La Nature dans la musique classique
La prochaine édition de la Folle Journée de Nantes aura pour thème, au cœur de l’hiver 2016, « la Nature ». Quelles œuvres pourront figurer au programme ? Il est évidemment beaucoup trop tôt pour le savoir. Mais le choix est large comme le montre ce florilège...
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Au bon vieux temps de la musique baroque, la Nature est régulièrement une source d’inspiration musicale, et donne lieu à de nombreuses – et parfois spectaculaires - incursions pastorales ou orageuses dans les œuvres de Jean-Baptiste Lully, François Couperin ou Jean-Philippe Rameau, pour ne citer que ces trois noms. Ce dernier décrit même un tremblement de terre dans Les Indes galantes ! Jean-Féry Rebel ira encore plus loin en composant (en 1737) une œuvre entièrement dédiée à la Création : Les éléments. Difficile toutefois de retrouver la Terre, le Feu, l’Air et l’Eau dans cette succession de loure, chaconne, ramage ou tambourins censés les décrire.
Infiniment plus descriptives sont Le Quattro Stagioni (les Quatre saisons) d’Antonio Vivaldi. On touche avec cette célébrissime partition, probablement composée vers 1720, au chef d’œuvre absolu, tant ces quatre concertos extraits de l’opus 8 « Il cimento dell'armonia e dell'invenzione » sont merveilleusement écrits et décrivent si parfaitement le déroulement des douze mois de l’année, des frimas de l’hiver aux chatoiements de l’automne en passant par la gaieté printanière et les langueurs estivales.
La Nature est également présente dans d’autres partitions du « Prete rosso », et notamment dans un concerto pour flûte intitulé Il gardellino, où le séduisant chant du chardonneret est omniprésent, et dans un concerto pour violon intitulé La tempesta di mare, où l’auditeur doit néanmoins faire un effort pour être ballotté par cette tempête en mer.
Nettement plus évocatrice est La tempête extraite du drame mythologique Alcyone de Marin Marais. Quant au naufrage du navire de Prospero dans le semi-opéra The Tempest, composé par Henry Purcell d’après la tragicomédie de William Shakespeare, difficile de le visualiser à l’écoute de cette œuvre.
Guère d’incursions descriptives de la Nature dans les partitions de Wolfgang Amadeus Mozart. C’est néanmoins avec beaucoup de plaisir que l’on s’installe chaudement vêtu pour effectuer, au son des grelots, la célèbre Promenade en traîneau extraite des trois joyeuses danses allemandes de février 1791, année de la mort du compositeur.
Incontestablement plus profonde est la contribution de Joseph Haydn à la Nature avec son oratorio monumental Die Jahreszeiten (Les saisons). Composée en 1801, à la fin de la vie du génial musicien, cette œuvre est un pur chef d’œuvre qui se présente sous la forme inhabituelle de quatre cantates inspirées par des textes poétiques de l’Écossais James Thomson. Malgré son thème, cet oratorio ne comporte pas de scènes pittoresques, Haydn ayant refusé de céder à la tentation de la musique descriptive, si prisée durant la période baroque. Le caractère mystique de cette œuvre est évident, mais on peut également découvrir dans le symbolisme musical des Saisons une métaphore de la vie humaine.
Encore plus ambitieuse : la Symphonie pastorale du génial Ludwig van Beethoven, sous-titrée par le compositeur « Souvenirs de la vie champêtre ». Inspirée par l’environnement d’Heiligenstadt où le compositeur aimait se promener mais aussi méditer entre prés et bois, cette œuvre de 1808 atteint son apogée pastorale avec la célèbre « scène au ruisseau » (2e mouvement) où l’on entend, chantant près du cours d’eau à la fin de l’andante, la flûte-rossignol, la caille-hautbois et le coucou-clarinette. Plus loin (4e mouvement), c’est le grondement de l’orage qui survient avant que la campagne ne retrouve sa sérénité. Avec ce célèbre opus, on est dans la « symphonie descriptive », telle qu’elle a été initiée en 1784 par Justin Heinrich Knecht dans une œuvre intitulée Le portrait musical de la Nature. Un compositeur et une symphonie injustement tombés dans l’oubli.
C’est un vers tiré d’un texte poétique qui aurait inspiré en 1841 à Robert Schumann sa symphonie Le Printemps. « Je voudrais suggérer comment tout se met à verdir, comment le papillon prend son envol, comment le printemps s’organise peu à peu » déclare alors le compositeur. A-t-il atteint cet objectif en écrivant cette 1ère symphonie ? Malgré les qualités musicales de cet opus, on peut en douter. Et il en va de même pour la symphonie rhénane, la 3e du compositeur, et peut-être la plus réussie : entièrement centrée sur le fleuve auquel les Allemands vouent un respect filial, au point de le nommer « Vater Rhein » (Père Rhin), cette œuvre de 1851 est la plus jouée des œuvres symphoniques de Schumann, mais c’est plus le Rhin des légendes populaires que le Rhin des paysages naturels qu’elle décrit.
Un autre majestueux cours d’eau, affluent de l’Elbe, a été célébré en musique : La Moldau. C’est au compositeur bohémien Bedřich Smetana que l’on doit ce superbe poème symphonique de 1874, 2e volet d’une suite en six parties constituant le cycle Má Vlast (Ma patrie). Le 4e volet, Par les bois et les prés de Bohême, est lui aussi principalement centré sur la Nature, les autres poèmes du cycle, à caractère épique, exaltant le courage des guerriers hussites et la grandeur du peuple bohémien.
Deux ans plus tard, en 1876, Piotr Ilitich Tchaïkovski publiait Les Saisons, un recueil de 12 pièces pour piano seul, chacune évoquant, en forme de métaphore pianistique, un mois de l’année : Janvier, au coin du feu ; Février, le carnaval ; Mars, le chant de l’alouette ; Avril, le perce-neige ; Mai, les nuits de printemps ; Juin, la barcarolle ; Juillet, le chant du faucheur ; Août, la moisson ; Septembre, la chasse ; Octobre, le chant d’automne ; Novembre, la troïka ; Décembre, Noël.
Peu avant, Tchaïkovski avait composé une fantaisie symphonique intitulée La tempête. Inspirée par le drame de Shakespeare, cette œuvre décrit avec beaucoup de force la montée de la houle puis la mer déchaînée par le Mage Prospero.
Composée par Modeste Moussorgski, Une nuit sur le mont chauve existe en plusieurs versions. La plus jouée est néanmoins celle qui a été orchestrée en 1886 par son ami Nikolaï Rimski-Korsakov. Si Nature il y a dans cette œuvre inspirée d’un poème de Gogol, elle est incontestablement satanique, les voix démoniaques précédant le surgissement d’un Dieu Noir, prélude à un endiablé sabbat des sorcières ; les cloches d’une église y mettent fin en faisant disparaître le Dieu Noir puis les créatures démoniaques ; le Mont Chauve retrouve sa quiétude.
Incontournable dans un tel florilège, le Carnaval des animaux composé par Camille Saint-Saëns en 1886 n’était à ses yeux qu’une « fantaisie zoologique » destinée à amuser les amis. Et de fait, si cette œuvre a été jouée en privé pour ne pas nuire à la réputation sérieuse du compositeur, il a fallu attendre 1922 pour qu’elle soit enfin exécutée en public. Difficile de faire plus descriptif que cette partition originale où l’on entend successivement le roi lion, des poules et des coqs, des hémiones (chevaux), des tortues, un éléphant, des kangourous, des poissons dans un aquarium, un âne, un coucou, des oiseaux dans une volière, un mammifère pianiste, des animaux fossiles (sur un tempo qualifié d’« allegro ridicolo »), puis un cygne avant la fraternisation finale.
La Nature réduisant l’Homme a l’état de squelette, quoi de plus... naturel qu’évoquer ici la très fameuse Danse macabre composée par ce même Saint-Saëns quelques années plus tôt ? Sitôt sonnés les 12 coups de minuit, la Mort survient. À l’appel de son violon, les squelettes des défunts sortent de leurs sépultures et se livrent à une farandole qui ne prend fin qu’au chant du coq, lorsque commence à poindre l’aurore.
L’œuvre de Claude Debussy est émaillée de références à la Nature, à commencer par la très célèbre suite de trois esquisses symphoniques intitulée La mer dont la partition originale (1905) montrait une estampe de l’artiste japonais Hokusaï intitulée « Le creux de la vague ». Avec ses trois volets intitulés De l’aube à midi sur la mer, Le jeu des vagues, Le dialogue du vent et de la mer, Debussy annonce clairement ce qu’il a voulu mettre en musique. Le résultat est-il à la hauteur de l’ambition ? À chacun de se faire son opinion. On retrouve cette inspiration colorée à la manière impressionniste dans les 2e et 3e mouvements d’Images : Iberia, ou la description d’une Espagne fantasmée avec ses chemins, ses parfums et ses fêtes, et Rondes de printemps, où l’on retrouve la comptine « Nous n’irons plus au bois ».
Contrairement à ce qui a pu être affirmé ici ou là, Richard Strauss, l’auteur de Eine Alpensinfonie (Une symphonie alpestre), n’avait pas une approche philosophique de la Nature : il prenait simplement un immense plaisir à la contempler. Et c’est le regard émerveillé qu’il lui portait que le compositeur s’est efforcé de transcrire dans cette symphonie de 1915 ayant pour cadre les paysages alpestres. Constituée d’un seul jet, cette œuvre enchaîne 22 parties allant de la nuit qui précède l’aurore jusqu’au crépuscule menant au retour de la nuit dans les dernières mesures. Entretemps, l’orchestre offre une randonnée musicale, ici dans la forêt, là près d’une cascade, ailleurs dans les pâturages, non sans se hisser vers les cimes et les glaciers avant l’arrivée du brouillard puis de l’orage. Ne manque finalement à cette symphonie que la longue plainte d’un Alpenhorn (Cor des Alpes)*. Ce qui différencie Strauss de Léopold Mozart, le père de Wolfgang, dont la Sinfonia pastorella avait précisément été écrite pour cor des Alpes et orchestre à cordes.
Si Gustav Holst est peu connu du grand public, il est toutefois une œuvre qui bénéficie, à juste titre, d’une large notoriété : Les planètes. Composée durant la Première guerre mondiale et créée en 1918 à Londres, cette suite de 7 poèmes symphoniques décrit chacune des planètes du système solaire (à l’exception de la Terre) en donnant à chacune, grâce notamment à la richesse de l’instrumentation, une coloration particulière en rapport avec les thèmes astrologiques : Mars, celui qui apporte la guerre ; Vénus, celle qui apporte la paix ; Mercure, le messager ailé ; Jupiter, celui qui apporte la gaieté ; Saturne, celui qui apporte la vieillesse ; Uranus, le magicien ; Neptune, le mystique. Tantôt sombre, élégiaque, énergique, apaisée, cette suite est sans aucun doute la plus prisée des œuvres du compositeur britannique.
On doit de nombreuses œuvres de qualité à Ottorino Respighi. Mais c’est incontestablement son très populaire poème symphonique de 1922 Pini di Roma (Les pins de Rome) qui a consacré sa notoriété. L’œuvre est constituée de promenades dans les pinèdes qui nous amènent successivement dans les jardins de la Villa Borghese, aux abords des catacombes, sur les hauteurs du Janicule (où résonne le chant d’un rossignol enregistré sur phonographe), et pour finir sur la majestueuse via Appia où Respighi emploie 6 bugles pour évoquer le défilé des légions romaines.
C’est en 1931 qu’a été créée la célèbre Grand Canyon Suite de l’Américain Ferde Grofé. On est incontestablement là sur de la musique descriptive où l’on retrouve, entre autres, le bruissement du vent, le trot du cheval, le chant des oiseaux. Mais au-delà des nombreuses descriptions assumées, c’est la vie humaine qui est également décrite de manière symbolique dans les cinq mouvements de l’œuvre : Sunrise (lever du jour), ou la naissance et les premiers pas ; Painted desert (le désert peint), ou l’approche mystique de la vie ; On the trail (sur la piste), ou les vicissitudes de l’existence ; Sunset (crépuscule), ou le déclin et la mort ; Cloudburst (orage), ou la résurrection après la mort.
Tout le monde connait le conte musical pour enfants Pierre et le Loup du russe Sergueï Prokofiev. Composée en 1936, cette œuvre originale et universellement connue offre aux jeunes oreilles une superbe découverte de quelques timbres de l’orchestre : Pierre y est interprété par un quatuor de cordes, le loup par les cors, le grand-père par le basson, le chat par la clarinette, le canard par le hautbois, l’oiseau par la flûte et les chasseurs par un ensemble de cuivres. Un régal pour petits et grands !
Ambiance bien différente avec l’une des œuvres majeures d’Olivier Messiaen : Des canyons aux étoiles. Créé en 1974 à la suite d’un voyage dans l’Utah effectué quelques années plus tôt, cet opus concertant pour piano, cor, glockenspiel, xylorimba et orchestre ne répond à aucun schéma traditionnel, que ce soit dans sa structure en 12 mouvements ou dans l’écriture musicale. Il s’agit certes d’une œuvre symbolique dans le cheminement du désert vers l’infini de l’univers étoilé, mais non dénué d’aspects descriptifs, et notamment de ces chants d’oiseaux que Messiaen affectionnait tout particulièrement et qui sont là très bien représentés, des trilles du moqueur polyglotte et des arpèges de la grive au chant des oiseaux du Pacifique.
Paul Mc Cartney lui-même y est allé de sa partition en rapport avec la Nature à la demande du New York City ballet en 2011. Mais si l’œuvre qui en a résulté est plaisante avec ses quatre mouvements composés de manière plutôt conventionnelle, il suffit d’écouter le premier d’entre eux, Ocean’s Kingdom, pour se rendre compte que l’on ne passe pas facilement du statut d’ex-Beatle à celui de successeur reconnu de Debussy. On est toutefois très loin de Yellow Submarine !
Parmi les innombrables œuvres dédiées à la Nature ou faisant référence à elle plus brièvement, les unes de manière descriptive, les autres de façon symbolique, on peut citer celles-ci : Chopin, l’étude Vent d’hiver ; Glazounov, le ballet allégorique Les saisons ; Gossec, la symphonie Pastorale ; Haydn, les symphonies La poule et L’ours ; Mendelssohn, l’ouverture Les Hébrides ; Nielsen, Le voyage imaginaire aux îles Féroé ; Reich, The desert music pour voix et orchestre ; Rimski-Korsakov, la suite symphonique Shéhérazade ; Sibelius, la musique de scène La tempête ; Spohr, la symphonie Les saisons ; Stravinsky, le ballet L’oiseau de feu ; Wagner, l’opéra Le vaisseau fantôme.
Celles-ci et tant d’autres encore...
* Ici des souffleurs filmés devant l’Eiger et le Mönch.
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