« La Mort de Danton » à La Comédie Française - De La Révolution à La République via l’échafaud
S’il s’agissait d’une fable ou d’un conte moral, la pièce de Georg Büchner aurait la vertu intellectuelle d’une prise de distance germanique d’avec la révolution française renforcée du parti-pris rétroactif de Simon Delétang de la maintenir dans son époque sous l’apanage des points de vue subjectifs de ses meneurs.
Si, de surcroît, ce double mouvement de perception, diamétralement inverse, se focalisait sur les deux têtes d’affiche à la fois sur la scène de la Comédie Française mais surtout au cœur de cet évènement sociopolitique majeur de dimension mondiale, un duel dialectique pourrait s’y inscrire en tant que modèle pédagogique ayant suscité des comportements à proscrire mais ayant néanmoins abouti, via la déclaration universelle des droits de l’homme, à l’instauration de la République Française parvenue jusqu’à aujourd’hui sous la cinquième du nom.
Si donc Danton & Robespierre, ces deux amis ayant initialement milité pour la conquête d’une organisation humaine idéale auront, eux, finalement sombré tour à tour sous le boomerang de forces antagonistes qu’ils avaient contribué à susciter, c’est néanmoins à l’issue de cette décade révolutionnaire violente et sanguinaire qu’aurait été initiée la maïeutique de cette première République.
Sur les planches de la Salle Richelieu, voici Loïc Corbery & Clément Hervieu-Léger choisis notamment par le metteur en scène parce qu’ils sont amis au-delà de leur activité artistique mais « sans bien sûr leur vouloir du mal » (Sic DP) qui, plus ou moins à contre-emploi de leurs physionomies, viennent se coltiner avec les figures des deux héros notoires ayant mis fin, de facto, à l’ancien régime monarchique.
L’un étant guidé par sa volonté de rester coûte que coûte bon vivant, l’autre étant épris d’un radicalisme jusqu’au-boutiste, alors même qu’aurait pu être écrit que leur amitié ne survivrait point à tant d’ambitions et de haines déclenchées en interne & autour d’eux.
Dans le cadre magistral d’un décor unique mais évolutif, la troupe du Français va se scinder en deux factions rivales de toute évidence point complètement étanches… puisque certains comédiens joueront plusieurs rôles au sein des deux groupes… comme pour signifier que la destinée pourrait être volontiers aléatoire, voire farceuse ou cynique.
Ainsi nous retrouverons au casting de ces journées précédant les conflits, procès, condamnation et exécution de Danton, plusieurs membres du Comité du Salut Public (Saint-Just, Barrère, Robespierre, Collot d’Herbois, Billaud Varennes…), des députés (Legendre, Lacroix, Camille Desmoulins, Hérault-Séchelles, Philippeau, Fouquier-Tinville…), des citoyen(ne)s, des grisettes ainsi qu’un accusateur public, un geôlier, un bourreau… et d'autres.
Julie Sicard, Anna Cervinka, respectivement femmes de Danton & Camille Desmoulins ainsi que Marina Hands grisette, ont l’immense tâche émotionnelle de rééquilibrer le déficit féminin de cette épopée pour laquelle la direction d’acteurs précise qu’il n’y a, en l’occurrence, pas de petits rôles.
Ce n’est d’ailleurs pas Guillaume Galienne qui affirmerait le contraire lui qui, en charge du discours de Saint-Just face à La Convention nationale, va en effet accuser de conjuration les ennemis de La République avec conviction et détermination.
Si Loïc Corbery et Clément Hervieu-Léger auront, eux, l’opportunité ponctuelle d’une rencontre au sommet en tête-à-tête, nous assisterons, au cours de la représentation, davantage à un chassé-croisé où se succèderont tour à tour sur scène une suite de conciliabules stratégiques ou de concertations spéculatives dans chacun des deux camps opposés d’où il ressortira que, les tensions s’exacerbant, aucun compromis ne pourrait advenir.
C’est bel et bien cette impasse existentielle que Simon Delétang nous donne à considérer comme fait acquis d’une telle entreprise de destruction massive dont il s’avérerait que plus personne ne tienne les gouvernes jusqu’à la décapitation de tous ses protagonistes.
Tel un leitmotiv incantatoire venu d’ailleurs,
voici alors que se déclame en psalmodie lancinante :
« La Révolution est le masque de la mort !
La mort est le masque de La Révolution !… »
C’est ainsi que La Guillotine érigée sur la scène de Richelieu tel un phallus triomphant se rendra disponible pour fonctionner à plein « Régime »… en attendant effectivement que « l’Ancien » puisse faire place, à juste titre, au « Nouveau ».
photos 1 à 4 © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française
photos 5 à 8 © Theothea.com
LA MORT DE DANTON - ***. Theothea.com - de Georg Büchner - mise en scène Simon Delétang - avec Guillaume Gallienne, Christian Gonon, Julie Sicard, Loïc Corbery, Nicolas Lormeau, Clément Hervieu-Léger, Anna Cervinka, Julien Frison, Gaël Kamilindi, Jean Chevalier, Marina Hands & Nicolas Chupin ainsi que les comédiennes et les comédiens de l’académie de la Comédie-Française Sanda Bourenane, Vincent Breton, Olivier Debbasch, Yasmine Haller, Ipek Kinay & Alexandre Manbon - Comédie Française / Salle Richelieu
2 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON