La « querelle des Ch’tis » rebondit
Alors que le record d’entrées détenu jusqu’à présent par le film "Titanic" est en passe d’être battu (sans doute fin mai, selon les prévisions des spécialistes), la « querelle des Ch’tis » rebondit avec la tribune publiée cette semaine par Matthieu Grimpret (que nous avons interviewé, il y a quelques jours) dans l’hebdomadaire "Marianne".
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Il est des « œuvres artistiques » (quoi qu’on pense par ailleurs de leur qualité) qui soulèvent d’immenses polémiques. Certaines sont de nature strictement esthétique, comme la fameuse « bataille d’Hernani ». D’autres relèvent du débat théologique, comme la controverse autour des films La Dernière Tentation du Christ et La Passion du Christ, ou historique, comme dans le cas de La liste de Schindler ou du film Indigènes. Où classer la querelle qui concerne le film Bienvenue chez les Ch’tis, écrit et dirigé par Dany Boon, vu par près de 20 millions de personnes ? Difficile à dire, puisque l’intérêt des médias a souvent un effet déformant : il arrive ainsi qu’on porte l’attention sur tel ou tel événement sans repérer des évolutions plus profondes qui, lorsqu’elles émergent, provoquent parfois des explosions inattendues.
Pour l’instant, en tout cas, les interventions vont un peu dans tous les sens. Les premières critiques négatives sur le film ont émané de certains organes « cultureux » plus ou moins spécialisés, comme Les Inrockuptibles, qui l’ont trouvé carrément « nul », ou Télérama, qui y a repéré pléthore de « clichés ». Ensuite, sont intervenus les intellectuels « objectifs ». Prenons-en deux, pas tout à fait au hasard. Le premier, Michel Wieviorka, sociologue renommé, a estimé que le film s’inscrivait dans une sorte d’exorcisme du « déclin français » et qu’à cet égard il pouvait être qualifié de film passéiste. Le deuxième, romancier originaire – précisément – du Nord, Michel Quint, a écrit dans Le Nouvel Observateur du 13 mars que le film est un « exemple de démagogie et de populisme » où l’on ne croise que des « postiers et des retraités plus ou moins veufs, portés sur la bouteille », reposant sur un « scénario dont l’écriture ressemble à un puzzle d’extraits de sketches assemblé de force par un gamin furieux ». Malgré ces réserves plutôt pertinentes, l’intelligentsia des bobos parisiens n’a pas emboîté le pas – comme quoi, ils ne font pas toujours la loi, n’en déplaisent aux adeptes du complot "Paris contre Province". Le film a continué son petit (grand) bonhomme de chemin, le succès a cloué le bec aux dissidents potentiels.
Hélas, là-dessus, la bêtise a surgi du bois. D’abord la banderole déployée au Parc des Princes par certains supporters : PEDOPHILES, CHÔMEURS, CONSANGUINS, BIENVENUE CHEZ LES CH’TIS. Un acte de provocation idiot qu’il aurait fallu regarder pour ce qu’il était, à savoir la version moderne du « c’est moi qui pisse le plus loin » appliqué à un domaine, le football, où l’esprit de clocher joue à plein et avec violence. Au lieu de quoi, on a récolté la mobilisation générale avec son cortège de mots et formules tranchants comme l’épée : « racisme », « antisémitisme » (ah bon ?), « heures les plus sombres de notre histoire », « j’en appelle à l’Etat », « sanctions extraordinaires », « ne jamais tourner la page », etc. Il est vrai que l’inimitié Nord-Sud semblait, pour le béotien, se résumer à la haine OM/PSG ; elle n’avait par ailleurs jamais été verbalisée – si l’on ose le mot… Une donnée remarquable qui autorise à aborder les choses d’un point de vue intellectuel, n’est-ce pas ? Voire…
Surtout que Jean-Marie Le Pen s’y est mis : « une foucade médiocre qui est un signe de la décadence de l’esprit français. » Comment mieux flinguer un débat déjà mal en point ? Sur un terrain rendu glissant par l’affaire de la banderole, il a jeté son huile de vidange avec la satisfaction du sale gosse. Et toute l’intelligentsia de s’y précipiter en hurlant avant d’avoir mal. Le problème n’eût concerné que les éditorialistes et maître penseurs, la discussion eût pu continuer… Hélas, pour les intellectuels qui essayent de réfléchir en toute liberté, Le Pen incarne l’aporie – un mot savant pour dire « Circulez, y a rien à voir ».
Il convient donc de se réjouir que certains osent relever le flambeau jeté à terre par leurs pairs. Inscrivant sa réflexion dans le sillage inauguré et laissé en friche par Michel Wieviorka, Matthieu Grimpret n’y va pas de main morte dans le Marianne de cette semaine pour dénoncer un film qui, selon lui, illustre la « France moisie » en son temps dénoncée par Philippe Sollers : « Bienvenue chez les Ch’tis a rencontré son public – en masse ! – parce qu’il ressemble à son public. CQFD : le moisi appelle le moisi. En réalité, ce film conforte les Français dans les clapiers intérieurs où ils aiment à se réfugier par gros temps. Se voiler la face : un sport national depuis Alésia. Dans le gnan-gnan, les Français voient de la gentillesse. Dans le cliché, de l’humour. Dans le populisme, de l’authenticité. Dans la pusillanimité, du pittoresque. Dans l’étroitesse mentale, de l’enracinement. Dans la vulgarité, de la tradition. Dans l’union des angoisses, de la solidarité. Dans le mauvais français mâchonné par des RMistes mal nourris, un patois séculaire. »
Mais, quoique bien troussées, ces phrases-là ne sont pas les plus intéressantes ni les plus constructives. Après tout, la critique est facile…Plus remarquable est le contrepoint mis en lumière par Matthieu Grimpret : la France célébrée dans Les Ch’tis est la France des Trente Glorieuses, celle d’un âge d’or dont on ne finit pas d’entretenir le mythe, au risque de passer à côté d’indispensables remises en question. Derrière le postier protégé par le monopole étatique, il y a un système holiste où tout se tient, où toutes les dimensions de la vie sont rassemblées sous le parapluie de l’assistanat : le collègue est le confident, le camarade de chambrée, le partenaire de jeu, le compagnon de boisson. Bref, tout sauf un compétiteur, parce que la compétition n’a pas lieu d’être dans une société surprotégée par l’Etat-Providence. On sait que le Nord de la France est depuis plusieurs décennies sous perfusion de subventions en tous genres versées par l’Etat français et l’Union européenne.
Or, nous dit Matthieu Grimpret, qu’est-ce qui fait la force d’un pays à l’heure de la mondialisation ? Précisément : tout ce qui manque dans ce film. On sait que l’auteur est un de ceux qui considèrent les « cités » comme des réservoirs de créativité et de prospérité, pour peu qu’on veuille s’y intéresser dans une perspective authentiquement capitaliste. Or, dans ce film, rien de ce qui fait la France d’après : pas un Beur, pas un entrepreneur digne de ce nom, pas un représentant de l’économie high-tech ou du luxe.
En définitive, nous dit Matthieu Grimpret, « Bienvenue chez les Ch’tis, ce n’est ni le pays réel, ni la France d’en-bas. C’est la France de toujours-plus-bas. C’est la France qui descend. » Il est vrai qu’on se demande si, lasse de tant d’efforts consentis en vain et de promesses non tenues, engraissée par des années de surprotection étatique, la France n’est pas gagnée par "l’esprit de Munich" : fermons les yeux devant les défis qui se présentent à nous, parfois de manière violente. Allez, biloute, câche dinc chette criche que io n’in chaurais vouère, hâinn ! Finalement, l’hymne des Ch’tis n’aura jamais été mieux adaptée à la situation : « Dors min p’tit Quinquin, min p’tit pouchin, min gros rojin. Te m’fras du chagrin si te ne dors point ch’qu’à d’main. » Dormez, bonnes gens : à l’heure où les usines tournent à plein régime en Chine, en Inde et en Amérique, l’Etat veille sur vos nuits trop longues…
Foucauld Bonchamps
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