’américaine !).

Alors que faire de la "Petite cuisine" de Shy ? Faut-il retrouver son âme d’enfant (si c’est le cas, alors plutôt l’enfant freudien version « pervers polymorphe ») pour goûter aux mille et un délices de ce conte en apparence(s) pour enfants ? Eh bien, il faut voir que notre Shy semble vouloir boucler la boucle de son cinéma train-fantôme et Grand Bazar de l’Hôtel de la Trouille, ni plus ni moins. Ici, nous n’avons plus ses twists habituels (= coups de théâtre, revirements de l’histoire...) qui font se pâmer certains ados boutonneux bigleux façon Harry Farber, le critique à lunettes du film.

A mon avis, les spectateurs ou fans qui en resteront uniquement au niveau de la fable vont être déçus parce que cet opus ne présente pas un twist évident comme pour 6e Sens, Incassable ou encore Signes. De plus, si l’on se contente de la story proprement dite et des effets spéciaux, plutôt cheap au demeurant, eh bien les Scrunts, Narfs, singes végétaux poilants, Tartutics et tout le toutim peuvent vite apparaître grand-guignolesques. Or voilà, ici, Shy assume l’aspect farcesque de son film-gigogne.

Notre cinéaste-chaman hollywoodindien nous plonge exprès dans une mise en abyme vertigineuse et jouissive de son propre cinéma enchanteur dont il démont(r)e les mécanismes un par un. C’est même un pari risqué pour un tel conteur hors pair car il montre en quelque sorte les coulisses de sa Petite cuisine filmique, comme s’il voulait se tirer une balle dans le pied. En quelque sorte, nous avons affaire, si l’on y regarde de plus près, à un film-twist géant. Je veux dire par là que Shy nous fait un film enroulé sur lui-même tel un nem hollywoodindien. Un film retourné ? Comme on pourrait parler d’un "ourlet narratif" ? Oui, exact mon Capitaine !

Ce qui sauve ce film du côté fable de pacotille-philosophie de bazar style Heroïc Fantasy casse-bonbon et autres Harry Potter soupe à la grimace ésotérique, c’est qu’il ironise constamment sur lui-même. Ce qui est génial dans La Jeune fille de l’eau, c’est qu’on ne cherche pas d’office à nous rouler dans la farine, on éclaire les coulisses, l’envers du décor, on partage le déroulement de l’histoire que les acteurs/personnages semblent élaborer sous nos yeux. Shy nous montre bien qu’il a un rapport affectif au genre lui-même - le fantastique - mis à plat ici comme une sorte de vaste boîte à outils dont on découvre progressivement les potentialités : lire, par exemple, des messages codés sur des boîtes de corn flakes, etc. C’est un film qui annonce sa mécanique narrative d’entrée de je(u). Des jeux de rôle permanents. Glissements progressifs vers des rôles mouvants, instables. Chacun ayant du mal à trouver chaussure à son pied. Difficile de faire se croiser je et jeu...

C’est une fable qui démonte son mécanisme et tant mieux, ainsi l’on quittera facilement la philo de bazar qu’entraînent des Mondes de Narnia ou et autres Communautés de l’Anneau (régression infantile, quand tu nous tiens...) pour réfléchir avec cette Jeune Fille de l’eau sur les clichés et les codes mêmes du genre.

Les appellations « à la con » ( et rions ensemble des Scrunts et des Narfs car Shyamalan nous y autorise ) et les chemins initiatiques, via des parchemins de fortune et de légendes style Goonies asexués de 7 à 77 ans, nous permettent une déconstruction-reconstruction du genre. Oui, nombreux jeux de miroirs dans cette Jeune fille de l’eau qui, au final, ne prend pas l’eau... parce que Shy ne cache pas ce qu’il vend : du vent ! De la vraie soupe narrative ! De la mélasse ésotérique ! Des corn-flakes spielbergiens à peine frelatés ! Alors, Alice au Pays des Merveilles n’est pas très loin non plus, son héroïne s’appelle Story, elle va nous entraîner, via le style visuel imparable de notre chaman hollywoodindien, over the rainbow... Rappelons que nos Scrunts aux yeux rouges ne sont "captés" que grâce à l’image inversée que renvoie un miroir.

Shy, certainement, utilise la fable comme un Cocteau utilisait le phénomène poétique pour « surréaliser » le quotidien et faire en sorte, par un effet de bascule, que "l’art est un mensonge qui nous permet de saisir la vérité." Voilà, on y est. M.N. Shyamalan donne un grand coup de projecteur sur sa "nuit américaine" (l’artifice qui s’assume comme tel). C’est l’entourloupe du serpent à plumes qui se mord à satiété la queue, la boucle qui se boucle, les monstres sont à la limite de la foirade je-m’en-foutiste. Les singes végétaux sont à pisser de rire. Un côté cheap vraiment poilant ! Encore mieux que les boiseries bric-à-brac et autres oripeaux de chamois de bric et de broc style Arte Povera du Village, c’est d’un kitsch redoutable mais Shy, grand malin devant l’Eternel, l’assume pleinement.

En plus de ces grosses bébêtes vraiment au poil, il nous remet, en bonus, une couche de bizarrerie avec un culturiste mou du bulbe qui a un bras plus gros que l’autre, une sorte de crabe humanoïde abracadabrantesque, et attention si vous lui serrez la pince gauche, pardi ! Et ce taré (number one dans mon rapport affectif au film !) est le Gardien du Temple azimuté de cet immeuble carrément à l’ouest pas si éloigné du surréalisme d’un Rosemary’s Baby. Bon sang, il est maouss kosto ce body-buildé d’un seul bras avec son bout de gâteau collé aux lèvres. Là on se marre et ça fait du bien, la vache, par tartutic, euh... pardon, par Toutatis !

Rire aussi du fait que Shy se donne là-dedans un rôle de messie. Difficile de ne pas y voir autre chose que de l’ironie sur son propre statut de jeune cinéaste bankable mi-établi mi-indépendant (exit Disney !) ou alors Shy, s’il se voit vraiment comme ça, est d’un ego surdimensionné redoutable ! C’est encore un exemple, selon moi, de ce second degré manifeste qui ne cesse de désamorcer la « prétention » apparente du film.

Shy s’octroie carrément un rôle de prophète-chaman, c’est un autoportrait-clin d’oeil, une posture autobiofilmique ironique, il devient bientôt le guide d’une humanité fourvoyée, plongée en plein scepticisme : Shy et Bush même combat, quoi ! Et voilà, c’est de l’Héroïc Fantasy post-moderne qui se joue d’elle-même. Shy nous livre ici un film-fable retourné (le premier film-pizza calzone de l’histoire du cinéma !?) qui se dégonfle tel un soufflé dont on aurait trop vite appris la "petite cuisine" indigeste.

Shy ne tombe pas ici dans les pesanteurs prétentieuses d’un imaginaire codifié et prêt-à-penser poussif, il se permet peut-être, en dissident à Hollywoodland (c’est un entertainer non pas lambda mais auteuriste), avec cette Jeune fille de l’eau, de botter malicieusement en touche, de dire aux cinéphiles : «  non, non, je ne suis pas aussi naïf (simplet ?) que mon film peut en avoir l’air  ». La preuve : «  je ne cesse d’introduire des éléments dans mon film qui viennent contrarier la mécanique bien huilée des jeux de rôles du tout-venant fantastico-héroïc fantasy  ».

Les jeux de rôles des personnages, qui s’annoncent comme tels, sont aussi en mode freestyle. Par exemple, le personnage de critique de cinéma (l’homme à lunettes, Harry Farber) commente tel un commentateur sportif, en pleine entame de la partie ou plutôt de la surprise party, l’issue possible du film-gigogne. Mais il finit par se gourer. Et chose pour moi qui confirme véritablement que Shy s’amuse - sans être ainsi plombé par l’esprit de sérieux qui survient quand ceux qui font du cinéma de genre s’estiment supérieurs au genre lui-même, ce qui n’est pas son cas, ouf ! -, ce sont les procédures "affichées" de dévoilement continu de la narration et, bien évidemment, tous ses personnages allumés (la confrérie des babas cool du 13B, l’Asiatique sexy et sa mère fouettarde, le culturiste aux bras de crabe, le moche et bègue Cleveland Heep - irrésistible la scène burlesque quand le gardien d’immeuble boit du lait et joue le gosse qui se tortille sur un sofa, selon moi la meilleure scène du film ! ).

En fait, Shy, malin comme un singe... végétal, fait en sorte que celle-ci ne passe pas par des parchemins jaunissants, des cartes aux trésors en lambeaux, des lapins blancs à la David Copperfield, des labyrinthes à la Stephen King, des boîtes de Pandore et autres miroirs aux alouettes, non, cela passe par de simples mots croisés ou des emballages consuméristes, capitalistiques, de corn flakes. Bref, des trucs simplissimes , du genre « mythologie du quotidien », qui ne sont jamais dans ce genre-là, en règle générale, des tremplins narratifs pour l’imaginaire. Eh bien, ici, c’est le cas, preuve en est ce passage continu dans l’autre monde via des moyens de fortune, des produits dérivés estampillés "société marchande". Ainsi, Shy ne nous fait pas prendre des vessies pour des lanternes.

Shy n’est pas là pour "tolkiéniser" son cinéma, pour le fictionnaliser à outrance, au contraire il le « godardise ». Cet humour permanent qui « travaille » ce film réflexif sur le cinéma (de fiction) le sauve largement de son apparence boursouflée, au kitsch plus ou moins assumé. A mon sens, Shy réussit ainsi haut la main encore une fois avec cette Jeune Fille de l’eau à nous bluffer car il tombe au final toujours sur ses pattes : premier et deuxième degrés réunis. Joli tour de passe-passe tout de même. Il se fait ici plutôt théoricien de son cinéma comme certains peintres contemporains qui questionnent la peinture par le langage même de ce médium en la mettant à plat (le groupe Supports / Surfaces par exemple).

Sans en avoir l’air, son dernier film ne parle que d’une chose, à savoir du cinéma, c’est un film sur le cinéma (comme machine à rêves). Bref, une espèce de film retourné (sur lui-même), se regardant ad libitum le nombril, un film-miroir, voire maso, un film-nem ou encore le premier film-pizza calzone de l’histoire du cinéma. Bon appétit, donc !


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