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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > « La Règle du jeu » Performance de La Comédie-Française en abyme (...)

« La Règle du jeu » Performance de La Comédie-Française en abyme ciné-théâtral

De la même façon que Federico Fellini imaginait, à juste titre, que l’Art du Cinéma se clôturerait définitivement avec lui aux studios de Cinecitta à Rome, « La Règle du jeu » signée Christiane Jatahy pourrait fort bien être comprise comme le glas de celui du Théâtre, considéré dans son essence ontologique. 

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LA REGLE DU JEU
© Christophe Raynaud de Lage
coll. Comédie-Française

Le plus surprenant est que ce soit La Comédie Française, elle-même, qui, ainsi, donnerait le coup de grâce en se prêtant au « jeu » dont la règle serait de s’emparer de toutes les technologies récentes pour les assimiler en un syncrétisme dont le « Je », apparenté à la modernité du « selfie », serait la mesure de toutes les valeurs de l’instant et des pulsions.

Avec Eric Ruff, chauffeur de maître, menant en « berline » le cortège des invités au bal des dupes, ceux-là vont sortir de l’écran du cinématographe, grandeur rideau de scène, pour mieux apprivoiser la salle Richelieu en une séance d’illusionnisme festif avant que d’en rejeter le cadavre exquis du happening sur la Place Colette et, de facto, en finir avec l’ancien monde de la déclamation textuelle par un zoom vertigineux inversé façon « Google earth ».

Ainsi du cinéma à la vidéo, il n’y aurait que deux pas à franchir en faisant le détour « culturellement obligé » du Théâtre, de telle façon qu’y entrer « religieux » et en sortir « iconoclaste » servirait de vade mecum ou de caution à toute carrière artistique qui se respecte. 

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LA REGLE DU JEU
© Christophe Raynaud de Lage
coll. Comédie-Française

Mais suivons les invités de Jean Renoir, là où Christiane Jatahy les y attend, c’est-à-dire dans le fameux hall d’accueil où, habituellement, le public effectue son sas de décompression avant que d’entrer en extase au sein de la salle vénérée.

Tous ensemble seront conviés à une visite « en règle » de la prestigieuse Maison de Molière ou plus exactement à une poursuite ludique dans son dédale de couloirs, coursives, loges, cuisine et autre foyer appartenant aux coulisses de la création théâtrale et donc, par nature, interdites au public.

Ainsi plongés au cœur de l’invisible, grâce à l’image filmée de manière hyperréaliste durant une demi-heure, les spectateurs vont être projetés, catapultés, confrontés à la vérité du spectacle par la soudaine irruption physique en temps réel des comédiens dans le domaine réservé, lui par convention, au quatrième mur.

A partir de cet instant, témoins et invités de la fête constitueront une étrange communauté où chacun tentera d’en comprendre l’enjeu alors même qu’il semblerait que personne, sauf le démiurge de la mise en scène bien entendu, ne maîtrise ni le temps, ni l’espace, ni la parole et encore moins les relations d’amour-haine, de désir-répulsion, d’intérêt-indifférence laissant partir à vau-l'eau un engrenage préjudiciable à la bienveillance face aux numéros d’acteurs et autres exhibitions créatives cocasses.

La meilleure posture serait pourtant d’en rire et de finir par chanter tous en chœur : « Parole, parole » façon Dalida ou « Non ho l’età » style Eurovision/Cinquetti jusqu’à hurler la rengaine à tue-tête en se résolvant à jouer délibérément les « trouble-fête ».

Avec dans le rôle de l’amuseur bateleur, Serge Bagdassarian, dans celui de la boute-en-train cyclothymique, Elsa Lepoivre, dans celui de monsieur Loyal, Jérémy Lopez et ainsi de suite, toute la grande famille du Théâtre se trouve ici réunie, perpétuant la tradition de s’y congratuler et de s’y détester à souhait, tout en prenant à parti le public qui, il faut le noter, restera libre néanmoins de se laisser manipuler ou de se mettre en réserve du capharnaüm.

Cependant quand la vie réelle dégénère à la fois sur le plateau et au sein des fauteuils de l’orchestre, il ne suffirait pas de se réfugier au balcon ou au poulailler, avec l’intention de se dédouaner du ressenti contradictoire, pour réussir à échapper à la décadence générale… si, toutefois, affinités avec l'esprit critique !

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LA REGLE DU JEU
© Christophe Raynaud de Lage
coll. Comédie-Française

D’ailleurs, pour parer aux éventuelles réactions défavorables, fomentées par l’interactivité, il sera toujours possible de dresser un filet de sécurité entre la scène et la salle, en invoquant la présence d’un drone étranger susceptible d’échapper au contrôle du pouvoir institutionnel en place.

Celui-ci, de manière spectaculaire, pourra alors effectuer, sans risque majeur, des figures aériennes spectaculaires autorisant des prises de vue vidéo à couper le souffle des gogos.

Bien entendu, tout ceci ne pourrait être qu’une fable « radicale » ou, à tout le moins, un conte à éveiller les cauchemars mais il faut reconnaître que quand le talent d’une troupe prestigieuse, sous la magie d’une metteuse en scène en prise directe sur l’époque, se déploie en 3D avec autant de maestria, il en demeure forcément des reliquats subconscients qui, de manière pragmatique, pourraient s’avérer comme autant de petits cailloux « signifiants » afin de prospecter et d’imaginer « positivement » le devenir du spectacle vivant… y compris à La Comédie-Française !

 

photos © Christophe Raynaud de Lage

 

LA REGLE DU JEU  - ***. Theothea.com - d'après Jean Renoir - mise en scène Christiane Jatahy - avec Éric Génovèse, Jérôme Pouly, Elsa Lepoivre, Julie Sicard, Serge Bagdassarian, Bakary Sangaré, Suliane Brahim, Jérémy Lopez, Laurent Lafitte & Pauline Clément - La Comédie-Française / Salle Richelieu


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