La littérature engagée
L’engagement a été toujours l’apanage de la littérature, l’écrivain s’en sert pour traduire ses prises de position touchant les débats qui marquent son époque. C’est également un truchement efficace pour militer contre toute forme de cœrcition, aboutir à l’émancipation, ou résister à l’institutionnalisation. Dès lors ; « l’engagement de l’écriture repose sur une conception transitive du langage, qui favorise une communication directe et claire entre l’auteur, le texte, les personnages et le lecteur. L’engagement de l’œuvre dans l’actualité historique et celui de l’auteur dans la réalité sociopolitique de son temps doivent coïncider ». (Marie Bornard, Témoignage et fiction, Genève, Droz, 2004, p.22). Ce faisant, suite aux événements survenus pendant les deux guerres mondiales, la redéfinition de la littérature ainsi que ses fonctions s’avère une nécessité. En réponse à cette exigence, une pléthore de thèses se propose d’obvier à cette problématique.
En 1948, Jean-Paul Sartre élabore Qu’est-ce que la littérature ; le manifeste d’une littérature engagée, où l’écrivain est muni d’un devoir « moral » envers sa société d’appartenance, et les débats de son temps. La perspective sartrienne de l’engagement s’étaie sur le leitmotiv de la responsabilité. Ainsi, dès qu’il accomplit un acte physique ou moral, le littérateur ne peut point retourner en arrière, et doit assumer son choix jusqu’au bout, parce qu’un lettré qui faillit à sa responsabilité est un être non récupérable, condamné à une non-existence, « l’écrivain a choisi de dévoiler le monde, et singulièrement, l’homme aux autres hommes pour que ceux-ci prennent en face de l’objet, ainsi, mis à nu leur entière responsabilité. » (Jean-Paul Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?, Paris, Gallimard, 1948, p.31.). Sartre pose la pierre inaugurale d’une poétique de l’engagement, émanant d’une conscience partagée par tous les partenaires de l’œuvre littéraire, et mettant en exergue la responsabilité de l’intelligentsia qui en découle.
Pour Roland Barthes, l’acte d’écrire est nanti d’une fonction sociale ; toute littérature qui s’éloigne de la vie, et de l’histoire des hommes sera en proie à la gratuité, car l’acte scripturaire est un gage d’allocentrisme, où « Langue et style sont des objets ; l’écriture est une fonction : elle est le rapport entre la création et la société, elle est le langage littéraire transformé par sa destination sociale, elle est la forme saisie dans son intention humaine et liée aux grandes crises de l’histoire. » (Roland Barthes, Le Degré zéro de l’écriture, Paris, Seuil, 1972, p. 14). Il en sort que Roland Barthes bannit toute « écriture blanche », spécieuse, sinon captieuse.
Quant à Georges Perec, il admet l’existence d’une crise morale, occasionnée par les événements de la Seconde Guerre mondiale. Une telle conjoncture exige de passer en revue la finalité de l’acte littéraire. En revanche, il se montre réticent face aux thèses soutenues par Sartre, Barthes et Alain Robbe-Grillet, parce qu’un tel paradigme de l’engagement est creux, et la crise morale dont il est question a été rendue « particulièrement sensible par l’échec à peu près inévitable, de ce que l’on appelle ‘’la littérature engagée’’, à quelques rares exceptions prés, aucune œuvre ne parvient à dépasser les structures conventionnelles qui la régissaient (…). L’engagement se situait au niveau des bons sentiments, et par son schématisme arbitraire n’avait aucune prise sur le concret ». (Georges PEREC, Le Nouveau Roman et le refus du réel, Paris, L.G, 1962, pp.27-28).
L’artisan de W ou le souvenir d’enfance stipule que la littérature engagée n’ambitionne point d’éveiller une nouvelle sensibilité chez le récepteur comme l’affirme le ténor du Nouveau Roman, car « ce décrassage de notre sensibilité (…) s’accompagne chez Robbe-Grillet d’un tour de passe-passe qui laisse apparaître les véritables fondements de sa tentative. (…). Le monde n’est que ce que l’on voit. Il n’a pas de profondeur. Il est impénétrable, si je lui enlève les significations qu’on lui a surajoutées, c’est que finalement, on ne peut lui en donner aucune. Car le monde ne signifie rien. » (Georges Perec, Engagement ou crise du langage, Paris, seuil, 1985. p.83).
Le littérateur engagé est celui chez qui le passage à l’acte prime sur les spéculations chimériques. A titre d’exemple, L’Espèce humaine de Robert Anteleme est une œuvre engagée puisqu’il y est action entretenue, au lieu d’ergoter sur ce qui est engagé de ce qui ne l’est pas. L’Espèce humaine incarne « une littérature (…) qui sans tomber dans les pièges du vérisme ou du naturalisme, sache dire la complexité ou les ambiguïtés de la réalité sociale. » (Claude Burgelin, préface à L.G, Une aventure des années soixante, Paris, seuil, 1992, p.13).
Pour Ernesto Sabato, l’engagement littéraire consiste à aiguiser la sensibilité des hommes pour qu’ils puissent voir clair, pour qu’ils puissent se confronter à leurs manquements, sans se réfugier dans des forteresses, bâties sur des mirages, voire des illusions. La littérature engagée est celle supposée éclaircir le chemin de l’homme, à ce stade, « personne ne dort sur le chemin conduisant de la prison à l’échafaud, et que pourtant, nous dormons tous de l’utérus à la tombe ; ou que dans le meilleur cas, nous ne sommes pas entièrement réveillés. Une des missions de la grande littérature : réveiller l’homme qui voyage vers l’échafaud. » (Ernesto Sabato, L’Écrivain et la catastrophe, Paris, Seuil, trad. Claude Couffon, 1986, p.83).
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