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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > La mort annoncée de l’édition ?

La mort annoncée de l’édition ?

Attention, moment historique. Vous vous apprêtez à lire un article dont la dimension prophétique ne cessera de croître au fil des années. Bientôt, lorsque le peu de cheveux qui vous reste auront définitivement désertés votre crâne, vous vous souviendrez que tout a commencé ici. Et de votre voix chevrotante vous déclarerez alors fièrement à vos petits enfants béats d’admiration : « J’y étais ! »

Jason Epstein... Ce nom ne dit sans doute rien à personne pour le moment, mais l’invention du brave homme qui se cache derrière cet anodin patronyme risque de provoquer bientôt une véritable révolution dans le monde de l’édition. Un peu comme Gutenberg , toute proportion gardée, bien sûr. Mais quelle serait donc la machine infernale capable d’un tel bouleversement ? Eh bien, j’ai un peu honte de l’avouer, mais il s’agit d’une imprimante.

Mais attention ! Un modèle bien particulier, capable de vous pondre un pavé de 500 pages broché avec couverture quadri en quelques minutes seulement, le tout pour une somme dérisoire en regard des prix prohibitifs habituellement constatés chez les imprimeurs escrocs qui sévissent sur internet et ailleurs. Soudain, des perspectives inconnues s’ouvrent à vous, n’est-il pas ? Pour être tout à fait précis, il en existe deux, selon que vous êtes un honnête auteur en devenir à l’ego systématiquement bafoué par les maisons d’édition classique, ou bien un malfaisant prêt à bondir sur toutes les opportunités dès lors qu’elle vous procurent un peu de liquidité à moindre frais (cela dit, les deux ne sont pas incompatibles).

Si vous appartenez à la première catégorie, l’intérêt d’une telle invention vous saute évidemment au yeux : devenir votre propre éditeur, sans passer par un comité de lecture (corrompu comme chacun le sait) ni aucun intermédiaire prompt à vous pomper un maximum de pognon en profitant de votre crédulité. Fini les stocks acheté à prix d’or qui encombrent les couloirs de votre appartement, maintenant le livre sera fabriqué à l’unité, et vendu directement du producteur au consommateur, comme les fruits et légumes sur le bord des routes ! Comme chez lulu.com , avec cependant un contrôle de la qualité plus rigoureux, pas de délais d’attente ni de ponction effectuée sur la marge des bénéfices.

Maintenant, si vous faites partie de la catégorie des malhonnêtes sans scrupules, vous avez sans doute, vous aussi, votre petite idée... Combien coûte un best-seller - (vous savez, ces trucs que les gens s’arrachent pour la simple raison que les gens se les arrachent) acheté en librairie ? Une bonne vingtaine d’euros. Et si, grâce à la machine de notre ami Jason, vous étiez en mesure de le proposer à des acheteurs sans scrupules pour la moitié de son prix, dans une édition ressemblant étrangement à l’originale... Evidemment, vous rejetez violemment cette éventualité car si vous lisez cet article, c’est que vous êtes foncièrement honnête, loyal et droit. Mais tout le monde n’affiche pas, loin s’en faut, votre probité sans faille...

Dès lors, le processus est engagé et le déroulé de l’histoire pas bien difficile à imaginer :
Première phase : les petits requins qui ont accès à l’imprimante magique raflent la mise, mais leur victoire est de courte durée, car...
Deuxième phase : l’imprimante de Jason se démocratise à grande vitesse en diminuant et sa taille et son prix d’achat (il est vrai que pour l’instant, elle coûte très cher et ne pèse pas moins de 700 kg...). Résultat : de plus en plus de monde peut se l’offrir.
Phase finale : tous les livres, nouveautés ou pas, se retrouvent sur le net où chacun peut les télécharger illégalement, et les imprimer chez lui avec une qualité quasi professionnelle.
Cela vous rappelle sans doute quelque chose ? C’est normal.

Les éditeurs, jusqu’à présent épargnés, risquent en effet de se retrouver confrontés aux même problèmes de piratage que leurs confrères de l’industrie du disque. Et il est fort à parier qu’ils proposeront les mêmes solutions : lutte (inefficace) contre les pirates, téléchargement payants, etc.
Pourquoi tout cela va inéluctablement arriver ?

En vertu de ce que j’appellerai "le syndrome du moulin à café" : tout produit commercial est tôt ou tard rendu caduque par un produit qui annule tout simplement sa raison d’exister. Quel rapport avec cet ustensile rustique ? J’y viens. Jusque dans les années 60, les grandes marques d’électroménager fabriquaient des moulins à café, car le café était vendu en grain, et tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais un jour, un visionnaire à la solde de Jacques Vabre ou tout autre fabriquant de café a décidé de le vendre "déjà" moulu : l’arrêt de mort des moulins venait d’être signé.
Le même phénomène s’est récemment produit pour le disque : le consommateur ne voit plus l’utilité d’acheter ces disgracieuses rondelles de plastique dans la mesure où la musique peut se trouver ailleurs, et gratuitement de surcroît (ce qui, notez bien, n’a jamais été le cas du café).
Il est à parier que le livre n’échappera pas à la terrible malédiction du moulin, avec les conséquences dramatiques que l’on devine : les éditeurs ne servant plus à rien licencieront à tour de bras et finiront par disparaître comme les dinosaures en leur temps... Parallèlement, les droits d’auteurs se réduiront à l’état d’une peau de chagrin, et Marc Lévy sera contraint de vivre dans un deux-pièces à Nanterre... Et alors que les musiciens sauvent actuellement les meubles grâce aux revenus que leur assurent les concerts, les écrivains n’auront pas d’autre recours pour subvenir que de se livrer à d’infamantes lectures publiques dans les MJC de banlieue. Imaginez le drame pour un Philippe Sollers, par exemple, qui n’a jamais pris le RER de sa vie.
Alors, combien de temps avant que l’apocalypse technologique ne ravage nos verts pâturages littéraires ? Les paris sont ouverts.



Jason Epstein : Marc Lévy ne lui dit pas merci

Sources : http://www.archicampus.net/wordpress/?p=75


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14 réactions à cet article    


  • La mouche du coche La mouche du coche 17 août 2007 10:52

    La mort annoncée de l’édition. Quelle bonne nouvelle ! Paix à leurs âmes. Le métier d’éditeur est au-dessus des C.R.S. mais pas beaucoup plus haut. Nous ne regrettons pas cette racaille. Vive internet de nous avoir débarrasser de cette caste de voyous ayant rapté le terme « littératue » ! smiley


    • La mouche du coche La mouche du coche 17 août 2007 11:26

      « littératuRe »


    • Iceman75 Iceman75 17 août 2007 11:28

      Si l"interet pour M. tout le monde d’avoir un tel produit chez soi me laisse pantois pour l’instant (même si elle a la taille d’une imprimante actuelle laser de bureau), de plus en plus d’oeuvres sont scannées et passées à la moulinette des reconnaissance de caractère. Vendre des livres en PDF ? certainement pas malheureux car les vérous sauteront aussitôt. L’avenir de l’édition passera t il par des plus produits comme des couvertures plus attrayantes que nos horribles couvertures blanches françaises à l’image de ce qui se pratique ailleurs. En plus ça donnera du boulot aux illustrateurs, aux peintres, au Demian West (pas plus d’une citation par jour), .... Même si je ne crois qu’à moitié à cet avenir, il est vrai que les entreprises auront ces machines pour relier les rapports, compte rendus, etc...


      • Vilain petit canard Vilain petit canard 17 août 2007 12:07

        Passionnant. Le lien que vous donnez en fin d’article ne marche pas. Pouvez-vous donner une référence, ou tout au moins où obtenir la description de cet Objet Magique ?


        • Aloysius Chabossot Chabossot 17 août 2007 12:21

          Je remets le lien : http://www.archicampus.net/wordpress/?p=75 Maintenant s’il ne fonctionne pas, il suffit de taper « espresso » (nom de la machine) et Epstein dans un moteur de recherche pour tomber dessus. Aux dernière nouvelles, la machine vaudrait 37 000 euros (un peu cher pour le particulier, pour l’instant...) mais il n’y pas de photo de la chose disponible sur le net (à ma connaissance).


        • Vilain petit canard Vilain petit canard 17 août 2007 13:53

          Merci, j’y vais tout de suite. C’est vrai que c’est encore un peu cher, mais des versions miniatures vont certainement suivre.... Les premières imprimantes laser coûtaient une fortune, au début...



        • ernst 17 août 2007 16:30

          La fin des éditeurs ?...Possible et peu catastrophique. Les éditeurs d’aujourd’hui, à une exception près n’ont aucun talent. On s’en passera donc sans émotion.

          Mais est-ce pour autant la fin de la littérature ?...Sûrement pas. C’en est peut-etre le début d’un genre littéraire. Je m’explique.

          Lorsque l’édition des oeuvres pipoles ne rapportera plus assez - « mémoires d’une pute », « mes années de taule », « violée par mon père, mon oncle et un voisin »« les stars et la débauche »,« ma chatte et moi » etc...-lorsque tout un chacun pourra à peu de frais se procurer ces croustillants libelles, au prix qu’ils valent finalement, je reste persuadé que l’on se tournera pour de vrai vers la littérature. Proust, Mallarmé, Char, d’Orléans, Flaubert, Poe,etc...

          Non seulement pour les amateurs, mais pour les snobs. Le livre, l’objet livre, au contraire de l’onde musicale volatile, restera, bien porté sur un banc public par exemple, un des seuls témoin, avec les chaussures peut-être, à montrer visiblement et publiquement votre culture et votre bon goût.

          Ce qui n’a pas de prix.

          Cela dit, je m’étonne dans un sujet aussi littéraire que le jeune Chabossot soit à ce point pléonasmique en étant à la fois émérite et à la retraite


          • Aloysius Chabossot Chabossot 17 août 2007 16:36

            Vous avez absolument raison ! Mais où avais-je la tête ? (je pense que je vais rectifier...)


          • Théophile Kouamouo Théophile Kouamouo 17 août 2007 20:47

            Quand est-ce que la machine d’Epstein sera sur le marché ? Quelqu’un a-t-il une idée ?


            • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 18 août 2007 05:17

              Une autre approche, pour protéger les droits d’auteur :

              http://nouvellesociete.org/703.html

              Pierre JC Allard


              • SALOMON2345 20 août 2007 13:59

                DROITS D’AUTEUR, LIBERTE ET GRATUITE

                Concernant la liberté de l’internaute, deux points de vue souvent évoqués me gênent : le premier qui consiste justifier la gratuité permise par la technologie (web + numérique), et le deuxième par la confusion entretenue entre le marchand (l’éditeur) et le créateur (artiste ou écrivain). - le premier point qui, par son raisonnement « spécial », revient à admettre que ma porte puisqu’elle est sans verrou et entrebaillée à le droit d’être ouverte par tout passant. Puisqu’aucun obstacle matériel ne l’en empêche chacun peut pénétrer chez moi ! Confusion entre le « pouvoir » d’entrer et le « droit » d’entrer, ce que le web permet par sa technique. Pour justifier cette démonstration spécieuse, on ajoute, pour se défausser, que les producteurs et les majors sont très riches (ce qui est vrai) mais quid de l’Artiste ? En résumé : puisque c’est « atteignable », j’y ai droit, comme au jardin d’Eden, je cueille... - le second point - encore par tatonnement de la raison - et pour punir le marchand, on bouscule l’éditeur (même si certains sont peu respectables) mais on « écrase » le créateur ! Jusqu’à ce jour, celui-ci n’a hélas pas encore trouvé encore d’autre véhicule fiable, lui permettant de conjuguer vie et creation, payer le gaz et rêver de futurs chefs d’œuvre ! Je crains que, saliver pour ces « progrès », ne conduisent à terme qu’à des déconvenues car ces machines ne reproduiront que des ouvrages déjà édités....jusqu’à extinction complet du stock disponible, faute d’auteurs nouveaux. Qu’en sera t-il alors de la création littéraire ou artistique ? La question dépasse, on le voit, la simple forme évoquée du produit : « un simple petit rond de plastique », garni de notes musicales ou plein de lettres en Times ou Garamond ! Après Dumas I et Dumas II, qui paiera la nourriture d’un Dumas III ? S’il est vrai que par analogie dans la pensée on peut dépasser l’arithmétique en usant de l’absurde autorisé par l’algèbre, la raison interdit cependant ce genre de grand écart... me semble t-il.


                • Philippe Vassé Philippe Vassé 22 août 2007 13:33

                  Cher Chabossot,

                  Voilà un article qui pose et transpose sans inutile pause de bien bonnes questions sur l’avenir de l’édition.

                  Mais, je me dois, avec un profond respect envers votre travail que j’ai bien aimé, attirer votre vénérable et bienveillante attention sur le fait que ce Monsieur Jason Epstein n’est pas le seul subversif inventif à mettre en cause pour ce type d’objet aux usages subversifs multiples potentiels (culture, poésie, arts, BD, et j’en passe).

                  On m’a montré récemment, de passage chez Fuji à Tokyo (Japon) un appareil encore plus diaboliquement et technologiquement subversif et inventif que celui que vous citez et qui serait bientôt, selon les hauts dirigeants de la société, bientôt diffusé sur le marché mondial, le tout à un prix inférieur à celui de la machine de l’inventeur que vous avez nommé.

                  J’en suis tout retourné comme vous imaginez.

                  Tout cela commence à ressembler, selon les avis, soit à un complot occulte mondial contre le monde de l’édition (thèse conspirationniste bien connue et parfois bienvenue pour certains employeurs du secteur), soit à des progrès techniques permanents (selon les ingénieurs spécialistes de ce type d’appareils).

                  Sous toutes réserves, étant fâché depuis tout jeune avec les mathématiques, il semblerait que le modèle Fuji qui va sortir incessamment (soumis pour l’heure à un secret rigoureux de fabrication), avec des nouveautés techniques en plus, coûterait à tout terrien européen, honnête ou non, la somme de 3000 euros.

                  Ce chiffre très approximatif est tiré d’un calcul très criticable, je l’avoue, entre les parités respectives du yen et de l’euro. Mais l’ordre de grandeur y est.

                  Bien humoristiquement et cordialement vôtre,


                • OPUS 22 août 2007 13:43

                  Sollers ne prend pas le rer mais ne sait pas non plus écrire de romans convenables, publie de mauvais écrivains et préfère se taper les jeunes écrivains en mal de célbrité !

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