La nuit du 12 : un révoltant « cold case »
Avec son 7e long métrage, La nuit du 12, le réalisateur Dominik Moll signe son meilleur opus depuis l’excellent Harry, un ami qui vous veut du bien. Là encore, il s’agit d’un polar, mais il n’appartient pas au même registre : inspiré de faits réels, ce film prend cette fois la forme d’un frustrant cold case...
Nous sommes le 12 octobre 2016 dans un quartier résidentiel paisible de Saint-Jean-de-Maurienne (Savoie). Après une joyeuse soirée passée entre copains chez sa meilleure amie, Clara, une jeune fille « sans histoire » de 21 ans, rentre chez elle au cœur de la nuit. Un individu l’attend dans la pénombre, porteur d’un bidon d’essence. Clara ne se relèvera pas de cette rencontre. Victime d’un crime sordide, sa mémoire va hanter les policiers du SRPJ* de Grenoble en charge de l’enquête judiciaire. Malgré différentes pistes qui, toutes, débouchent sur des impasses, celle-ci piétine en effet désespérément, au grand dam des deux principaux enquêteurs : Yohan, un policier méthodique et taiseux, nouvellement nommé chef de groupe, et son adjoint Marceau, un vieux flic tourmenté aux émotions à fleur de peau. Des années après, le crime reste impuni.
Impuni également – dans la vraie vie –, le meurtre de Maud, une autre jeune fille de 21 ans tuée d’une manière atroce dans la nuit du 12 août 2013 à Lagny (Seine-et-Marne). Cette proximité des deux histoires ne doit rien au hasard : bien qu’ils ne l’aient pas revendiqué, Dominik Moll et son coscénariste Gilles Marchand se sont clairement inspirés de l’une des affaires évoquées dans le livre 18.3 - Une année à la PJ, écrit par Pauline Guéna au terme d’une immersion d’un an, entre 2015 et 2016, dans le quotidien des hommes du SRPJ* de Versailles, ceux-là même qui ont été chargés par le procureur d’enquêter sur la mort de Maud. Hélas ! sans certitude de pouvoir un jour élucider cette tragique affaire : comme l’indique d’emblée le film de Dominik Moll en exergue, environ 800 meurtres sont commis chaque année ; 200 resteront non élucidés !
La Nuit du 12 est sans conteste un film inspiré et troublant. Sans emphase ni morceaux de bravoure, ce remarquable opus nous plonge non seulement dans les actes de la procédure criminelle mais aussi et surtout dans les affres d’une affaire révoltante qui touche profondément les policiers en charge de l’enquête. L’une de ces affaires qui marquent durablement les enquêteurs et qui parfois les hantent leur vie durant, faute d’avoir pu y mettre un point final. On tourne en rond, comme ce capitaine de police impuissant à résoudre l’affaire tourne en rond dans la nuit savoyarde sur la froideur d’une piste de vélodrome. Ou bien l’on pète un câble comme son adjoint, écœuré par la veulerie des hommes qui, pour quelques jours ou quelques semaines, ont connu Clara et montrent si peu d’empathie pour cette jeune fille victime d’un crime abominable.
À aucun moment le mot « féminicide » n’est prononcé, mais il est omniprésent dans ce film qui fait dire par le capitaine à la juge d’instruction en charge de l’affaire trois ans après les faits « Il y a quelque chose qui cloche entre les hommes et les femmes ». Une autre évidence est soulevée par ce policier, confronté à la réalité récurrente des meurtres de femmes par l’odieux crime dont a été victime Clara : « Ce [sont] majoritairement les hommes qui commettent les crimes, et majoritairement les hommes qui sont censés les résoudre ». Et de fait, il y a là comme une incongruité, l’arrivée dans l’équipe du SRPJ d’une jeune femme en cours d’enquête venant souligner cette anomalie systémique perceptible dans les échanges entre les enquêteurs.
Avec La Nuit du 12, Dominik Moll, au sommet de son art, nous offre un film d’autant plus efficace et percutant qu’il est dénué de toute fioriture et de toute complaisance au spectacle. Servi par une réalisation sans faille et d’impeccables dialogues, il captive d’un bout à l’autre. Tous les comédiens, y compris les personnages secondaires, y sont excellents. À commencer, dans les habits de Johan, capitaine opiniâtre et scrupuleux, par Bastien Bouillon qui trouve là le meilleur rôle de sa carrière et nous montre l’étendue de son talent. Quant à Bouli Lanners, dans le rôle de Marceau, il est comme toujours d’une justesse impressionnante. Une mention particulière à la trop rare et lumineuse Anouk Grinberg, parfaite en juge d’instruction. La Nuit du 12 : un film très fort, de ceux dont on se souvient longtemps après les avoir vus.
À voir : bande annonce du film
* Service régional de police judiciaire
48 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON