La jonction Carré
Plus jeune, j’adorais les « JaBa », Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri. J’avais vraiment aimé « Cuisine et dépendances », sans parler de leurs différentes collaborations avec Alain Resnais, Klapisch, etc.
Je les trouvais marrants, modernes, et je trouvais leurs pièces et leurs films frais, légèrement impertinents, bref j’adhérais.
Par nostalgie, j’ai donc été voir « Cherchez Hortense » de Pascal Bonitzer. Comme ça, sans grande conviction, à la recherche d’une petite madeleine de Proust.
Même si le film est plaisant et non dénué d’un certain charme, il y a peu d’éclats à la Bacri qui m’avaient marqué jadis (tout juste une altercation avec des flics qui montrent tout le potentiel de cet acteur souvent cantonné à des rôles de bougons mal dégrossis). Ni plus, ni moins.
Puis, par hasard, la semaine dernière une amie me propose d’aller voir « Du vent dans mes mollets » (le film, parce que sinon regarder mes poils arrières danser au gré de la météo n’est pas une activité des plus passionnantes), dont j’avais déjà entendu parler.
Le film de Carine Tardieu est très bon par ailleurs. Il explore l’enfance d’une fillette de 7 ans qui s’ouvre à la vie grâce à une autre petite fille du même âge totalement délurée. Le film est extrêmement juste et d’une extrême sensibilité.
Cependant en sortant du ciné, un truc me titillait, sans que je sache trop quoi. J’ai réfléchi longuement à ce que j’avais mangé (avais-je un bout de pop-corn coincé dans la gorge ?), à mon planning de la journée (sieste, manger, sieste, ciné, non c’était pas ça non plus), à la semaine qui s’annonçait, à la fin du monde, au parti socialiste, à la guerre en Tchétchénie. Non rien de tout ça ne me troublait, la vérité se situait sur un autre plan.
J’ai cependant assez vite abandonné (la réflexion n’étant pas mon fort), acceptant mon sort d’irrité avec philosophie (« bon, je vais aller dormir moi »).
Et là, un truc bête m’a frappé. Isabelle Carré (c’est une image bien sûr, elle n’est pas bête et elle m’a encore moins frappé).
Je l’ai vue il y a quelques mois dans une pièce adaptée d’un bouquin de David Lodge que j’avais beaucoup apprécié (Pensées secrètes), et je l’avais trouvée lumineuse. Parfaite dans son rôle de femme qui plonge à fond, tête la première (le reste suivra), dans une aventure compliquée avec un chercheur en intelligence artificielle joué par Samuel Labarthe.
Dans « Cherchez Hortense », elle joue le rôle d’une sans papiers qui risque l’expulsion avec une grâce légèrement décalée. On retrouve ce petit côté déphasé dans « Du vent dans mes mollets », avec une Isabelle en mère célibataire qui va jouer l’étincelle ravivant les flammes du couples Podalydès (parfait lui aussi) – Jaoui (qui a pris dix kilos pour le rôle, ce qui la fait ressembler à un mammifère marin quelconque aigri par la vie), à la faveur d’une cuisine refaite.
Dans ces deux rôles, on la voit porter en elle une rupture, comme une blessure non cicatrisée qui lui donne ce petit côté décalé et vaguement instable, mais totalement fascinant. Comme une femme qui se bat contre un monde auquel elle n’appartient pas vraiment, mais qui y croit encore, toujours un peu sur la voie de l’expulsion (que ce soit pour de vrai, ou par solitude, parce qu’on l’a mise dans une case (la mère célibataire, danger potentiel pour toutes les femmes mariées)).
Isabelle Carré, c’est le type même de l’actrice vin rouge, qui se bonifie année après année, tandis que les autres blondes finissent botoxées ou Sharpei. Sa filmographie est impressionnante, ainsi que son activité au théâtre (http://fr.wikipedia.org/wiki/Isabelle_Carr%C3%A9 ).
Grâce à elle, j’ai l’impression d’avoir un peu retrouvé le « JaBa » de mes jeunes années, et il n’a rien d’un crapaud. Elle a fait comme une jonction entre les deux films, une jonction logique et fluide. Un truc carré.
A-t-elle un défaut finalement ?
Mon collègue me dit qu’elle a les dents un peu jaunes.
Super.
Il faut croire que personne n’est parfait.
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